Forum de vérité : le K.O électoral qui débouche sur une aventure inutile

J’ai lu sans grande surprise la note de présentation du Forum national de vérité et de sursaut patriotique projeté pour les tous premiers jours de Mai 2011 dans notre pays.  Dans le fond, l’idée d’organiser une rencontre entre les filles et fils d’un même pays pour discuter des sujets qui constituent des motifs de préoccupation et s’entendre sur des solutions consensuelles ne devrait à priori gêner personne. La conférence des forces vives de la nation de février 1990 en est une parfaite illustration en ceci qu’elle a d’ailleurs servi de modèle à de nombreux pays sur le continent, chaque pays avec son lot de fortune ou d’aventures.

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Il se trouve que le forum qui est actuellement proposé pose à la fois des problèmes de logique politique, d’éthique, d’opportunité, d’efficacité et d’efficience. Il pose surtout un cas de conscience aux citoyens honnêtes ainsi qu’aux amis et partenaires du Bénin, ceux qui observent l’expérience du Renouveau Démocratique de notre beau pays depuis une vingtaine d’années. Aussi, de nombreuses questions viennent-elles à l’esprit quant on lit la note de présentation préparée et diffusée par l’organisateur en chef du forum, le Médiateur de la République.

D’abord quand le Médiateur fait allusion à la tension et aux incertitudes qui ont caractérisé le processus électoral pour l’élection du Président de la République le 13 Mars 2011, on ne peut penser à priori qu’aux dissensions créées autour de la LEPI réalisée sans consensus, au forceps et réceptionné avec une grande admiration par lui-même en lieu et place de la CENA à quelques heures de la date du premier tour du scrutin et en pleine campagne électorale. Pourquoi le Médiateur qui tient tant à jouer son rôle aujourd’hui, n’a t-il pas songé le jouer hier? Les appels incessants lancés par l’opposition, la société civile, de simples citoyens et des personnes de bonne volonté au régime en place pour s’asseoir autour d’une table et discuter afin d’aboutir à un scrutin apaisé ont été activement ignorés et par le Chef de l’Etat et par le Médiateur de la République. Même les marches de protestation, moyens de pression reconnus et utilisés dans toutes les démocraties du monde n’y ont pas suffi pour obtenir l’ouverture d’un dialogue autour de la LEPI. Tellement une LEPI non consensuelle et truquée était considérée comme la bouée de sauvetage. Pourquoi le Médiateur se sent-il aujourd’hui investi du rôle et du pouvoir de recoller les morceaux après une élection délibérément voulue “kaoteuse”, frauduleuse et confuse?

Venons-en maintenant aux différents thèmes proposés pour le forum

Le premier parle de “ la problématique de la gouvernance au Bénin”. Il est quand même étonnant que certaines personnalités donnent aujourd’hui l’impression que les recommandations issues de la Conférence Nationale de Février 1990 sont si vieilles qu’il faille les classer dans les tiroirs de l’histoire et inventer un Bénin nouveau, à leur goût. Plus que jamais, ces recommandations sont d’actualité parce que toutes liées à la question fondamentale de la bonne gouvernance de notre pays. Le peuple qui, dans sa grande majorité n’y comprend pas grand’ chose (surtout la jeunesse) a besoin qu’on lui présente ces recommandations qui sont les fondements de la nouvelle République née de ce grand rassemblement historique, c’est-à-dire celle du renouveau démocratique. Et point n’est besoin d’aller à un forum pour le faire. Il appartient aux leaders, ceux qui ont la responsabilité de conduire la destinée du pays de le faire, de rester eux-mêmes conformes dans leurs paroles, gestes et vécus quotidiens, dans la droite ligne de ces recommandations, de s’y référer et de les respecter scrupuleusement. Ne pas l’avoir fait surtout au cours des cinq dernières années, notamment en piétinant royalement la constitution et en instrumentalisant ceux qui en sont les gardiens comme on les a souvent vu faire, amène à s’interroger sur ce que veulent ces personnalités qui nous dirigent et dans quelle direction ils conduisent le pays et le peuple.  Suffit-il de parler abondamment de la bonne gouvernance pour la voir se réaliser?

Si l’actuel Chef de l’Etat ainsi que de nombreux autres cadres qui l’entourent peuvent être excusés de n’avoir pas bien assimilé les grandes recommandations de la conférence nationale parce que n’y ayant pas participé, l’actuel médiateur de la République ne bénéficie d’aucune circonstance atténuante. Il en était le rapporteur général et donc logiquement, l’un des gardiens naturels des acquis.

