Prolifération des centres et cabinets de santé au Bénin : mutisme ou impuissance de l’autorité ?

Au Bénin, parmi les causes qui justifient la mauvaise qualité des soins administrés aux usagers, on peut citer la prolifération anarchique des centres et cabinets de santé. Dans tous les coins de rue, on trouve des centres ou cabinets de santé. A voir de près, on est tenté d’affirmer que le Ministère en charge de la Santé n’arrive à rien faire en ce qui concerne le respect de la réglementation en la matière.

Est-ce que l’autorité en charge de la santé est en mesure de nous communiquer le nombre exact de centres et cabinets de santé qui exercent au Bénin ?

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En tout cas pour l’instant, il est presqu’impossible à cette autorité de donner ce chiffre malgré que la pyramide sanitaire béninoise est l’une des meilleures de la sous-région. En effet, malgré cette importante et pertinente organisation, l’autorité en charge de ce secteur n’est pas en mesure de fournir le chiffre exact des centres et cabinets de santé qui opèrent sur l’ensemble du territoire national. La carte sanitaire nationale ne peut appréhender l’ensemble des centres et cabinets de santé qui exercent au Bénin. Partout et dans tous les coins de rue, on a un cabinet de santé ou un centre de santé. Cette situation est inacceptable puisque la plupart des erreurs médicales viennent de ce secteur avant d’échouer dans nos centres de référence.  Même si un chiffre peut être annoncé au niveau du ministère en charge de la santé de la population, tous les Béninois savent que ce chiffre sera en déphasage avec la réalité. En tout cas, cette information que l’on retrouve sur le site de certains ministères de la santé des pays de la sous région n’est pas disponible sur le site internet du ministère de la santé du Bénin qui entre autre nécessite une actualisation.

Cette prolifération anarchique des centres et cabinets de santé occasionne de graves conséquences allant jusqu’à la perte de nombreuses vies humaines.

Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler des nombreux cas observés ça et là au Bénin. Une jeune fille nommée ZJ enceinte de  quatre mois de grossesse a quitté le domicile de ses parents et n’en n’est pas revenue. Alors qu’elle était recherchée par ces derniers durant deux jours, elle appelle son frère lui demandant de venir la voir à Godomey. Le frère et le présumé auteur de la grossesse à la suite de quelques informations se retrouvent aux fins fonds de Godomey (un endroit à accès difficile dans la commune d’Abomey-Calavi) dans un cabinet de santé. Après quelques échanges avec le soit disant responsable du centre appelé « major », il leur a été demandé d’attendre leur sœur qui suivait une intervention à l’intérieur. Dans cette attente et n’entendant plus un signe de vie, ils décidèrent de rentrer dans la chambre  à coucher qui servait de salle de consultation et de soins. Ce fut effroyable la découverte. Le major ainsi que les agents de santé qui quelques instants avant parlaient entre eux dans cette salle dite de soins ont disparu par l’arrière cour en laissant la nommée ZJ sur le lit dans un bain de sang. S’étant rapprochés de la victime, les deux hommes (le beau frère et le frère de la victime) ont constaté que ZJ était décédée.

Voilà des agents de santé qui abandonnent un malade après avoir exercé sur elle des traitements ayant entrainé sa mort. Le parquet du Tribunal de Première instance de Cotonou a été saisi, une autopsie du corps de la défunte a été faite et la procédure est en cours. A ce jour, les agents de santé concernés sont en cavale et sont activement recherchés par la police.

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En analysant ce cas qui s’est déroulé en pleine ville, on peut se poser beaucoup de questions.

 

Comment expliquer l’existence juridique de ce cabinet de santé  puisque l’ouverture d’un centre ou cabinet de santé est subordonnée à une autorisation de l’autorité en charge de la santé publique ?

Comment expliquer que les agents travaillant dans ce centre ne sont toujours pas identifiés alors que l’autorisation du ministère en charge de la santé devant leur permettre d’exercer doit contenir forcément leur identification effective ?

La loi n° 97-020 du 17 juin 1997 fixant les conditions de l’exercice en clientèle privée des professions médicales et paramédicales n’est-elle pas applicable au Bénin pas au Bénin ?

