De quelle Afrique rêvons-nous encore?

Parler froidement du continent africain est impossible à tout africain qui y vit ou qui y a vécu, à tout ami étranger qui y vit, ou tout voyageur qui y a séjourné au moins 2 jours ou 3. Pourquoi ? Parce que les situations qui y prévalent et les drames humains qui s’y jouent quotidiennement en appellent à une réflexion assez profonde, quand à la manière d’aborder les sujets et de proposer des solutions, simples ou compliquées d’ailleurs.

L’Afrique,  à y regarder de près, ressemble à un diamant mal taillé. Il est d’autant plus difficile d’en montrer toutes les facettes que les  besoins et les aspirations des populations évoluent très vite.

Après cinquante ans d’indépendance, aligner des chiffres ultras négatifs d’économies exsangues ou les chiffres des aides publiques au développement et autres aides  perverses et perverties qui entravent justement le développement tant souhaité ; ou essayer d’analyser les changements peu reluisants dans les rapports pouvoir/opposition sur le continent, ne vous apprendra pas grand-chose que vous ne savez déjà. A part que le continent africain va de plus en plus mal depuis l’accession à la souveraineté internationale (sic !!) de la plupart des pays africains.

Les voies tortueuses du mal développement

Mais pour qui s’en rappelle encore, l’Afrique, il est vrai – et c’est le bégaiement de l’Histoire -, s’est retrouvée, à la sortie de sa décolonisation politique, dans les années 60, au croisement de plusieurs conflits mondiaux : Nord/Sud(régions industrielles contre zones sous-développées), Est/Ouest (enjeu de la lutte entre occidentaux et soviétiques), Blanc/Noir (des pays tels que l’Afrique du sud, le Zimbabwe ex Rhodésie, la Namibie, etc., ont poussé la ségrégation raciale à son paroxysme). Mais il y a des problèmes encore plus anciens hérités de l’ère coloniale. La division actuelle du continent africain en micros Etats est le résultat des intérêts des occidentaux et non pas des préoccupations africaines. Les lignes tracées par les grandes puissances européennes à  Berlin en 1884 continuent d’avoir des conséquences profondément perturbantes. Nombre de communautés traditionnelles sont maintenant divisées entre deux, trois voire quatre pays. Ailleurs des groupes disparates, dont certains étaient des ennemis de longue date, se trouvent contraints de cohabiter dans une union difficile, en n’ayant bien souvent pas même une langue commune permettant de communiquer.

Le résultat de tout cela est que l’Afrique était dès le départ fortement handicapée dans la course au développement. Certes, le continent africain est un microcosme à l’image de la planète.

Mais de l’avis des grands spécialistes économistes et financiers et des experts en économie du développement, l’Afrique possède tous les éléments pour devenir un jour le pôle phare du développement au monde. Elle possède un sous-sol bien pourvu et pourvoyeur de pétrole, uranium, phosphate, gaz naturel, diamant, or et autres pierres précieuses, bauxite, etc. ; un sol fertile avec des habitants habiles et très débrouillards. Ses fleuves et océan recèlent de trésors, parfois même insondables. Et c’est sûrement là son principal péché à l’Afrique ! Ses enfants sont compétents, formés dans les meilleures écoles et universités africaines, occidentales et orientales. Ses diasporas sont en constante alerte dans l’élite mondiale des Nations riches et émergentes. Beaucoup de pays africains pratique la démocratie. Qu’elle soit dite représentative : désigne les élus du peuple, responsables de la gestion de la souveraineté de l’Etat. Ou qu’elle soit dite participative : gère la souveraineté du peuple par l’intermédiaire de la société civile. N’est-ce pas ?

Et pourtant, beaucoup de pays africains sont aujourd’hui en proie au totalitarisme, à la mauvaise gouvernance conséquence sans doute de la montée en puissance de la financiarisation et de la corruption, dans un système africain failli et en constante dérive monarchique ou autocratique. Des connexions mafieuses en occident où les anciens colons et leurs héritiers, n’hésitent pas à perpétuer la tradition de pillage du continent noir, en servant de réceptacles et de receleurs aux délinquants financiers et trafiquants de tout genre africains hauts perchés au pouvoir. C’est la technique des soupapes. Une mode actuelle où l’avenir de tout un peuple se trouve être écrit à l’avance sous la houlette des « business angels » de la FrançAfrique, la ChinAfrique et de la ‘World compagnie’ sauvage !…  Avec  les cris des parangons, le mal est forcément fait. Le crime signé et les criminels authentifiés. Point de test génétique !