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Au cours des cinq dernières années, notre pays n’a eu qu’à souffrir intensément de la mal gouvernance au sommet de l’Etat avec à la clé, de nombreux scandales financiers non élucidés. Le mal n’est pas du tout dans le peuple comme semble l’indiquer la note, mais au sein de ceux qui gouvernent le pays.  Un forum n’est pas nécessaire pour voir et savoir ce qui s’est passé.

Il en est de même du deuxième thème portant sur “les acquis à sauvegarder et à promouvoir”. Qui mieux que les dirigeants ont les moyens constitutionnels, institutionnels, légaux, humains, matériels et financiers de promouvoir le respect des valeurs républicaines qui sont le fondement de toute action de bonne gouvernance ? Il suffit d’observer les comportements des dirigeants vis-à-vis de la société béninoise. Les entreprises d’étouffement des libertés engagées dès l’avènement de ce régime constituent des contre-valeurs qui ont plombé la démocratie béninoise et ont créé les conditions d’une République bananière ou seuls ceux qui chantent les louanges du Chef de l’Etat sont autorisés à parler.

Avons-nous besoin d’aller à un forum pour savoir que dans une démocratie qui se respecte, les organes de presse publics appartiennent à tous les citoyens, et donc doivent être utilisés pour alimenter et entretenir la flamme de la liberté sans laquelle tout effort de développement est voué à l’échec?

Avons-nous besoin d’un forum pour savoir que caporaliser la presse privée aux moyens d’argent est une bombe à retardement en même temps que cela constitue un déni de démocratie?

A cet égard, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC), surtout l’actuelle mandature a beaucoup de choses à se reprocher.  Le silence coupable devant les dérives exclusionnistes de l’ORTB, ses décisions non respectées et donc jamais appliquées par cet organe ainsi que ses décisions liberticides vis-à-vis des médias privés n’ont d’autres noms que la censure pour soustraire les gouvernants du contrôle social et légitime des citoyens.

Que veut-on nous dire aujourd’hui au forum que nous ne savons déjà sur les acquis de notre démocratie ? Ces acquis ont été réalisés par le peuple et demeurent les acquis du peuple. Les promouvoir et les sauvegarder relèvent d’abord et avant tout de la responsabilité de ceux qui en sont garants parce qu’ayant reçu mandat de nous gouverner. Qu’on laisse le peuple béninois tranquille et qu’on cherche le verre dans le fruit ! Quel exemple donnons-nous du sommet qui puisse servir de modèle à la base, aux citoyens lambda ? Tant que nous allons nous cacher derrière des stratagèmes pour nier ou cacher l’évidence, nous n’avancerons jamais.  Le progrès est au bout de la vérité.  Il n’y pas d’autres alternatives que de faire face à la cruelle et triste réalité de reconnaître que ce dont nous disposons aujourd’hui comme leadership ne nous amènera pas loin.  Nous ferons le bilan en 2016.

Le troisième thème proposé parle de “ce dont nous ne voulons plus”.  Ceci ressemble à de la pure blague et une mise en scène pitoyable.  Après cinquante ans d’indépendance et après avoir réussi aussi brillamment la première conférence nationale jamais organisée sur le continent avec le succès salué dans le monde entier, si nous en sommes encore à chercher à savoir ce dont nous ne voulons pas, cela tourne à la tragédie. Surtout, ne l’oublions pas, le concepteur et promoteur du forum vient à peine de nous sortir le fameux manifeste du symposium du cinquantenaire, il y a à peine cinq mois seulement ! Suffit-il d’agiter des idées, même les plus évidentes pour se blanchir des forfaitures commises au nom du développement ? Nous ne le savons que trop, mettons-nous au travail et laissons le verbiage. Tenez, ceci démontre à quel point les populations sont prises pour des moutons de panurge, sans mémoire et sans défense. Les organisateurs du forum s’attendent certainement à ce que les participants viennent leur dire que:

• le peuple ne veut plus de corruption!

• le peuple ne veut plus de détournement de deniers publics!

• le peuple ne veut plus d’affaire CEN-SAD, de ICC Services, d’affaire machines agricoles et autres scandales dont les Béninois sont devenus les spectateurs passifs, contraints et résignés!

• le peuple ne veut plus de bâillonnement de la presse et d’embrigadement des medias!

• le peuple ne veut plus de passage en force et de refus du dialogue !

• le peuple ne veut plus de régionalisme!

• le peuple ne veut plus qu’on distribue ses deniers dans tous les sens pour faire plaisir à certaines catégories sociales ou personnalités qu’on instrumentalise !

• le peuple ne veut plus de… de… et de… !

