Le Président est maître de son agenda. De même qu’il jouit d’une absolue liberté pour baliser, des concepts de son choix, le chemin qu’il trace pour son pays. Du changement à la refondation, par un détour par l’émergence, il n’y a pas de problème, si telles devaient être les étapes de notre marche vers le meilleur.
Il ne serait ni bon ni sain de décourager les bonnes volontés qui ont choisi de se jeter résolument dans l’action. Au regard de quoi, la fièvre réformiste qui marque ce début du second quinquennat de Boni Yayi peut s’interpréter comme la volonté de secouer le cocotier Bénin, de réveiller les énergies endormies de huit millions de Béninois. Car huit millions de Béninois debout sur le chantier du développement, c’est autant de volontés mobilisées, c’est deux fois plus de bras réunis. Et il n’y a pas de règle, en arithmétique, pour quantifier les intelligences ainsi coalisées autour de la même cause.
C’est en cela qu’on est tenté d’applaudir le Bénin qui abolit la peine de mort ; le Bénin qui s’engage sur le chemin d’une loi anti-corruption ; le Bénin qui coure vers l’étude et l’adoption d’une loi à qui l’on prête l’intention d’encadrer le droit de grève ; le Bénin qui fait des pieds et des mains pour procéder à la révision de notre loi suprême, la Constitution la bien nommée. En attendant que ce même dynamisme débordant ne le porte à s’illustrer sur d’autres fronts de lutte.
C’est notre opinion qu’une faim irrépressible d’actions ne se calme point par une fuite éperdues vers toujours plus d’actions. Nous devons apprendre à nous arrêter. Nous devons nous inquiéter, avant de continuer à tracer de nouveaux sillons, de l’état des sillons laissés derrière nous.
Nous devons à nous inquiéter, par exemple, de la Liste électorale permanente informatisée (LEPI). Cette liste, montée à grand frais, présentée comme la clé de notre entrée dans un monde électoral propre et sans tache, a piteusement fini dans l’eau de boudin de l’impréparation, de l’approximation, d’un amateurisme affligeant. Au point que le Chef de l’Etat fût acculé à demander pardon à la nation pour cette LEPI bâclée.
Si nous tenions les élections pour le terrain par excellence de légitimation de toute souveraineté démocratique, nous n’aurions pas eu à perdre une seule minute, dès le lendemain des élections présidentielle et législatives, avant de retourner sur le chantier de la LEPI. Tant qu’il reste quelque chose à faire, c’est que tout est encore à faire et à parfaire.
Après avoir organisé une vingtaine d’élections sous le régime du renouveau démocratique, nous devons nous préoccuper de savoir si, enfin, nous sommes devenus majeurs. C’est-à-dire si nous sommes capables de faire de l’urne et du bulletin de vote les instruments régulateurs de notre système démocratique. Ceci par delà les industries de la fraude. Ceci par delà la foire à la magouille et au tripatouillage. L’intérêt supérieur et permanent de notre pays est à situer bien au-delà des motivations temporaires et égoïstes d’une poignée d’individus intéressés. Nous devons voir loin, bien au-delà des horizons présents.
Ainsi comprise, la LEPI est au nombre de nos priorités. Elle mérite de consommer une bonne part de l’énergie que nous consacrons actuellement à l’étude, à l’élaboration et au vote de nouvelles lois. Ouvrir de nouveaux chantiers avant d’en avoir conclu les précédents peut laisser perplexe et interrogateur. Et c’est là la source de toutes les spéculations, de toutes les intentions pas toujours catholiques prêtées au gouvernement. C’est comme si celui-ci s’amusait, en l’absence d’une action participative de communication, à surprendre le citoyen.
Dans une démocratie qui se respecte, on gagne toujours à associer le peuple souverain à l’étude du menu avant de l’inviter à prendre place à la table du banquet. Et il ne servira à rien de lui servir un nouveau plat sans s’assurer qu’il a achevé de manger le précédent. Dans le cas qui nous occupe, ce qui nous est proposé de manger, à la table de la démocratie, outre de s’accorder avec nos goûts culinaires, engage notre vie. Or la vie est un ballet à en croire les sages malinké. Parce qu’on ne le danse qu’une fois.