 

Quel contrôle exerce-t-on sur les nombreux centres de ce genre que nous trouvons dans nos quartiers et villages ?

Que fait-on du décret n° 2000-451 du 11 septembre 2000 portant application de la loi n° 97-020 du 17 juin 1997  portant fixation des conditions d’exercice en clientèle privée des professions médicales et paramédicales et relatif à l’ouverture des centres de santé à vocation humanitaire en République du Bénin qui responsabilise personnellement en son article 4 le ministre de la santé publique en ce qui concerne les bonnes conditions de fonctionnement des centres de santé notamment les centres de santé à vocation humanitaire au Bénin ?

Une étude effectuée en 2005 au Bénin a révélé que 13 cas ayant rapport à des infractions plus ou moins liées à des fautes médicales et paramédicales ont été recensés au tribunal de Cotonou. Il s’agit, pour la plupart des cas d’exercices illégaux de la fonction médicale : à savoir 6 cas d’avortement ; 1 cas d’homicide ; 3 administrations de substances nuisibles à la santé ; 1 cas d’exercice illégal de pharmacie  et 2 cas d’exercices illégaux d’activités sanitaires. Sur les 13 cas recensés, un agent de santé a été cité non pour avoir fait l’avortement, mais pour avoir administré du sérum antitétanique à un patient. Un autre jugement a mis en cause un meunier qui se faisait passer pour un chirurgien. Il a confondu  une hernie à un abcès et l’a incisé. Conséquence : l’intestin grêle de la victime a quitté sa cavité et mort s’en est suivie. Le meunier ‘chirurgien’ assigné en justice a écopé de 12 mois de prison avec sursis et payé une amende de 75.000 FCFA et 1.200.000 de FCFA pour la partie civile.

Au Tribunal  de Première Instance de Porto-Novo, 3 cas ont été recensés. Le premier serait relatif  à l’usage de faux en écriture, falsification de cachet et documents médicaux pour pratique illégale et clandestine de la médecine. Une autre  infraction qui a défrayé la chronique en son temps était relative à une sage-femme diplômée d’Etat qui avait été accusée de défaut d’assistance à une femme en travail. La victime décédée à la maternité de Porto-Novo des suites d’une chute de la table d’accouchement, la sage-femme a écopé de 6 mois de prison avec sursis et a payé une amende de 100.000 FCFA.

La plupart des cas de mauvaise qualité de soins entrainant la mort des patients sont réalisés dans les cabinets et centres de santé du Bénin. Au Bénin, tout le monde y compris les non-professionnels peuvent avoir un cabinet ou un centre de santé. Certains agents de santé qui guettent toutes les opportunités pour se faire de l’argent ouvrent sous le couvert des organisations à vocation humanitaire des centres de santé. Parmi ceux qui exercent dans ces nombreux centres de santé, on trouve les prétendus diplômés sans emploi formés dans les conditions les plus médiocres ou ceux qui se sont formés dans des cabinets ou cliniques de soins privés.

Notre pays le Bénin en cette matière de suivi des centres ou cabinets de santé a rangé tous les textes réglementant la matière dans les placards. Dans ce secteur important qui devrait être sérieusement contrôlé, on laisse faire tuant des valeureux béninois. En effet, il suffit d’avoir son argent et même si l’on n’est pas agent de santé, on peut ouvrir un  cabinet ou centre de santé. Dans ce cabinet qui exerce illégalement on recrute n’importe qui, pourvu que l’argent rentre. Les agents de santé encore en fonction ouvrent des cabinets et convergent les malades venus en consultation dans le secteur public dans leurs cabinets sans même en être inquiétés.

Dans ce laisser-aller grave qu’on observe dans ce secteur, le Bénin dispose pourtant  depuis 2000 des textes qui réglementent l’ouverture des centres de santé ou cabinets de santé.

Sans être limitatif, on peut citer entre autres :

– la loi  97-020 du17 juin 1997 fixant les conditions de l’exercice en clientèle privée des professions médicales et paramédicales.

– Le décret n° 2000-409 du 17 août 1997 portant application de la loi 97-020 du17 juin 1997 portant fixation des conditions d’exercice en clientèle privée des soins infirmiers

– Le décret n°2000-451 du 11 septembre 2000 portant application de la loi 97-020 du17 juin 1997.