Non ! S’il vous plait, notre pays est très en retard et nous devons utiliser notre temps et nos maigres ressources pour améliorer les conditions socio-sanitaires de nos populations plutôt que de les distraire avec les vœux de notre esprit de profiteur et d’opportuniste sans scrupules.  Arrêtons le gaspillage !  Quand le peuple vote et quand les résultats supposés arrangent ceux qui sont au pouvoir, on entend souvent parler et admirer sa maturité politique et louer son esprit de discernement.  Mais on refuse de respecter les règles du jeu démocratique que sont la transparence, l’observance scrupuleuse des textes et surtout pour notre petit pays, l’esprit de consensus et de dialogue.

“Nos exigences citoyennes”, tel est l’intitulé du quatrième thème qui doit alimenter les discussions du forum. Ici encore, nos exigences citoyennes sont connues depuis longtemps et prétendre les ignorer et qu’il faille réunir des centaines de gens, quelle que soit leur provenance dans une salle pour en parler n’est que pure hypocrisie!

Aujourd’hui, la réalité est que le peuple béninois est mal gouverné depuis Avril 2006, avec des méthodes peu orthodoxes et d’un autre âge et qu’un petit groupe semble y trouver son compte et pour régler des comptes nés de leur haine et intérêt personnels. La réalité est que le peuple est  confronté à la corruption, à la gabegie, à une gestion irresponsable et hasardeuse des fruits de ses efforts et à des scandales de tous genres.  La triste et choquante réalité, c’est aussi que le peuple a vécu le dernier scrutin présidentiel le cœur meurtri, la pensée perturbée et avec beaucoup d’amertume. L’article de l’Abbé Alphonse Quenum publié il y a quelques semaines ainsi que la morosité historique dans laquelle une grande partie du peuple est plongé actuellement en disent long.  N’est-il pas assez visible que tout le corps social béninois a été secoué par cette audacieuse et inédite mascarade électorale qui laissera des séquelles indélébiles dans l’histoire de notre jeune démocratie? Quelqu’un, grand acteur de la société civile, a pu écrire qu’il lui semble que certains, par aigreur de n’avoir pas eu les rôles qu’ils ont espéré jouer au sortir de la Conférence Nationale des Forces Vives, se sont «vengés» cette fois-ci ! Ne fermons pas la parenthèse sur de tels propos; ils méritent d’être relevés, analysés et approfondis.

La plaie ouverte est béante et aucune entreprise de racolage politique ne pourra rien y faire. Ma belle sœur (à peine le niveau de l’école primaire) à qui j’ai posé la question dans l’attente des résultats de savoir si elle a voté le 13 Mars, me répondit: “non, je n’ai pas eu de carte d’électeur et on dit même qu’il n’y aura pas de second tour comme d’habitude”. Cela veut tout dire.  Ceux qui ont conçu le forum ont vite oublié que depuis 1991, le peuple béninois a pris l’habitude de célébrer les élections présidentielles, avec beaucoup de joie et de suspense qui confèrent d’ailleurs toute sa beauté à la compétition.  Désormais, il semble qu’on n’aura plus le plaisir des seconds tours au Bénin. Cela est-il une avancée de notre démocratie, au vu de ce qu’on a tous vécu au cours des cinq dernières années? Un forum organisé par les responsables de la frustration et de la mascarade ne pourra rien changer, sinon qu’il constituera un motif supplémentaire de frustration et de rejet du système en place.

Le forum constitue aujourd’hui le rituel expiatoire par lequel ceux qui ont violenté les béninois par leur passage en force veulent recoller les morceaux dans leur conscience. C’est pour cela qu’il n’aura ni valeur, ni sens dans le cœur et la tête des Béninois.

Même si l’opposition politique, pour ce qu’elle compte aujourd’hui de leaders politiques et la société civile (la vraie) ne participent pas au forum, le Médiateur se donnera toujours bonne conscience, celle d’avoir eu comme d’habitude, le génie d’inventer un forum pour distraire les femmes, les hommes et les ressources financières et matérielles limitées de notre pays et le mérite de produire un rapport pour les tiroirs de l’histoire car parti sur une base non consensuelle et donc sans adhésion du peuple.

A L’ETAPE ACTUELLE DE NOTRE PROCESSUS DEMOCRATIQUE, LA LIBERTE DE PRESSE ET LA LIBERTE D’OPINION NE SONT PAS NEGOCIABLES.  LES INTELLECTUELS ET TOUS LES CADRES DE NOTRE PAYS DOIVENT SE BATTRE CONTRE L’ARBITRAIRE ET LE BAILLONEMENT DE LA PRESSE.  NE PAS LE FAIRE, C’EST SE RENDRE COMPLICE DE LA LIQUIDATION PROGRAMMEE DE NOTRE DEMOCRATIE !!

Roland Dokponou

Sciences Politiques,

Annières Villetaneuse (France)

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