La fondamentale tout simplement ou la lutte contre l’esprit destructeur national

A la faveur de sa descente  dans les marchés de  la capitale économique  nous avons entendu le chef de l’Etat dire que l’esprit  béninois est destructeur; le lendemain nous avons entendu également la ministre de la micro finance dire que le Béninois a un esprit rigide. C’est ce qui a le plus retenu mon attention dans  l’imbroglio  des prix transactionnels, des prix consensuels, des faux frais, de la vérité des prix,  de l’impact du ramadan sur les prix, des écueils au principe sacro-saint de l’offre et de la demande qui lève le camp, de l’intervention directe de l’Etat dans la régulation des prix dans un système économique qui se veut pourtant de type  libéral. Le tout dans une valse de rejets réciproques des   responsabilités  à la barbe du consommateur qui s’est fait une raison.

Le monde sait que le développement d’un pays passe nécessairement par  la mentalité et  l’état d’esprit des citoyens qui en sont les acteurs ; nous le savons si bien que nous avons professé le changement des mentalités et que nous promouvons la  refondation. Dans notre entendement la refondation a un préalable et c’est précisément le changement des mentalités ; on ne peut pas refonder avec une mentalité ancienne.

Pour la première fois j’ai donc entendu le chef de l’Etat stigmatiser publiquement  l’esprit destructeur du Béninois ; il était temps. En effet quelle  gymnastique permet de faire du développement  avec un esprit qui détruit ou qui cherche à détruire ce que l’on réalise ? Si donc nous reconnaissons que nous avons en nous l’esprit destructeur, il faudrait peut-être commencer par le détruire  pour garantir notre développement. Et en quoi faisant me rétorquera immédiatement le malin. Je lui répondrai par la reconnaissance officielle du mal comme vient de le faire le chef de l’Etat peut-être à son corps défendant excédé qu’il était  par les résistances qu’il rencontre à ses réformes. Il a même renchéri en nous rappelant que  Béhanzin avait dit que ce pays était maudit. Toujours est-il que sa déclaration est bienfaisante en tant que méthode de  psychanalyse de masse. Pour lutter contre un mal il faut effectivement commencer par le reconnaitre La lutte contre cet esprit de destruction, disons le carrément est en réalité celle contre la méchanceté car le premier émane de la seconde. La méchanceté est un héritage encombrant que traine et qui suit le  béninois  partout où il va et toute sa vie durant.

L’intelligence est le propre du  béninois  dit-on mais il faut bien convenir   que l’intelligence est, par essence, une faculté qui n’a pas d’état d’âme ; elle est tout aussi bien au service du mal que du bien. Le méchant peut-être défini comme cet individu qui a un penchant naturel à faire le mal et qui fait du mal à autrui que ce soit pour son propre compte ; que ce soit en qualité de commanditaire ou de commandité. La nature peut générer tels individus dans toute civilisation mais de là  à faire de tout un pays le trait distinctif, il y a là quelque chose qui dérange l’entendement. En ces temps modernes il n’est  pas concevable que tout un peuple se sache méchant, se laisse taxer  globalement de méchant en trainant cette réputation à travers l’histoire; la léguant tranquillement à sa descendance sans vergogne et sans rien y faire.

Mais au fond qu’est-ce donc cette méchanceté ? L’aptitude à cerner, à comprendre  les situations plus rapidement que les autres et à chercher avant tout à en tirer le meilleur parti, même en sa faveur exclusive est-ce méchanceté ? L’égoïsme, la propension  à voir le monde entier à travers le prisme de sa seule personne est-ce méchanceté ? La ruse dont on se  sert pour duper l’autre est-ce méchanceté ? Envier la situation de son prochain sans lui en vouloir n’est pas non plus de la méchanceté à ce que je sache.

Par contre, chercher à détruire le prochain plutôt que de faire des efforts pour se hisser au même niveau que lui, c’est de la méchanceté. Monter de toutes pièces une histoire calomnieuse contre son prochain pour le discréditer  et se faire valoir ce faisant, est méchanceté. Ne pas vouloir transmettre ce que l’on sait pour faire avancer l’humanité ou laisser sciemment le prochain aller dans la mauvaise direction  de peur de se voir concurrencé est assurément méchanceté. Refuser de rendre service alors que cela ne vous coute  rien de le faire c’est aussi de la méchanceté. Souhaiter et vouloir froidement du mal à quelqu’un c’est de la méchanceté à l’état pur. Etre malheureux du bonheur de l’autre ou être heureux de son malheur c’est, sans conteste, de la méchanceté vicieuse et perverse. Empoisonner son prochain, c’est de la méchanceté froide ; c’est le sommet de la méchanceté ; c’st la déchéance de qui s’y adonne.  Mais où est donc le béninois dans tout cela ?

