De l’opposition par procuration

Bénin – Que le président Boni Yayi –deux mandatures, en dix ans- en vienne à nous désigner, à nouveau, un président de l’assemblée nationale, la chose ne devrait guère surprendre. La mouvance au pouvoir au Bénin, regroupée qu’elle est au sein des Forces Cauris pour un Bénin émergent (FCBE), et son chef de file continueront de garder une haute main sur le paysage politique nationale. Leur mouvement vient encore de ratisser large en obtenant 41 des 83 sièges du parlement. En y ajoutant les sièges glanés par les partis politiques apparentés –avec lesquels Boni Yayi ne manquera pas d’engager des négociations à cet effet- la coalition «mouvancière» élargie pourra s’offrir le baroud d’honneur durant toute la législature qui commence avec un chiffre largement au-delà de la majorité absolue recherchée par le chef du gouvernement. Si le deal entre bonnes gens de même bord marche, ce qui est fort probable, l’Assemblée nationale sera aux couleurs, non pas, de nos rêves, mais de celles de Boni Yayi. Il faut seulement espérer que le perchoir du parlement revienne à quelqu’un de plus futé que le président sortant, à défaut pour lui d’être un rassembleur et de savoir à la fois, jouer le jeu du pouvoir tout en aidant à préserver les acquis de notre démocratie, du moins à en restaurer biens des aspects, aujourd’hui dévoyés.

Comme lors du scrutin présidentiel, l’opposition politique ou ce qu’il est convenu de nommer ainsi n’a pas su se rassembler autour d’un leader et d’une stratégie efficiente pour faire barrage à la menace que représenterait, pour elle, l’«homme du changement» inachevé converti en «homme de la refondation». Elle devrait être rendue responsable du déluge qui guetterait le pays de voir les institutions républicaines basculer dans le giron du pouvoir qui les fera prendre d’assaut par des gens dévoués à la seule et unique cause du Prince.

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Depuis le retour au pouvoir de Mathieu Kérékou en 1996, l’entité pompeusement appelée opposition n’existe que de nom. Seules quelques individualités lui confèrent un certain visage et font que, dans notre démocratie en voie de dévoiement, l’espoir peut être permis. L’élection présidentielle et, plus récemment, les législatives ont montré ses limites. Entre ces deux événements majeurs de la vie sociopolitique de notre pays, cette opposition a posé, à travers le temps, beaucoup d’actes qui indiquent soit son inculture de la mission qui est la sienne soit son manque de vision stratégique. Pourtant, la plupart de ses animateurs ont de quoi se prendre pour de vieux routiers, en matière de gestion des choses de la Cité. Il y en a qui totalisent, toutes périodes de leur vie d’adulte confondues, plus de 50 ans de militantisme associatif. Et qui le revendiquent. De leurs années d’études, ils vous parleront de la FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique noire en France), de l’UGEED (Union générale des Élèves et Etudiants du Dahomey), du FACEEN (Front d’Action commun des Élèves et Etudiants du Nord)… Les plus jeunes de ce milieu de l’opposition, eux, évoquent leur parcours en comptant les débuts de notre processus démocratique des années 90. Que de chemin parcouru tout de même!

Vie de galère, une fois que la manne n’est plus tombée

Cependant, nulle trace visible des acquis de ces expériences de luttes dans leurs pratiques de tous les jours. A commencer par la gestion de leurs formations politiques respectives. Point de conférences-débats autour des thèmes liés à la gestion du pouvoir, au mal être social qui se décline, entre autres, au chômage des jeunes, en la vie chère, en la montée galopante du régionalisme… Point d’universités d’été, non plus, au cours desquelles on évoque immanquablement la ligne du parti ainsi que la vision stratégique de ses leaders sur les phénomènes de société, d’ici et d’ailleurs, avec une réaffirmation approfondie des lignes de démarcations pour un meilleur recentrage par rapport aux autres partis de l’échiquier national. Ces occasions de proposition d’alternatives à la gouvernance politique manquent si cruellement qu’on peut difficilement croire que les partis au Bénin disposent d’une base réelle et peuvent donc donner des consignes de vote et d’attitude à des militants qui, de facto, n’existeraient pas. Même le statut de «clubs électoraux», si réducteur, que conférait déjà gentiment Feu Eustache Prudencio aux formations politiques d’hier, celles d’aujourd’hui sont loin de le mériter.

La gestion d’un parti politique structuré, comme cela se doit, parait compliqué pour les Béninois. En général, les cadres qui en sont les promoteurs n’ont, malheureusement, pas appris à gagner leur vie à la sueur de leur front. Habitués qu’ils sont aux situations de rente et au décor luxueux des bureaux feutrés et glacés mis à leur disposition par le pouvoir politique, ils préfèrent lui faire allégeance, en ayant du mal à s’adapter à la vie de galère qui est celle de l’opposant, une fois que la manne n’est plus censée tomber. Si par malheur, le sevrage devrait durer deux mandatures ou 10 ans, le quotidien du parti s’en ressent. Appelé à financer les activités, le leader fondateur du parti fait plutôt ses petits calculs pour ensuite se débiner des responsabilités pour lesquelles il s’était pourtant engagé. Du coup, l’exécution des taches statutaires et le respect des textes fondamentaux du parti sont mis en veilleuse.

Finalement, les acteurs de l’opposition ne sachant pas, ou ne voulant pas –par calculs égoïstes- occuper le terrain de l’animation politique, laissent se dévoiler la société civile, les syndicats et la presse. La nature ayant horreur du vide, ces derniers l’occupent tout naturellement, en faisant de l’opposition par procuration.

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