Mésalliances et accords scélérats

L’Afrique constitue un cas d’école unique au monde. Peut-être ! Mais, aucune statistique ne vous apprendra, en revanche, la beauté singulière de ce continent où l’on rencontre des gens terriblement attachants. Cela ne suffit malheureusement pas, n’est-ce pas ?  On y meurt beaucoup, en Afrique,  et très facilement aussi comme on n’est né  – dans l’extrême pauvreté -: de la faim.

Qu’on soit africain ou non, ami étranger de l’Afrique ou non, il y a de quoi être révolté de ce qu’en Afrique la faim tue plus que toutes les maladies infectieuses du continent réunies. Autre chose qui révolte aussi, c’est l’attitude des gouvernements africains qui continuent béatement à suivre les recommandations, des officiels occidentaux, motivées par une logique de marché et de concurrence. Notamment en ce qui concerne la subvention ou non de certains produits vitaux ou de rente. Il urge d’ailleurs que les gouvernements africains se réveillent et rompent, de façon radicale, avec la tendance des pouvoirs occidentaux et des institutions financières internationales à leur imposer des politiques économiques inadéquates aux réalités locales. C’est aux africains eux-mêmes à mettre en œuvre des politiques conceptualisées par leurs propres experts et à s’appuyer sur leur diaspora en occident pour les aider à les réaliser au besoin.

Le comble du cynisme est que les pays riches qui prônent la suppression de certaines subventions consacrent, eux, l’équivalent du revenu entier de tous les habitants d’Afrique à la subvention de la production inutile de denrées alimentaires qui ne sont même pas consommées – soit près d’un milliard d’USD par jour. Le plus choquant c’est que chaque vache d’Europe reçoit près de 2 USD par jour de subvention, soit l’équivalent de deux fois le revenu moyen en Afrique ; quant aux vaches japonaises, elles sont allègrement sacrées – pince sans rire ! -, elles reçoivent près de 4 USD par jour de subvention. Soit, au moins 1,5 à 2 fois le SMIG sous nos tropiques. Ah la vache !

En Afrique, dans ce processus irréversible qu’est la globalisation, le rôle de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et d’autres bailleurs bilatéraux de fonds, doit être d’appuyer les efforts des pays partenaires. Mais pourquoi ne le font-ils pas réellement, dans le bon sens ? Pourquoi se contentent-elles, les institutions financières – B M, FMI et autres -, d’expérimenter des concepts hasardeux partout sur le continent africain ? Pourquoi soutiennent-ils des régimes autocratiques, dictatoriaux et très peu démocratiques malgré, et contre les aspirations populaires d’alternance, de liberté, de développement ?  Font-ils – nos partenaires – tout cela parce que la mondialisation n’est en réalité qu’une nouvelle idéologie, dont la fonction est de masquer les rapports de force et les enjeux planétaires ? C’était le cas autrefois, sous ses formes brutales : la colonisation et l’impérialisme qui ont fait se mettre à genoux le continent africain. Qu’il vous souvienne !

Malheureusement, avec plus de la moitié de leurs populations – les femmes principalement –  exclues , écartées des affaires publiques et de la gouvernance des entreprises privées ; avec une minorité de plus en plus riche et des démunis de plus en plus nombreux –  qui méritent qu’on se penche sérieusement sur leur cas, eu égard aux denses potentialités et aux richesses très nombreuses de l’Afrique -, les jeunes Etats africains, dans leur mosaïque actuelle et en pleine crise d’adolescence et de mauvaises fréquentations, gaspillent leurs talents. Et devront aller vers une intégration économique plus poussive, proche de la finalité politique afin de retrouver une masse unitaire et une taille critique pour mieux peser dans les balances économique, monétaire et diplomatique.

Et l’utopie traçant de nouvelles pistes…

Devrions-nous garder l’intime faiblesse de rêver, pour les cinquante prochaines années, d’une Afrique  libre débarrassée de ses dictatures ? Dans ce cas, nous devons veiller à mieux organiser nos élections ; soutenir et accélérer les mouvements à la formation politique de nos masses  et militants politiques, leur apprendre également à préparer les élections dans une vaine de veille citoyenne.

Nous laisserions-nous  à rêver d’une Afrique performante où l’Administration sera débarrassée de ses tares que sont : le népotisme, le tribalisme, le régionalisme,  le favoritisme, l’absentéisme, l’arbitraire, l’exclusion volontaire des cadres des postes à responsabilité pour des raisons politiques ou d’allégeance partisane, la corruption et les propositions et promesses alléchantes qui concourent à dévider les partis politiques de l’opposition et  les empêcher de jouer pleinement leur rôle ?   Là, s’impose la refonte des diverses chartes de la fonction publique et surtout une règlementation stricte de la nomination aux emplois publics et à caractère politique et partisan des Chefs d’Etat, Ministres et autres Responsables d’institutions publiques.

