Quelques mois après son lancement officiel à Cotonou, le livre « Le Roi Béhanzin : Du Dahomey à la Martinique » de signé Patrice Louis, suscite déjà des réactions. L’ouvrage retrace les différentes péripéties qui ont jalonnées les 12 ans d’exil du roi Béhanzin. Mais à travers les lignes de cette œuvre, se retrouvent des imperfections, des incohérences et autres faits sortis du contexte de cette époque de l’histoire du Dahomey et de l’Humanité, selon Jean Roger Ahoyo.
Dans une lettre à l’auteur, l’ancien ministre de Soglo et arrière-petit-fils du Roi Béhanzin apporte certaines clarifications.
Cher Monsieur,
Je n’ai pas pu assister au lancement de votre ouvrage le 6 Mai 2011 à la librairie BUFFALO, et je l’ai un peu regretté.
Mais comme je vous l’ai promis au téléphone, voici mes observations sur le contenu de l’ouvrage que vous venez de consacrer à mon arrière – grand- père, le Roi GBEHANZIN.
D’abord quelques remarques préliminaires.
Je vous félicite pour la forme, votre style est alerte et rend l’ouvrage agréable à lire.
Ensuite je vous remercie pour vos remerciements. En effet, vous m’avez fait l’honneur de me citer parmi les personnes qui vous ont aidé. Merci encore!
Voici maintenant nos observations sur le fond, page par page.
1 – Le despotisme
Vous qualifiez le Roi GBEHANZIN de despote. Sauf erreur de part, le terme revient cinq fois (au moins) sous votre plume, aux pages 9,13,65,72 et 101!
Selon le LITTRE, le despote gouverne avec une autorité absolue et arbitraire. C’est un tyran.
Le Roi GBEHANZINN n’était pas un monarque constitutionnel, encore moins un démocrate ! De son temps le régime démocratique n’existait évidemment pas !
Mais le présenter avec insistance comme un despote m’oblige à faire deux observations:
a) La Monarchie Dahoméenne était une monarchie absolue. Mais, elle était encadrée par deux freins puissants qui empêchaient le Souverain de tomber dans l’arbitraire : La Tradition et le Fâ
– La Tradition – le Roi était assisté, dans la direction de l’Etat par un Conseil du Trône
qui comprenait le VIDAHO et les Ministres au nombre de neuf (09), et qui l’aidait à diriger selon la Tradition. Le Roi ne décidait dont pas seul, il ne décidait qu’en dernier recours, après avoir pris les avis des membres du Conseil du Trône.
Le Fâ – Ensuite, aucune décision importante n’était prise sans la consultation préalable du Fâ.
On sait ce qu’il en coûta au Roi AZANDOZAN d’avoir pris des libertés avec la Tradition. Il fut destitué et son nom effacé de la liste royale du DANXOME.
Quant au Roi GBEHANZIN il perdit son royaume et fut contraint à l’exil pour avoir refusé d’obéir à la sentence du Fâ, énoncée par le Bokonon GUEDEGBE, sur la guerre avec les Blancs.
b) Le Roi GB EHANZIN a dirigé le DANXOME en temps de guerre, c’est-à-dire dans les conditions exceptionnelles entraînant des pouvoirs spéciaux.
Personne ne peut donc nier que le Roi GBEHANZIN a dirigé son royaume avec une grande Autorité. Mais il n’était pas le tyran sanguinaire que la presse colonialiste française de l’époque s’acharnait à dénigrer , pour justifier l’entreprise de conquête coloniale.
2 – Villégiature.
Présenter l’exil de douze (12) ans du Roi en Martinique comme une villégiature, me paraît totalement erroné, inacceptable, voire même incongru !
Selon le LITTRE , la villégiature est un séjour que les personnes âgées font à la campagne pendant la belle saison . L’exil politique n’a rien de commun avec un voyage d’agrément ou une promenade de santé. Ce terme m’a vraiment surpris sous votre plume, à la page 10
3 – Citation
A la page 18 vous mettez cette déclaration dans la bouche du Roi « Moi, répond-il, je vous emmerde. Avec tout mon argent, je vivrai bien et plus tranquillement ailleurs.», en réponse aux siens venus le renier. Cette citation me parait totalement invraisemblable pour quatre raisons
a) Ce langage est trop ordurier pour être tenu par le roi
b) Même prisonnier, le Roi GBEHANZIN inspirait encore une grande crainte. Je vois donc mal les siens lui faire face pour l’injurier.
c) De quel argent parlez- vous ? Le prisonnier qui partait en exil avait – il une fortune ?
d) Aucun Roi du DANXOME ne peut envisager une vie tranquille hors de son royaume
4 – La Princesse AGBOKPANOU
Contrairement à ce que vous écrivez à la page 23, elle était la plus jeune des trois filles du Roi qui l’ont accompagné en exil. La plus âgée était la princesse KPOTASSI, devenue Nan MITON au retour d’exil.
