La démocratie, quand tu nous tiens ! La démocratie, je t’aime moi non plus ! Démocratie, démocratie, que de crimes on commet en ton nom ! Ces trois affirmations exclamatives avec un arrière-fond interrogatif sont des paraphrases qui renvoient respectivement à Franck Dubosc humoriste et acteur français, à Serge Gainsbourg et Jane Birkin des artistes français et anglaise aux talents variés, et à Paul Valéry, écrivain, poète et philosophe français.
Ce dernier a écrit précisément : « Liberté, liberté, que de crimes on commet en ton nom !» Il est très connu, cette définition de la démocratie que l’Antiquité a léguée à l’humanité : « La démocratie est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple.» Nous y reviendrons.
Liberté et démocratie sont intimement liées. Car la liberté est le présupposé de base de la démocratie ; et la démocratie se veut le lieu d’expression de la liberté, le terrain où se déploient les libertés. Voilà qui est bien dit sans doute. Mais tout n’est pas dit, il reste beaucoup à dire, à comprendre. En effet : qu’est-ce que la liberté ? Qu’est-ce que la démocratie ? Sans prétendre à une réflexion de philosophie politique, nous allons cependant essayer de réfléchir avec une certaine rigueur sur la démocratie en théorie et sur certaines pratiques démocratiques ou considérées comme telles. Il est entendu du reste que le philosophe, à lui seul, ne réussira pas à épuiser la problématique de la démocratie. Il aura besoin d’autres compétences : historiens, sociologues, économistes, juristes etc.
Diversité terminologique et richesse sémantique
Les acquis actuels de la philosophie politique font état d’une diversité de termes qualificatifs de la démocratie. Ainsi Georges Burdeau distingue: « la démocratie politique « , « la démocratie sociale », « la démocratie marxiste » , « la démocratie pluraliste » (cf. Georges Burdeau. La démocratie. Paris, Seuil, 1966). Il est aussi question de «démocratie chrétienne », « démocratie libérale », « démocratie occidentale », « démocratie moderne ». (cf Hecquard Maxence. Les fondements philosophiques de la démocratie moderne. Paris. François-Xavier de Guibert, 2007)
Cette dernière retiendra surtout notre attention, l’adjectif moderne englobant notre contemporanéité étant entendu qu’on parle même de plus en plus d’époque post- moderne sous d’autres cieux du moins. Mais restons avec modestie dans le cadre de notre réflexion qui ne manquera pas donc de coller à des données concrètes de pratiques démocratiques dans bien des pays d’Afrique en particulier.
Néanmoins gardons aussi bien présente à l’esprit la richesse voire la complexité sémantique du vocable démocratie. En effet Georges Burdeau affirme : « La démocratie est aujourd’hui une philosophie, une manière de vivre, une religion et, presque accessoirement, une forme de gouvernement. Une signification aussi riche lui vient tant de ce qu’elle est effectivement que de l’idée que s’en font les hommes lorsqu’ils placent en elle leur espérance d’une vie meilleure. Dissocier ce qui, en elle, est réalité de ce qui est croyance conduirait à rendre incompréhensibles non seulement le dynamisme qui l’anime mais même ses institutions positives, car celles-ci n’ont de sens qu’en fonction de la mystique qu’elles incarnent. » (op. cit. page 9)
La démocratie, pas un système de gouvernement absolu
La démocratie est le rêve, l’aspiration de toutes les nations. Les révoltes populaires de ces derniers mois dans plusieurs pays en sont la preuve indéniable. Oui la démocratie semble bien être le meilleur système de gouvernement politique, le plus désirable, le plus revendiqué. Mais reconnaissons qu’il n’est pas le meilleur système de gouvernement en soi qui s’imposerait partout. Ainsi nous ne parlons pas de démocratie dans la vie familiale, dans les entreprises, dans les banques, dans les assurances et bien d’autres institutions où ne règnent pas pour autant la dictature, le mépris de la liberté et de la personne humaine . Si l’Eglise catholique par exemple n’a pas un fonctionnement démocratique parce qu’elle n’est pas un système politique, elle n’est pas non plus une dictature ni une monarchie. On y exerce aussi de larges consultations, des votes avant de prendre certaines décisions. Nous savons que le Pape est élu par les Cardinaux par scrutins secrets bien définis. Il arrive aussi aux évêques de recourir au vote au sein de leurs conférences nationales ou régionales. Il y a eu des votes au Concile œcuménique Vatican II. Nous ne pensons pas que les autres confessions religieuses, chrétiennes ou non, se réclament de gouvernance démocratique.
Quel peuple pour quel pouvoir ? Quelle souveraineté du peuple ?
Revenons sur le terrain politique avec notre définition la plus célèbre : « La démocratie est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple » A y regarder de près, c’est une affirmation très riche, tout au service du bien du peuple serviteur de lui-même pour ainsi dire. Mais deux questions nous viennent à l’esprit ici : « Quel peuple pour quel pouvoir ? Quelle souveraineté du peuple ?