L’analyse des textes cités montre que les instruments juridiques existent et réglementent le secteur. Le seul élément qui manque est la volonté des acteurs en charge de ce secteur  à les mettre en pratique.

A voir comment les choses se passent  on se demande si ces derniers ne sont pas au Bénin et constatent les conséquences graves qu’engendre leur inaction ?

Il faut arrêter ce fléau de « prolifération des centres et cabinets de santé » qui tue la population béninoise. La vie de nos frères et sœurs vivant dans nos hameaux (le Bénin profond) en dépend.

La vie humaine est sacrée c’est que confirme notre constitution en son article 8 qui dispose que « la personne humaine est inviolable. L’État a l’obligation de la respecter et de la protéger. Il lui garantit un plein épanouissement. À cet effet, il assure à ses citoyens l’égal accès à la santé, l’éducation, à la culture, à l’information, à la formation professionnelle et à l’emploi ».

Le droit à la santé est donc du devoir de l’État qui doit œuvrer à sa promotion et à sa protection.

C’est bon de lancer de vastes programmes pour partager les moustiquaires au Béninois mais ce serait aussi capital de commencer à contrôler les centres ou cabinets de santé qui s’ouvrent à tort et à travers.

Le droit à la santé ne peut être accordé que par les programmes dits « césarienne gratuite, Couverture universelle, soins de santé gratuit aux enfants de moins de                5 ans…. » Il faut assainir le secteur en y sortant les milliers de personnes qui exercent illégalement ou qui violent impunément les textes de la République. Les disfonctionnements observés dans ce secteur ont permis l’éclosion de ce que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)  a appelé dans l’un de ses nombreux rapports sur la question « une marchandisation incontrôlée et déréglée de la santé » au Bénin.

 

Dans notre pays, on ouvre les centres de santé sans aucune autorisation. On trafique les autorisations qui deviennent des effets de commerce à céder au plus offrant. Dans presque tous les coins et recoins du pays, on retrouve des centres de santé crées par les Organisations  Non Gouvernementales (ONG) sans aucune autorisation de l’autorité compétente.

Et pourtant, une législation existe et réglemente depuis le 17 juin 1997, l’exercice en clientèle privée des professions médicales et paramédicales.

Selon cette loi de 32 articles, tous les cabinets médicaux y compris les Centres de Santé à vocation humanitaire doivent avant toute ouverture officielle, obtenir une autorisation individuelle de l’exercice en clientèle privée des professions médicales et paramédicales. Pour aider à l’application de cette loi, des textes d’application ont été pris depuis 2000. Ces textes que détiennent les acteurs de ce ministère réglementent clairement le secteur.

On peut citer à titre indicatif quelques obligations qui y sont contenus :

Selon l’article 1er du  décret n° 2000-409 du 17 août 2000 portant application de la loi n° 97-020 du 17 juin 1997 portant fixation des conditions d’exercice en clientèle privée des soins infirmiers,  le cabinet de soins infirmiers est un centre de soins prescrit par un médecin et assuré par un infirmier dans les limites de ses compétences. Les articles 4 et 5 de ce même décret disposent que l’implantation d’un cabinet de soins infirmiers doit répondre aux besoins de la Communauté et garantir l’accessibilité géographique et socio-culturelle. Le cabinet  de soins infirmiers doit être identifié par une enseigne portant :

– la dénomination du cabinet

– les nom et prénoms du ou des promoteurs

– les références de son  ou de leur autorisation.

Quant aux articles 7 et 8, ils stipulent que «  Nul ne peut être autorisé à exploiter plus d’un cabinet de soins infirmiers. Les cabinets de soins infirmiers sont astreints à la transmission des rapports annuels d’activités ainsi qu’aux inspections périodiques ».