6 – Hilarité
A la page 34 vous écrivez « Et c’est hilare, fumant une longue pipe, qu’il se présente. »
Le LITTRE donne deux définitions de l’hilarité :
– Une joie douce et calme
– Une gaité subite
On peut affirmer, sans risque de se tromper, que le Roi GBEHANZIN, en débarquant à la Martinique, était tout, sauf hilare ! Cela ne ressemble pas au personnage qui se drape toujours de dignité, voir de majesté en public!
6 – La règle de succession
A la page 41, vous écrivez qu’ « En principe, c’est l’aîné qui est l’élu, mais la règle n’est pas absolue » L’histoire de la dynastie des Houégbadja n’a pas confirmé la règle de la primogéniture . Peut-être au début, de HOUEGBADJA à AKABA ! Encore faut-il bien vérifier ce point! Très rapidement c’est le choix du VIDAHO qui s’est imposé comme principe. Il est choisi par le Roi sur la Base de critères précis. Entres autres critères, on peut citer :
a) Ne pas être de mère princesse.
b) Ne pas avoir de malformation physique.
c) Avoir des qualités reconnues dans le domaine artistique : Savoir composer des chansons et savoir les chanter, savoir danser….etc
Pour le reste, le VIDAXO est choisi au terme d’un véritable combat fratricide. Au DANXOME le pouvoir se dispute et s’arrache; et c’est le plus fort des enfants, sur tous les plans (y compris occulte) qui s’impose et l’emporte.
7- La curiosité de Ouanilo
A la page 42, vous soulignez avec raison la curiosité du Prince Ouanilo; c’est parce que son »Joto » (père spirituel) est le Roi AGONGLO- Les enfants nés sous le signe de ce Roi sont, en effet, censés être :
Très curieux, voire intelligents
Partisan de la paix, de la bonne entente entre les individus
8 – La Contradiction
A la page 47, vous écrivez que le Roi GBEHANZIN envoyait ses cuisiniers se former auprès des maîtres-queux de Paris ! Quel prisonnier de luxe, voire de grand luxe !!! C’est plutôt surprenant quand on sait, comme vous l’écrivez vous-même à la page 57, qu’ « Au Fort , les femmes s’occupent des obligations ménagères. Elles établissent des menus à base de mil. » C’est pour préparer les plats à base de mil que le Roi envoyait ses cuisiniers (il avait surtout des cuisinières, ses femmes et ses filles ! ) se former à Paris ?
La contradiction saute aux yeux! Avec une pension chichement servie, et qui va en diminuant (certains journaux ont même dénoncé la ladrerie de la République) le Roi ne pouvait certainement pas se permettre des fantaisies gastronomiques ! Comme vous l’écrivez vous – même aux pages 44 et 45 : « BALLOT réduit les frais à deux milles francs par mois, puis à mille cinq cents. La tribu doit s’en satisfaire, sachant que l’allocation doit couvrir les frais de scolarité de Ouanilo, soit neuf cent trente francs par an. »
Sachant tout cela vous ne deviez par céder à la tentation de rapporter « ce qu’avance l’envieuse chronique . » Un prisonnier, même royal qui envoie ses cuisiniers se former à Paris, c’est une plaisanterie de mauvais gout!
9 – DOODS, Colonel ou Général ?
A La page 66 vous écrivez que le corps expéditionnaire français qui entre à Abomey le 17 Novembre 1892, était dirigé par le Général Dodds. Non ! C’est l’encore Colonel qui est rentré a Abomey à la tête de ses troupes . C’est au soir de cette victoire, mais après l’entrée dans Abomey, qu’un câblogramme lui a conféré le grade de Général.
10 – Le Fâ
A la page 69 vous écrivez que GOUTCHILI a été nommé par les Français après consultation du Fâ par GUEDEGBE. Ce sont les Français qui ont demandé cette consultation ? Certainement pas, le Fâ ne faisant pas partie de leurs méthodes de direction ou de décision. Ecrire que
GBEHAN ZIN a validé cette consultation
( qu’il n’a absolument pas demandé ! ) et qu’il a donné les sandales sacrées à GOUTCHILI pour assurer »son intérim » sur le trône du DANXOME , relève d’une affabulation . Vous avez raison de conclure votre développement sur AGOLI – AGBO en écrivant que « GBEHANZIN seul connait la vérité ». Mais cette vérité n’est pas très difficile à deviner, car si le Roi avait effectivement confié l’intérim du royaume à son Gaou :
– Primo – Il en aurait parlé à sa famille pendant l’exil
– Secundo – La relation entre les collectivités Royale GBEHAZIN et AGOLI – AGBO ne serait pas marqué par le fort degré de haine qui, malheureusement, perdure plus de cent ans après cette succession manquée !
11 – Le Prince Frédéric
Ecrire à la page 85 que le père du petit Fréderic , né le 11 Mai 1901 de la princesse AGBOKPANOU , et d’un autre milieu, est faux comme vous le savez . Son père, c’est bien le Prince Ouanilo , petit frère de la princesse AGBOKPANOU! Cent dix (110) ans après, s’acharner à cacher cette relation incestueuse, me parait dérisoire.
