Gouvernance démocratique en Afrique: l’Individu, l’Etat et la Démocratie

Cet article est le premier d’une série de trois papiers par lesquels l’auteur soutient que pour approfondir notre démocratie et prévenir les tensions électorales incessantes, nous devrions changer radicalement de modèle démocratique et adopter une approche plus consensuelle.

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Le deuxième papier discute de différents types de démocratie et s’interroge sur l’adéquation entre la forme de démocratie adoptée par le Bénin et le caractère hétérogène de notre société. Dans son troisième papier l’auteur prône une révolution démocratique qui accorde plus de participation à la population, rapproche davantage électeurs et élus et instaure l’élection du président de la République au suffrage universel indirect.

Depuis quelques mois, les pouvoirs en place en Afrique du Nord et au Moyen-Orient connaissent, pour la plupart, une vive contestation sociale et politique. Animées essentiellement par de nombreux jeunes instruits mais insatisfaits de la situation socio-économique et de la mauvaise gouvernance politique, ces révoltes connaissent des sorts très variables. Elles nous donnent cependant l’occasion d’observer comment certains gouvernements ont pu retourner contre les citoyens des armes lourdes destinées à défendre la nation. La crise ivoirienne et dans une certaine mesure les récentes tensions postélectorales (phénomène récurrent) au Nigéria malgré toutes les précautions prises pour assurer la transparence et l’équité du dernier scrutin, confirment l’actualité et la pertinence du questionnement sur les rapports entre l’individu, l’Etat et la démocratie.

Le legs colonial

L’Etat est-il légitime quand il se défend contre le peuple qu’il est censé servir? L’intervention de l’Etat en Afrique, en particulier dans le cadre de la régulation électorale, révèle l’ambigüité des relations qu’il entretient avec l’individu dans un contexte démocratique.

Au Bénin, la constitution du 11 décembre 1990 nous a dotés d’instruments pour construire une démocratie libérale à la française. Plus de vingt ans après et au moment où la revendication légitime d’un approfondissement de la démocratie couve, il importe de réfléchir sur ces instruments institutionnels. En particulier, l’Etat joue un rôle primordial dans le fonctionnement des institutions démocratiques dans notre pays. Les relations qu’il entretient avec l’Individu doivent être revisitées afin d’examiner leur adéquation avec l’idéal démocratique. Il faut reconnaître que l’Etat, pendant la période coloniale, était essentiellement autoritaire et répressif. Son principal rôle était de faire respecter par chaque sujet l’ordre colonial, «l’autorité de l’Etat». La collecte de l’impôt et les travaux obligatoires marqueront pour longtemps le profil sévère du visage colonial alors que l’autre profil, celui qui continue de nourrir une sorte de nostalgie chez certains de nos doyens, c’est le caractère paternaliste et omniscient, celui-là qui symbolise l’ordre et l’efficacité. Pendant la période coloniale, l’individu était administré, à la base, par le chef de canton, sorte d’auxiliaire africain. Puis on trouvait par ordre hiérarchique croissant, le chef de subdivision, le commandant de cercle, le gouverneur de la colonie dont la résidence était à Porto-Novo, le gouverneur général d’Afrique occidentale résidant à Dakar et enfin le ministre de la France d’Outre-Mer qui, depuis Paris, était le véritable chef d’orchestre.

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L’émergence sur la scène politique d’une citoyenneté locale vient tardivement. Il faudra attendre 1955 pour voir créer au Bénin cinq communes de plein exercice à Porto-Novo, Cotonou, Ouidah, Abomey et Parakou. Mais deux ans après l’indépendance, les cinq communes étaient reprises en mains par l’administration qui les transformait en circonscriptions gérées par l’Etat. La réforme de décentralisation de 1964 fit long feu et il fallut attendre 1974 sous le premier régime de Kérékou pour voir poindre une décentralisation, à dire vrai, caporalisée. Toutes ces tentatives restent dans la lignée de la gestion territoriale coloniale, la tutelle intégrale de l’administration sur la citoyenneté.

La décentralisation et ses limitations

La Constitution de 1990 par les articles 150 à 153 statue à minima sur les collectivités territoriales qui «s’administrent librement par des conseils élus …» (art. 151). L’Etat doit veiller « au développement harmonieux de toutes les collectivités territoriales sur la base de la solidarité nationale, les potentialités régionales et l’équilibre inter-régional». Les Etats Généraux de l’Administration Territoriale sont organisés du 7 au 10 janvier 1993. La loi 97-028 sur l’administration territoriale est promulguée en janvier 1999, de même que celle qui définit l’organisation des communes. La réforme crée un seul niveau de décentralisation, la Commune dirigée par le maire et un niveau unique de déconcentration administrative, le département avec, à sa tête, le Préfet. Le maire élu par un conseil communal émanation de la citoyenneté locale, cumule la fonction d’élu local avec celle administrative autrefois dévolue au sous-préfet. Il est placé sous la tutelle du Préfet, représentant de l’Etat qui exerce un contrôle à postériori sur ses actes. Ainsi, le Bénin est désormais subdivisé en 12 circonscriptions administratives, les départements et en 77 communes.