Je ne suis pas fondé à  exposer les raisons profondes de cette méchanceté nationale ancestrale qui perdure jusqu’à nos jours. Peut-être est-ce la résultante de la dispersion des forces métaphasiques de nos ancêtres ? Mais en procédant à une analyse plus proche des temps nouveaux, la méchanceté légendaire béninoise ne serait-elle pas tout simplement un fait de société reflétant l’état matériel de ladite société et donc destinée à disparaître avec son évolution ? Cela parait plausible à l’analyse dans la mesure où l’on peut raisonnablement penser que la situation matérielle, la pauvreté et le manque d’espoir en un avenir meilleur, l’impuissance qu’expérimentent les laissés-pour-compte de la  société à accéder à un mieux-être sont, sans être exclusifs, pour beaucoup dans le phénomène. La jalousie que secrète cette situation et qui est un sentiment négatif mais en principe inoffensif pour un tiers, passerait alors en cas d’exacerbation à l’étape supérieure active de la méchanceté qui elle, vise à détruire résolument.  Et nous  revoici  au cœur du  développement…. La quadrature du cercle !

La meilleure façon de lutter contre l’esprit destructeur du Béninois c’est donc de réussir le développement économique à tout prix mais comment y parvenir puisque  l’esprit destructeur empêche ce  développement. Le changement aux couleurs du Président Yayi Boni – puisqu’on nous en rebat les oreilles depuis des décennies- a l’avantage de faire abstraction du politique pour cerner le concept au plan moral et idéologique mais sa faiblesse a résidé dans le fait qu’il ne s’est pas inscrit dans la lutte contre le fondamental et l’essentiel qu’est la méchanceté. Et pourtant des voix se sont élevées pour attirer l’attention sur l’impact du mal sur notre développement. Dans son essai politique Le changement : idéologie ou réalité L’ecclésiastique Rodrigue Gbejinou a écrit à juste titre en 2008 que « dans notre société les gestionnaires de la tradition placent le progrès dans le passé et dans les esprits de nos ancêtres…..Celui dont les actes et les paroles dérangent, fut-il acteur de bien, est systématiquement éliminé. Le bien accompli par  l’autre est farouchement combattu » Dans leur ouvrage intitulé Je veux le changement Messieurs Jérôme Carlos et Thomas Boya  ont averti en 2006 que  pour assurer le changement et le progrès « les africains devraient se libérer des vilains sentiments que sont  la méchanceté, l’envie, la rancune, la jalousie… »  Il fallait  donc  dénoncer cet esprit comme l’a fait le chef de l’Etat et tirer le meilleur parti de sa déclaration.

J’estime qu’il ne faut pas laisser passer cette occasion d’attaquer le mal à l’échelle nationale. Les services de communication gouvernementaux devraient  se mettre en branle pour enfoncer le clou. Les ministères concernés devraient prendre des mesures pour qu’on enseigne aux enfants le contraire de la méchanceté  par l’instruction civique qui nous est revenue notamment, à l’aide de dessins animés qui mettent en exergue la gentillesse et l’amour du prochain. Dans les écoles secondaires il conviendra de  développer abondamment le thème dans les manuels de  psychologie en tant que facteur dévastateur de la personne humaine ; l’enseigner dans les universités en tant que  facteur et vecteur de sous-développement ; le prêcher en permanence dans les églises, dans les mosquées, dans les temples;  en procédure d’immersion totale. Ce devra être une croisade nationale permanente contre cette méchanceté dont nous devons nous débarrasser. Telle campagne est nécessaire et sera de longue haleine ; elle requiert simplement la volonté politique de la faire. Nous n’avons pas le droit de continuer de transmettre cette tare qu’est la  méchanceté, cet atavisme aux jeunes. En pays démocratique que nous sommes, il serait bon d’organiser des débats publics sur le  sujet afin de sensibiliser la population et de trouver les meilleurs voies et moyens de contrer le mal. Toujours est-il que nous devons le combattre parce qu’objectivement il freine notre épanouissement et notre développement.

Le syndrome du méchant qui nous tient, a dépassé le niveau privé ;  il est devenu un phénomène national, trop fort, trop malade, trop pathologique pour qu’il ne s’inscrive pas au tableau des préoccupations étatiques. Le ̏changement ̋ du Président s’adressait à nos  mentalités sans s’attaquer au fondement même  de cette mentalité qu’est la méchanceté ; il ne pouvait que louper le coche. Je ne sais ce qui   adviendra de la refondation sans cette même lutte.  Il convient de ne pas se voiler la face ; nous nageons en plein dans la honte ; nous trainons la honte de par le monde entier et il est honnête de ne pas affecter d’ignorer cette situation. Le Chef d’Etat ne veut pas être le Président d’un pays de drogués comme il l’a dit à juste titre mais lorsqu’il parcourt le monde ne le fait-il pas  avec l’attribut négatif de dirigeant suprême d’un peuple foncièrement méchant ?

Ambassadeur Candide AHOUANSOU

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