Libye : après la fin d’un temps, le temps des incertitudes.

Et ce qui devait arriver arriva. Condamné à finir, le régime de Mouammar Kadhafi s’est écroulé devant une insurrection politico-militaro-civile disparate portée à bout de bras par une communauté internationale pas désintéressée du tout. Même s’il reste introuvable, le désormais ex-Guide de la révolution libyenne est réellement fini. Il laisse un pays riche et exsangue, grand et malade, aux mains d’une coalition hétéroclite d’ex-partisans et d’adversaires dont les réelles capacités à assurer une alternance responsable sont mal connues. Entre souhaiter la fin de la dictature et en assumer les conséquences réelles, le peuple libyen se réveille doucement à l’éclosion des nouvelles réalités de la Libye de demain.

L’ordre est mort, vive la chienlit ! Ils n’oseront pas le dire. Il est impensable qu’ils l’avouent. Mais les nouveaux maîtres de la Libye libre ne sont pas arrivés avec un plan coordonné de gouvernance et de redressement politique et économique dans leurs valises. Le Conseil national de transition (CNT) dont la plupart des membres restent dans l’anonymat en dépit de la chute du régime de Tripoli, a publié une feuille de route qui semble bien plus être destinée à attirer le reste de sympathie de la communauté internationale qui lui manque, qu’à organiser l’après Kadhafi. Il est en effet de notoriété publique que des divisions profondes existent au sein de cet organe auquel le monde entier ou presque est progressivement en train d’accorder la légitimité internationale qui lui faisait défaut. Ces dissensions seraient même en cause dans l’attentat qui a couté la vie au général Younes, chef militaire du CNT, quelques semaines seulement avant la prise de Tripoli. Sans compter que de nombreux combattants parmi ceux qui ont participé à la prise de la capitale ne se reconnaissent pas dans le CNT surtout perçu comme l’aile politique de l’insurrection venue de Benghazi.

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La publication d’une feuille de route annonçant un Etat laïc et libre, avant même la chute du régime et la jonction des forces combattantes est en effet de l’ordre du dilatoire. Pendant que certains des insurgés sont des islamistes patentés qui ont combattu sur d’autres fronts leurs actuels alliés, d’autres ne sont que de très ordinaires citoyens libyens qui ont décidé de prendre les armes pour répondre au déluge de feu des forces kadhafistes sur une population désarmée. Il est donc évident que les uns et les autres ne voient pas l’avenir du même œil. Sans oublier cette communauté occidentale qui s’est massivement engagée dans les hostilités et sans laquelle la chute de Mouammar Kadhafi serait pour toujours restée de l’ordre de l’utopie. Celle-là plus que quiconque attend aussi que s’éclaircissent les horizons afin que sa part de rétribution lui soit accordée pour l’immense service rendu. Sans perdre de vue, j’espère, l’éventualité que les gentils alliés d’aujourd’hui peuvent se muer en d’irréductibles ennemis comme ce fut déjà le cas en Afghanistan, en Irak et ailleurs.

Quant au peuple libyen qui a, dans d’assez larges proportions, souhaité la fin du régime dictatorial du Guide, il lui faudra apprendre à vivre avec la peur au ventre ; et peut-être même quelque chose de plus que la peur : la faim. Le régime de Mouammar Kadhafi était un régime socialiste, au-delà de ses particularités. Les affres du brusque passage au libéralisme incontrôlé, avec ses aléas incommensurables, vont sans aucun doute surprendre un peuple mal préparé et mal informé sur les conséquences de la liberté à tout prix. Il est vrai, dès que la situation se sera stabilisée, le nouveau régime devrait sans trop de difficultés pouvoir réunir les moyens de remettre la Libye dans le sens de la marche que lui avait instillé le Guide. Mais rien ne le garantit, d’autant plus que ces pratiques ne sont généralement pas admises par les institutions de Bretton Woods. Il y a des chances, et il y a des risques.

Les derniers combats pour la fin de l’ère Kadhafi font trembler les montagnes de l’ouest et du désert. Le Colonel et ses fils se cachent peut-être à Syrte, sa ville natale ou auprès d’insoupçonnables partisans ailleurs dans le pays ou déjà hors de la Libye. Ce qui n’est plus un problème pour les uns semble le devenir pour d’autres. Le sort du seul Roi des rois traditionnels de l’histoire de l’Afrique est en discussion et en ballottage. Quoi qu’il puisse en être, les Libyens, ceux en tout cas qui ont travaillé à en arriver là feront le bilan de leur action dans les semaines et les mois à venir. Et la révolution aura passé ou trépassé. Comme en ex-Union soviétique, en Afrique décolonisée, en Chine nationaliste, viendra le temps des remords. Les changements même les plus souhaités, ont leur part d’amertume. Et la Libye rêve de plus de changement que d’amertume.

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