D’abord la notion de peuple a évolué à travers l’histoire de l’humanité. En effet Maxence Hecquard précise : « Si la démocratie moderne se veut, comme l’ancienne, le gouvernement du peuple, rien n’est commun entre les peuples des citoyens de la cité antique et la masse populaire d’aujourd’hui ». Car explique le philosophe : « Peuple » n’a d’ailleurs jamais signifié « population » dans aucune cité antique. Ainsi à Rome le peuple se distingue tout d’abord du sénat comme l’indique l’expression bien connue Senatus Populusque Romanus, « le Sénat et le Peuple Romain ». Le sénat n’est qu’un conseil chargé de mettre en œuvre les décisions et de faire respecter la loi déterminée par le peuple en Comices. Mais ce populus s’oppose de plus à la plèbe, cette classe inférieure qui existait dans toutes les cités et lui était clairement distincte » (Hecquard Maxence. op. cit. p. 16)
Abordons maintenant le profil du peuple des démocraties en Afrique noire, et précisément au Bénin. Ce profil est varié et variable. Le peuple de la démocratie est bien sûr composé de plusieurs couches sociales : les enfants, les analphabètes, les « intellectuels », les « demi-lettrés », les hommes et femmes politiques, les hommes et femmes d’affaires, les responsables religieux, les jeunes, les vieillards etc. Ce peuple est, en grande parie marqué par le régionalisme (pensons à ce qu’on appelle le vote du sang en faveur du fils du terroir quel qu’il soit), l’âpreté au gain facile. Ce peuple qui a faim, est souvent corruptible et manipulable à merci. Selon les saisons politiques et les intérêts en jeu, les valeurs morales et religieuses ne comptent plus pour bien des citoyens. Ce peuple est à la fois capable et victime de violences meurtrières. Somme toute le profil du peuple des démocraties en Afrique noire n’est donc pas honorable en général. Et ce n’est point de la caricature ni de l’afro-pessimisme.
Quel pouvoir du peuple alors pour une démocratie effective et efficiente ? La souveraineté du peuple se manifeste ou devrait se manifester essentiellement par la voie électorale. Quatre temps forts politiques caractérisent le pouvoir électoral du peuple : le référendum, les élections présidentielles, les élections législatives, les élections municipales pour le Bénin dit du renouveau démocratique depuis l’historique Conférence des Forces vives de la Nation de 1990. Faisons remarquer que ce pouvoir est exercé par les citoyens en âge de voter, inscrits sur les listes électorales, disposant de cartes électorales, ayant participé au scrutin. De toute façon le taux de 100 pour 100 de participation ne peut être jamais atteint . Au Bénin par exemple, il faut espérer que la LEPI n’est pas une affaire bouclée pour 10 ans. Car il y a encore beaucoup de non inscrits pour diverses raisons sans que la responsabilité ou la culpabilité soient nécessairement ou uniquement d’ordre politique. Mais il demeure que les citoyens en âge de voter ne constitue pas la totalité du peuple dont la gouvernance démocratique doit rechercher et favoriser le bien vivre y compris donc les personnes qui n’ont pas encore l’âge de voter et qui représentent une partie importante de la population.
En dehors de la voie électorale, le peuple exerce son pouvoir de façon indirecte : c’est la délégation des pouvoirs aux instances démocratiques dont les plus importantes sont le Chef de l’Etat et son gouvernement d’une part, l’Assemblée nationale ou les députés d’autre part. Les autres institutions de l’Etat fonctionnent par sous-délégation de pouvoirs pour ainsi dire : la Cour constitutionnelle, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, le Conseil Economique et Social etc.
L’option démocratique oui, mais des questions se posent
Si l’option démocratique semble le meilleur choix pour la vie d’une nation, l’expérience montre que la démocratie politique n’est pas la panacée pour l’émergence d’un pays comme on aime à le dire de nos jours. Car il y a des questions et des conditions endogènes à nos Etats démocratiques en Afrique noire sans négliger les facteurs exogènes pour ou contre le développement sur ce continent.
Nous ne pensons pas que les pays africains ne soient pas mûrs pour la démocratie ni que la démocratie soit un luxe dont le continent noir ne peut se prévaloir. Néanmoins reconnaissons qu’après 50 ans de souveraineté nationale et plusieurs décennies d’expériences politiques qui passent pour démocratiques, nous devons nous poser certaines questions.