Et pourtant, rêver maintenant d’une Afrique de justice sociale et juste, c’est possible. On veut encore y croire ! Une Afrique juste : ce serait une Afrique où la corruption sera traquée jusqu’à ses derniers retranchements et éradiquée.  Une Afrique où le pouvoir politique ne se transmettra plus du père au fils.  Une Afrique où seraient réduites  toutes les inégalités. Les inégalités de revenus, du savoir, celles qui existent entre les hommes et les femmes, les petits garçons et les petites filles ou celles qui affectent nos départements, nos villes, nos quartiers et nos campagnes.   Une Afrique justement démocratique où l’opposition deviendrait responsable, refusant la transhumance et la prostitution ; une opposition organisée en cabinet alternatif avec des spécialistes des questions sensibles – prêts à tout moment pour  assumer les plus hautes fonctions -, avec la culture du travail consciencieux,   militant, et faisant des propositions contradictoires alternatives. Une opposition qui serait dotée d’une base programmatique claire et attendant sagement son heure où le peuple lui fera appel par les urnes pour le servir.

En tout état de cause, une Afrique sérieuse et respectée,  ce pourrait-être : une Afrique libérée des liens et serres des accords économiques, politiques et de défense scélérats avec les anciennes puissances coloniales, les institutions financières internationales et notamment  l’Union européenne. Et non cette Afrique vacillante entre les pressions politiques des ONG internationales de défense des Droits de l’Homme, les pressions économiques et les mesures de rétorsion de l’Ue … et l’ouverture commerciale mesquine – sans perspective de partenariat technologique – de la Chine.

Sommes-nous vraiment encore nombreux  à rêver d’une Afrique épanouie ? Il le faudra bien pourtant. Je sais l’éloignement et la défiance des populations africaines elles-mêmes à l’égard de la politique et des politiciens. C’est d’ailleurs cet éloignement et cette défiance qui favorisent la mainmise des  réseaux maffieux internationaux, les pressions politiques et diplomatiques néocolonialistes et impérialistes, et surtout l’oppression directe et la connivence de l’oppression des autocrates et dignes despotes africains, qui font feu de tout bois pour s’accrocher au pouvoir. L’exemple de la Cote d’Ivoire – avec les récents évènements meurtriers – reste très édifiant et illustrateur de la démission collective des élites et de la société civile ivoirienne, divisées entre les deux camps antagonistes ou purement amorphes ; et s’auto-interdisant de jouer un rôle tampon entre les deux camps rivaux, au prix fort payé de la désagrégation de l’Etat ivoirien orchestrée par la France et l’ONU sous la cacophonique bienveillance de l’UA et de la CEDEAO. Et le plus grand mal aujourd’hui en Afrique, c’est qu’on retrouve souvent sur le théâtre de l’action politique et du contrôle de l’action politique, deux camps extrémistes sans possibilité de s’entendre ou d’effrayer une piste alternative ni permettant l’émergence d’une troisième voie alternative. Tant la réflexion est sous tutelle.  C’est bien le mal africain. D’un côté, tant on est prêt à réprimer et tuer le peuple pour conserver le pouvoir. D’un autre côté, tant on est tout aussi déterminé à mettre le pays à feu et à sang pour accéder au pouvoir. Forcément, dans ces conditions, n’est pas loin le pogrom. C’est sûr !

Avec son poids démographique, qui en fait de facto une puissance mondiale, cette même Afrique avec ses fascinantes populations , sa beauté singulière, son énergie, ses paysages somptueux, ses écosystèmes, ses plages au sable fin, ses patrimoines historiques, son bouillonnement des cultures, le foisonnement de sa littérature, son hospitalité à nulle autre pareille, ses contrastes, sa diaspora disséminée aux quatre coins du monde qui en fait la plus représentative du monde, s’éveillera un jour et rayonnera de milles éclats sur toute la planète. Cette Afrique, ce diamant mal taillé, aujourd’hui, asphyxiée, liée par des accords scélérats dont elle finira un jour par gommer les liens, demeure une nébuleuse de bonnes idées et de bonnes initiatives à découvrir en dehors d’une vision manichéenne ou afro pessimiste. Peu importe !

L’Afrique dont nous devons encore  rêver et œuvrer à bâtir, c’est celle avec des institutions démocratiques et stables ; une Afrique plus tolérante, ouverte, innovante, confiante en elle-même et travaillant la main dans la main avec sa diaspora, toutes ses filles et tous ses fils. Du rêve !…

Par Guillaume ADOUVI
Auteur – Fondateur des Editions IBIDUN – France.

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