Il suffit d’ajouter, de préciser, que le Roi rentra dans une grande colère quand il sut la vérité
Cacher cette relation incestueuse , par des phrases alambiquées, me parait d’autant plus dérisoire que quelques pages plus loin, et plus précisément à la page 118 , vous écrivez fort justement que : « Abopanou, qui adore ses frères donne naissance à un autre fils, Félicien qu’elle doit à Danha. »
12 – Louis SOUFFLER
Le père de la petite Andréa ( ma mère !) serait un officier de cavalerie de nom de Louis SOUFFLER; Quand j’étais jeune on m’avait dit , que c’est pour des raisons de carrière qu’il ne déclara pas sa fille à sa naissance ! Nos recherches sur Internet infirment cette thèse; peut être qu’en interrogeant les archives militaires (à Vincennes et à Aix-en Provence) nous découvrirons la vérité . Page 86
13 – Des Amours secrètes
A la page 87, vous écrivez , parlant du Roi BEHANZIN, que : »les amours secrètes ont pu engendrer quelques princes et princesses qui ignorent leur parenté avec Ouanilo et ses sœurs. Des familles martiniquaises prolongeraient discrètement la royale lignée dahoméenne. Et ce ne serait que Justice ».
Voilà une thèse séduisante que beaucoup de personnes (y compris des descendants du Roi) se complaisent à répéter encore aujourd’hui ! Mais permettez moi d’en douter fortement pour la raison suivante : Avant de lui accorder quatre épouses pour meubler son exil le conquérant Français , prévoyant , avait pris une précaution demeurée secrète : Elles ont été stérilisées ! La pension du Roi étant chichement calculée, il n’est pas question qu’une fois arrivé en exil, il se mette à fabriquer des négrillons à tout de bras pour meubler ses loisirs ou tromper son ennui ! La précaution initiale dont je viens de parler a dû se prolonger par des instructions fermes données au Gouverneur de la Martinique pour empêcher les « amours secrètes »
Et puis, s’il y avait eu ces descendants, le Roi et sa famille l’auraient su et en auraient parlé pendant leur séjour. Et les intéressés eux-mêmes, s’ils avaient exilé vraiment, auraient cherché à se faire reconnaître, compte tenu du prestige du Roi.
14 – L’hyperpolygamie
A la page 111, vous écrivez que le roi GBEHANZIN avait des dizaines de femmes qui lui ont donné quatre vingt (80) enfants; quant à son père le Roi Glèlè il n’alignerait pas moins de huit cent (800) épouses !!! Ces chiffres relèvent de l’affabulation ! Les Rois du DANXƆME étaient certes des polygames, mais il ne faut rien exagérer.
15 – Enfin, le convoi funéraire.
Les cendres de Roi GBEHANZIN ont été convoquées à Abomey, selon votre description à la page 120, par deux voies :
-D’abord à bord d’un bâtiment qui aurait remonté l’Ouémé – Quel est le nom de ce bâtiment ?
-Ensuite par le rail;
Permettez-moi de douter de votre
version pour deux raisons :
– Primo . On ne voit pas très bien pourquoi on aurait rapatrié le corps du Roi par le fleuve. Pour entourer ce retour du maximum de discrétion ? On comprend que la canonnière OPALE ait conduit le souverain déchu à KOUTONON en descendant l’Ouémé; le pays venait d’être vaincu et la voie de terre n’offrait aucune garantie de sécurité! Mais plus de trente ans plus tard, choisir la même voie dans un pays déjà pacifié, pour acheminer ses cendres à ABOMEY, ne me parait pas justifié.
– Secundo. Selon le Professeur Joseph Adrien DJIVO qui a consacré sa thèse d’Etat au Roi GBEHANZIN, c’est par le rail que les cendres sont revenues à Abomey. Dans une description émouvante, il a relaté comment à chaque gare, à chaque arrêt, les populations rassemblées se prosternaient dans la poussière pour saluer le retour de leur Roi. Cette version me parait plus juste dans la mesure où, en 1928 le rail reliait déjà Cotonou à Abomey. En effet la grande voie de pénétration Cotonou Parakou, commencée en 1900 sous l’impulsion du Souverain Victor Ballot, avait déjà atteint Savè en 1912 , en attendant de joindre Parakou en 1936 . Mais dès 1906, Bohicon inaugurait sa gare. Et le 1er mars 1927, la ligne ABZ (Abomey-Bohicon -Zagnanado) longue de 49 km était ouverte !Ainsi, un an avant le retour des cendres, la voie ferrée était prête pour les acheminer de Cotonou jusqu’à DJIME!
Cher Monsieur, voila les observations que m’inspire la lecture de votre ouvrage. J’espère qu’elles vous seront utiles.
Très cordialement
Jean Roger AHOYO
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