D’où vient cette idée que c’est désobligeant pour un chef d’Etat en exercice d’organiser des élections et de les perdre ? Est-ce que l’on image les implications d’une telle idée ? S’il peut être utile voire nécessaire de réviser la Constitution d’un pays, pourquoi les révisons des constitutions tournent en général autour du Chef de l’Etat, et visent presque toujours la limitation du mandat présidentiel et, dans certains cas, la modification du scrutin de deux tours à un tour, ce qui arrangerait le Président en exercice ? De quelle légitimité vraiment démocratique peut se prévaloir un Président qui serait élu, par exemple, par 20 pour 100 des électeurs au scrutin à un seul tour ? Quel rapport conçoit-on entre légitimité et légalité ou constitutionnalité ? Pourquoi, dans la plupart des pays africains, les élections se déroulent-elles toujours sous la supervision de centaines d’observateurs étrangers dont nous connaissons le leitmotiv diplomatique d’appréciation ? Pourquoi donc le verdict des urnes est-il toujours contesté par l’opposition ? Les violences électorales et post-électorales qui provoquent souvent des pertes en vies humaines ne constituent-elles pas une honte pour nos Etats dits de droit ? La transparence et la crédibilité tant prônées à divers niveaux sont-elles vraiment au rendez-vous de tout le processus électoral c’est-à-dire de la confection des listes jusqu’à la proclamation définitive des résultats par l’instance compétente et habilitée ? Voilà donc une série de questions dont les réponses relèvent d’abord de la conscience civique, morale et même religieuse de chaque citoyen et citoyenne.
Par ailleurs nous en appelons, de façon spéciale, à la conscience, au sens profond de l’honneur et de la responsabilité de toutes les personnes dont dépendent ces tournants de démocratie politique que sont les élections. Nous n’oublions pas les médias, véritable pouvoir dans un Etat de droit, faiseurs d’opinion, capables du meilleur et du pire selon l’air du temps, les intérêts, les pressions. La liberté de presse est un droit essentiel à la démocratie. Mais quelle liberté de conscience, quel effort d’objectivité, quel sens de l’honneur chez les hommes et les femmes des médias ? L’esprit de critique ne l’emporte-t-il pas souvent sur l’esprit critique dans les publications de la presse ?
L’option démocratique oui mais des présupposés s’imposent
L’expérience de la démocratie en Afrique noire nous montre, sans aucune ombre, que l’option démocratique n’est pas la panacée du développement, de l’émergence, du bien vivre pluriel des citoyen même s’il arrive de noter quelque taux de croissance économique. Pourquoi s’en est-il trouvé au Bénin des gens qui auraient rêvé, en mars dernier, du retour à la magistrature suprême du « Général Président » qui jouit paisiblement de sa retraite ? Ceux-là seraient-ils déçus de « l’émergence », de « la prospérité partagée », de « la lutte contre la pauvreté », de « la lutte contre la corruption » pour avoir rêvé que l’idéologie du changement allait tout régler comme par enchantement ? Des présupposés s’imposent pour l’efficacité et l’efficience du « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ».
Il faut d’abord que le peuple dispose à la base de valeurs morales, civiques, religieuses que l’on enseigne, auxquelles l’on éduque et dont on témoigne surtout. Car les enfants et les jeunes observent les parents, les enseignants, leurs ainés dans différents domaines. Certains jeunes professionnels tirent déjà leur partie d’une certaine mentalité de profiteur, de calculateur. Il y a ensuite la question de compétences et de qualifications pour les fonctions et responsabilités auxquels on aspire. Nous comprenons parfaitement qu’il faudrait une culture universitaire certaine pour siéger efficacement à l’Assemblée nationale et qu’il ne suffira pas d’avoir du bien au soleil pour aspirer au Parlement. Mais voilà que des calculs et des intérêts font que personne n’ose statuer valablement sur les conditions d’appartenance à cette institution capitale dans la vie d’un Etat démocratique. C’est vrai aussi qu’un excellent officier des forces armées ne fera pas nécessairement un bon Chef d’Etat ni un grand économiste, un ministre valable de la santé par exemple. Ces observations peuvent s’étendre à tous les niveaux de responsabilité et d’administration jusque dans les communes.
En substance la démocratie a besoin de l’éthique et des religions pour devenir ce qu’elle est et favoriser le bien commun et le développement humain intégral en Afrique. Car seul un bon profil éthico-moral doublé de compétence des responsables politiques pourrait garantir et promouvoir le bien vivre des citoyens au sein d’un peuple épris aussi d’idéal moral voire religieux. Car les religions ont également leur place dans l’Etat démocratique laïque. Elles sont censées véhiculer des valeurs éthiques et morales importantes. Pour paraphraser Saint Ignace d’Antioche (N’ayez pas Jésus Christ sur les lèvres et le monde dans le cœur), il ne s’agit pas de proclamer l’Eternel Dieu tout puissant par la bouche et étouffer sa conscience par les vices du mensonge, de la démagogie, de la manipulation, du détournement du denier public etc. Et sachons que le peuple n’est point dupe, qui se révolte et manifeste à travers les rues ou bien qui se résigne et se désintéresse de la « chose politique », toutes attitudes dangereuses pour la démocratie.
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