En ce qui concerne l’arrêté n° 3667/MISP/DC/SGM/DNPS/SSHCC fixant les conditions et normes des établissements sanitaires objets de la loi n° 97-020 du    17 juin 1997, il dispose que : « Tous les établissements sanitaires doivent être construits en matériaux définitifs et indépendants de tout autre bâtiment d’une même concession. Tout professionnel de santé qui prodigue des soins à domicile doit avoir une autorisation d’exercer en clientèle privée. Tous les établissements de santé doivent être identifiés par une enseigne de 30 cm sur 25 portant les noms et prénoms du ou des responsables et le numéro d’autorisation de l’établissement ». La réglementation 3667 à travers son article 7 a même fixé le minimum que doit avoir un cabinet médical. Il s’agit pour ce qui concerne :

– les locaux : une salle d’attente, une salle de consultation, une salle de soin, des toilettes dans un bon état de salubrité, une source d’eau potable et d’énergie.

– le personnel permanent : un médecin, un infirmier, un aide soignant, un ou deux agents d’entretien ou de service.

Cette situation donne à penser à une impuissance de l’autorité en charge de ce ministère. Pourtant à la lecture des textes réglementant la matière, la responsabilité personnelle du Ministre en charge de la santé publique est entière. En effet, selon l’article 4 du décret n° 2000-451 du 11 septembre 2000 portant application de la loi n° 97-020 du 17 juin 1997  portant fixation des conditions d’exercice en clientèle privée des professions médicales et paramédicales et relatif à l’ouverture des centres de santé à vocation humanitaire en République du Bénin, c’est au Ministre de la Santé Publique qu’il est demandé de veiller aux bonnes conditions de fonctionnement des structures de santé à vocation humanitaire au regard de leur mission. Il devra à ce titre :

– assurer leur inspection périodique

– veiller au caractère non lucratif des activités des centres de santé à vocation humanitaire.

Les centres de santé à vocation humanitaire sont des établissements sanitaires à but non lucratif ouverts par des groupes confessionnels ou caritatifs et dirigés par des professionnels de la santé (Médecins, sages-femmes, infirmiers selon le cas).

Si nous savons à travers l’article 7 de ce décret que  l’autorisation d’exploitation ou d’ouverture d’un centre de santé à vocation humanitaire définie  à l’article 1er de la loi n° 97-020 du 17 juin 1997 est subordonnée à l’introduction d’un dossier au ministre de la Santé, Président de la Commission technique chargée de l’étude des demandes d’autorisation d’exercice en clientèle privée, il va s’en dire que l’absence de contrôle à ce niveau incombe d’abord et avant tout au ministre en charge de ce secteur.

Il faut donc lancer la réforme à ce niveau si du jour au lendemain on ne veut pas se voir interpeller devant les juridictions pour défaut d’actions.

La réforme qui peut se faire en trois phases consistera à:

1- demander une régularisation et une identification des centres et cabinets de santé existants dans un délai bien déterminé ;

2- revoir et réactualiser  l’arrêté n°2723/MSP/DC/SGM/DNPS portant création et nomination des membres de la commission technique chargée de l’étude des demandes d’autorisation d’exercice en clientèle privée et d’ouverture d’établissements sanitaires pour les professions médicales et paramédicales et procéder à la nomination des médecins et pharmaciens inspecteurs comme le recommande la loi n° 97-020 du 17 juin 1997  en son article 21.

3- effectuer sur l’ensemble du territoire national des inspections en vue d’une part, de procéder à la fermeture des centres et cabinets qui ne respectent pas la réglementation et d’autres part, établir un recensement exhaustif et juste des centres et cabinets de santé exerçant sur le territoire national.

La mise en œuvre de cette réforme nécessaire pour les usagers  que j’appelle les « mendiants sanitaires » doit se faire avec la participation de tous les béninois notamment les autorités au plus haut niveau pour que les interventions tous azimuts ne paralysent pas cette réforme dès son lancement. La meilleure manière d’aider son parent qui est dans ce secteur est de l’amener à se conformer à la réglementation en vigueur et non à être un hors la loi qui tue impunément les usagers des services de santé. Il faut qu’on se rappelle de la célèbre phrase latine « Actus dicatur bonus qui est conformis legi et rationi  c’est-à-dire  qu’« Un acte est dit bon lorsqu’il est conforme à la loi et à la raison».

Cette réforme est nécessaire et doit se faire avec courage à moins que cela ne soit  une impuissance de la part de l’autorité.

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