Les élections communales de 2003 puis de 2008 permettent l’organisation institutionnelle de la vie politique locale. Cependant, du point de vue de la philosophie politique, on reste largement dans le cadre de la primauté de l’Etat sur la Communauté politique, de l’administration sur la citoyenneté. Malgré les dispositions de la Constitution et des lois de 1999 sur la décentralisation, les Communes souffrent d’un manque de ressources pour différentes raisons. D’une part, leur création n’a pas toujours tenu compte des potentialités économiques. D’autre part, l’Etat n’a pas procédé à une déconcentration suffisante de son administration. Enfin les forces en faveur d’une décentralisation politique ne sont pas suffisamment fortes dans la classe politique actuelle. Les structures politiques au Bénin restent dans une large mesure très centralisées dans leur processus de décision et les préoccupations locales n’ont pas le niveau de priorité qu’elles méritent. La volonté décentralisatrice n’a guère été poussée loin et on est resté dans le cadre de «l’administration territoriale» alors qu’il faudrait une révolution de la gouvernance politique. Seule l’émergence du local sur la scène politique centrale sera de nature à imposer les besoins sociaux (santé, alimentation, sécurités, eau, énergie, logement, éducation,…) dans l’agenda politique national.

Les exigences de la démocratie

Lorsqu’on a dit de la démocratie qu’elle est «le pouvoir du peuple par le peuple», on n’a encore rien dit. Le pouvoir politique réel est détenu par les dirigeants de l’État, par ceux qui possèdent les moyens de coercition et de redistribution des ressources. La démocratie fonctionne, de manière générale, par délégation de pouvoirs du peuple à ses représentants et parfois par expression directe des citoyens au travers de referendums ou, comme en Suisse, d’initiatives populaires. Ce dernier mode de fonctionnement est étranger aux systèmes centralisés qui sont quasi exclusivement des démocraties représentatives. Mais la modernité nous a fait bénéficier, à côté de la démocratie, d’un ensemble de valeurs impératives qui fondent l’État de droit, valeurs qui font que la majorité de la population ne pourrait décider d’opprimer un seul citoyen. Les droits de l’homme sont un complément indispensable de toute démocratie. En réalité, à y voir de près, la souveraineté populaire, qui veut faire la volonté de la majorité, semble relever d’une valeur autre que les droits de l’homme, qui semblent privilégier la primauté des droits de l’individu sur l’éventuel arbitraire de la collectivité. Il faut reconnaître que ces deux aspects des démocraties modernes viennent effectivement de deux conceptions des relations entre l’individu et l’État.

Dans nombre de pays africains et en particulier d’anciennes colonies françaises, la délégation de pouvoirs se fait à des députés et au Président de la République tous élus au suffrage universel direct. Cette modalité démocratique pose des problèmes de légitimité qu’il convient de prendre à bras le corps si nous voulons approfondir notre processus démocratique. En effet, qui peut ignorer que la langue et les cultures de la démocratie et des institutions sont très éloignées de celles de la majorité des citoyens? Ceci entretient une forte ambigüité dans l’élection des représentants des citoyens et dans l’inspiration du pouvoir politique et la pertinence de son exercice. Le Président de la République ainsi que les députés restent investis d’un rôle messianique de redistribution de ressources alors que leurs marges de manœuvre sont limitées par les engagements internationaux. Les candidats aux élections ne se privent d’ailleurs pas de jouer de cette image en promettant monts et merveilles. A ce marché de dupes, c’est l’idée de démocratie qui est la principale perdante, et avec elle, la capacité de mobiliser le génie de la population pour saisir les opportunités, créer des richesses et améliorer le bien-être collectif.

L’élection du Président de la République au suffrage universel direct est particulièrement malheureuse car elle cumule deux faiblesses: l’ambigüité politique de la représentation et le caractère dominateur de l’Etat d’obédience française sur l’individu. D’une part, la majorité qui élit le Président de la République au Bénin résulte largement de déterminations diverses de nature ethnique et régionaliste coexistant avec une coalition d’intérêts divers. D’autre part, le Chef de l’Etat est investi dans la mémoire collective d’une fonction de Chef des citoyens alors qu’il devrait en être le serviteur et répondre de sa gestion devant eux. Nous devons radicalement nous départir de notre perception de la démocratie héritée de la cinquième république française qui veut que le peuple élise son souverain; il nous faudra la remplacer par une conception qui place la citoyenneté au centre du pouvoir et instaure un mode plus humble d’exercice des pouvoirs politiques. Ce changement doit s’opérer en chacun de nous, chez tous les citoyens, tant la figure du chef omniscient est ancrée dans nos mentalités. A preuve, les appels au secours en direction du Président de la République par de simples citoyens ou des groupuscules dès lors qu’ils sont confrontés à des difficultés de toutes natures. Le recentrage de la démocratie sur la citoyenneté devrait empêcher que l’Etat soit utilisé contre le peuple. Un tel changement radical signifie clairement que l’Etat ne doit plus être au-dessus de la Communauté politique mais doit rester un instrument à son service. Il devrait découler de cette nouvelle conception un changement dans le mode d’élection du Président de la République, chef de l’Etat.

