Libye : la guerre dans la guerre

L’ «aube» (de l’Odyssée) n’en finit plus de se lever sur la Libye. On reste désespérément en attente du crépuscule du dictateur. L’insurrection s’éternise. La guerre s’enlise. Et la bonne foi a semble-t-il déserté tous les forums. Kadhafi a toujours été connu comme tel : fourbe et retors. L’OTAN, pour la « noblesse » du combat qu’elle a engagé contre la dictature du Guide, aurait pu nous épargner ses arrangements avec la vérité. Les frappes se détournent autant des objectifs de la résolution 1973 qu’elles sont loin de provoquer les désastres que la presse officielle libyenne porte à notre connaissance.

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Mensonges d’Etat contre mensonges d’Etats. Tandis qu’une des parties veut ternir l’image du conflit, l’autre feint de se comporter en légaliste.

 

Il se déroule deux guerres en Libye. La noble. Et l’autre. La résolution 1973 votée par une majorité des pays membres du Conseil de Sécurité des Nations unies, définit clairement les contours de la première. Elle vise la protection des civils. Les pauvres populations libyennes qui ont eu le tort de s’exprimer contre la perpétuation du pouvoir du Guide et de son clan. Et qui, pour le coup, se sont vu promettre une « rivière de sang », une « décafardisation » et une « dératisation » jusque dans leurs bastions. Cette guerre-là est juste. Elle a sauvé juste à temps Benghazi dans la nuit du 20 au 21 mars avant de s’étendre à Misrata, Benjawad, Ajdabiya, Brega, Syrte, Tripoli, etc. Tant qu’elle se mène contre les mercenaires, miliciens et soldats du régime qui s’en prennent sans discriminer aux civils, aux hôpitaux, aux enfants, aux femmes ; qui tirent à l’arme lourde sur les villes et les ports, qui prennent pour cible depuis leurs aéronefs des manifestants désarmés ; cette guerre a toute sa raison d’être. Selon de droit et en vertu de la morale. C’est une résolution de l’ONU qui la porte. C’est la responsabilité de protéger qui la sous-tend.

Mais le conflit en Libye pose un autre problème. Entre les bombes légitimes qui pleuvent sur les forces armées et les centres de commandement de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste, se glissent d’autres aux visées plus perverses. Depuis le début de la guerre, le Colonel Mouammar Kadhafi a déjà échappé par trois fois au moins  à une mort certaine. D’abord quand les avions de la coalition ont visé un centre de commandement à Tripoli à proximité du bunker du Guide. Ensuite quand les bureaux du dirigeant libyen ont été pulvérisés à coups de missiles et enfin, ces derniers jours dans le raid qui aura coûté la vie à son fils Seïf al-Arab et à trois de ses petits-fils au moins. A en croire l’agence de presse officielle, le Colonel Kadhafi aurait miraculeusement échappé à la mort, puisqu’il se serait trouvé dans les locaux au moment de l’attaque.

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Mais alors question : qui en veut à la vie de Mouammar Kadhafi ? Au nom de quelles dispositions du droit international ou tout au moins de la résolution 1973, veut-on supprimer le Guide libyen ? Faut-il, dans un conflit international que l’on veut gagner par tous les moyens, s’en prendre directement au Commandant en chef de l’armée ennemie ? Je ne suis peut-être pas un excellent stratège militaire, mais je pense bien qu’il est parfois nécessaire d’en arriver à cette extrémité. Quand est coupée la tête du serpent, le corps tout entier en est vaincu. Et la voie de la reconstruction et de la démocratisation peut être entamée. Sauf que dans le cas de la Libye, il n’a jamais été prévu qu’il fallait à la communauté internationale faire changer de régime au pays. Il n’a jamais été question que l’OTAN, en charge de la mise en application de la résolution 1973, aille au-delà de la protection des civils. C’est en cela que cette seconde guerre, cette guerre dans la guerre, cette extrapolation de la guerre est tout-à-fait illégitime. Je n’ai pas dit amorale, mais illégitime. S’il fallait chasser du pouvoir le Guide, il aurait fallu que l’ONU l’ait décidé selon les procédures requises.

Mais ainsi que tous les observateurs le savent, ce type de résolution relève de l’imaginaire le plus utopiste. La responsabilité qui consiste à décider de chasser du pouvoir un dirigeant quelconque, en foi des reproches que l’on peut lui faire, est trop lourde pour que les Etats membres du conseil de sécurité de l’ONU décident de l’assumer. C’est une boîte de Pandore que les Etats ne sont, en l’état actuel du droit et de la morale internationale, pas en capacité d’ouvrir. Même si leurs intérêts égoïstes en Libye les incitent à travestir la résolution ultérieurement votée pour arriver à leurs fins.

La guerre en Libye n’aura de fin que si le Guide tombe. Et pour en arriver là, ce n’est pas seulement Mouammar Kadhafi qu’il faut supprimer. C’est le mythe d’invincibilité qui entoure sa personne qu’il faut dissiper. Et les attaques ratées qui s’accumulent dans son sillage ne contribuent nullement, pour l’instant, à ce faire.

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