Rompre avec l’infantilisation des citoyens

L’approfondissement de la démocratie suppose une vraie rupture avec la gouvernance politique empruntée à la France. Le respect dû à tous les citoyens est à ce prix. L’idéologie coloniale, celle qui veut que certains pays en dominent d’autres est fondée sur l’inégalité entre les êtres humains en fonction de leur degré de technicité, leur niveau de connaissances, leurs conditions matérielles et leur puissance. La rupture avec l’ère coloniale aurait pu donner lieu à une autre idéologie, celle du respect de tous les citoyens, indépendamment de leurs conditions sociales. Mais de ruptures il n’y en a pas eues et les processus de sélection de l’élite dirigeante en Afrique tendent à promouvoir deux races particulières, les assimilés et les militaires. L’approfondissement de la démocratie impose que nous nous fassions violence pour admettre qu’il n’est point nécessaire d’être ni omniscient, ni richissime homme d’affaires, ni militaire pour représenter valablement la population mais qu’il suffit d’être honnête et sage et d’être bien épaulé techniquement. Certes, on trouvera des personnes qui limiteront la démocratie à la libre expression par le citoyen de ses préférences fussent-elles fondées sur des motivations ethniques ou régionalistes. Ce serait toutefois ne pas nourrir d’ambitions pour le devenir du vivre ensemble que de se contenter de si peu.

Mais ne nous y trompons pas, il ne s’agit pas de remplacer le mimétisme, la continuité idéologique élitiste par un populisme dangereux. La population béninoise est jeune et les ressources affectées à l’éducation et à la formation, malgré les efforts consentis dans la période récente, restent insuffisantes. Ceci limite l’accès des citoyens au stock de connaissances développées par l’humanité. Le renforcement de la citoyenneté dans le concept même de la démocratie au Bénin doit aller de pair avec une accélération de l’éducation et une responsabilisation accrue des citoyens et des élus. L’approfondissement de la démocratie ne peut se faire sans un niveau d’exigence plus élevé des citoyens envers leurs représentants. Un recours massif aux nouvelles technologies de l’information et de la communication sera nécessaire pour mettre à la portée du citoyen la riche expérience qui existe dans le monde. Il faudra aussi une nouvelle race d’intellectuels africains pour innover en matière de philosophie politique, inventer des références répondant davantage à la nécessité de changer notre système politique, un système inadapté aux nombreux défis qui s’imposent à nous, ceux qui relèvent de la dignité et de l’épanouissement.q

Edgard Gnansounou, Professeur à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (Suisse)

A propos de l’auteur

Notre compatriote vivant et exerçant en Suisse depuis des décennies, Edgard Gnansounou, est professeur à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) où, il est le directeur du Groupe de recherche en bioénergie et planification énergétique (BPE). Ses domaines de compétences sont, en effet, l’économie énergétique, les énergies et le développement durable, les bioénergies… Ce secteur de la science fondamentale et expérimentale, sans grand lien avec les sciences politiques et sociales, semble pourtant le prédisposer aux questions de la gouvernance démocratique, au point d’aiguiser son inspiration à l’écriture sur les concepts tissant un rapport entre l’individu, ses droits et devoirs dans l’espace physique et politique qu’est l’Etat. Le professeur Edgard Gnansounou, depuis peu naturalisé Suisse, est donc, à ses heures perdues, un écrivain prolifique qui s’ignore. Il est l’auteur du livre

intitulé: «L’Afrique face à la mondialisation, Construire l’Afrique des lumières autour d’une éthique de dignité», paru aux Editions Le Publieur, en 2005. On notera qu’en dehors de ses nombreuses publications de portée scientifique, il a à son actif plusieurs articles reflétant ses points de vue personnels sur la gouvernance démocratique en Afrique et singulièrement au Bénin, son pays d’origine.

Depuis maintenant près de deux décennies, la Corée du Nord se trouve sous le joug des sanctions internationales imposées par le Conseil de sécurité de l’ONU en raison de son programme nucléaire. Ces mesures coercitives, renforcées à plusieurs reprises au fil des années, visaient à contenir les ambitions nucléaires de… Lire la suite

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