Par le projet de loi portant exercice du droit de grève en République du Bénin, le gouvernement entend, dès son adoption par l’Assemblée nationale, réglementer autrement la jouissance de ce droit, tant il est vrai que tout n’a pas toujours été reluisant sur ce plan. Des abus de la part des syndicalistes sont souvent venus répondre aux inconséquences des gouvernants. Parce qu’il comporte des dispositions sujettes à polémiques, le projet fait l’objet de dénonciations. Les syndicalistes le jugent liberticide.
Pourquoi les responsables syndicalistes promettent-ils déjà au gouvernement de sortir l’artillerie lourde (grève générale, blocage systématique de l’administration, etc.) pour pilonner ses positions au cas où le vote du projet de loi interviendrait en l’état actuel du texte ? Une seule raison, ce projet de loi est liberticide pour ne pas dire, comme Paul Essè Iko de la CSTB, que c’est « l’assassinat de la démocratie ». Mais de quoi retourne le texte ?
Son article 1er reprend le principe posé par la Constitution à savoir que « L’Etat reconnaît et garantit le droit de grève. Tout travailleur peut défendre, dans les conditions prévues par la loi, ses droits et ses intérêts, soit individuellement, soit collectivement ou par l’action collective » et précise que « Le droit de grève s’exerce dans les conditions définies par la présente loi ». Mais dès l’article 2, il est prévu que « Les dispositions de la présente loi s’appliquent aux personnels civils de l’Etat et des collectivités territoriales à l’exception des militaires, des personnels paramilitaires (police, douanes, eaux, forêts et chasses) et des agents à qui la loi interdit expressément l’exercice du droit de grève en raison de la spécificité de leurs missions ». Là-dessus, s’il y a sans doute le souci de préserver certains secteurs névralgiques de l’Etat des affres de la grève, il y a lieu de constater une régression en ce qui concerne par exemple les douaniers. Jusqu’ici en effet, ils avaient le droit d’aller en grève.
Sachant que les grèves servent à défendre des intérêts professionnels ou corporatistes, l’on peut comprendre le contenu de l’alinéa 1er de l’article 3 qui prévoit que « Les grèves qui n’ont pas un caractère professionnel sont illicites et interdites notamment les grèves politiques ». Mais l’alinéa 2 de cet article semble de trop en ce qu’il vise que « Les organisations syndicales n’ayant pas pour objet ₺l’organisation des manifestations politiques en vue de la conquête du pouvoir d’Etat₺, il leur est interdit de se constituer en alliance ou en coalition quelconque avec les partis ou mouvements politiques pour aboutir à cette fin ». En effet, a-t-on déjà entendu une organisation syndicale dire qu’elle luttait pour la conquête du pouvoir d’Etat ? Même s’il est arrivé que la CSTB par exemple, se dise en grève politique, elle n’a jamais dit, semble-t-il, qu’elle visait le pouvoir. On peut donc penser que cette disposition vise à combattre les accointances entre syndicats et partis politiques, généralement d’opposition. Mais, s’il est bien arrivé que les premiers s’associent aux seconds ou inversement, ce fut bien souvent pour défendre des principes démocratiques. Ainsi, en 2005 par exemple, les a-t-on vus se liguer, ensemble avec ces partis politiques, contre la révision opportuniste de la Constitution. A la veille des dernières élections également, la même association s’est observée pour réagir à la « remise en cause des droits fondamentaux comme la liberté d’association et de manifestation ». Et, même dans les grandes démocratiques, n’observe-t-on pas sur certaines questions majeures, que des politiciens se joignent aux syndicalistes pour marcher, dénoncer ou soutenir l’action des travailleurs en lutte ?
Corser les conditions de recours à la grève ?
Par ailleurs, en édictant en son article 4 que « Les litiges intervenant dans tous les secteurs de la vie professionnelle font l’objet de négociations collectives obligatoires et préalables à toute action syndicale conflictuelle », les rédacteurs du projet ont sans doute entendu contenir les grèves intempestives et sauvages, mais cette disposition semble limiter sérieusement la possibilité d’aller en grève.
L’un des points à polémique concerne la durée du préavis de grève. Et cela vient renforcer les craintes liées à l’article 4. L’article 8 du projet, en son alinéa 2, impose que « La durée du préavis est de vingt (20) jours ouvrables avant le déclenchement de la grève pour permettre aux deux parties en conflit de mener des négociations saines et objectives dans l’intérêt de l’entreprise ou de l’Etat ». En précisant dans l’intérêt de l’entreprise ou de l’Etat sans mentionner les travailleurs, cet alinéa apparaît sans conteste comme ne visant que la défense des intérêts des parties aux conflits, abstraction faite des travailleurs. De même, il étale maintenant à 20 jours ouvrables contre cinq jours francs avant, la durée du préavis. Autant dire que désormais, le gouvernement a un mois pour se préparer à toute grève. Cette disposition ne manque pas de pertinence si le souci est de garantir une certaine quiétude au gouvernement. Seulement, ce délai pourrait aussi être suffisant pour organiser le sabotage e la grève, craignent les syndicalistes. Mais la disposition qui les indisposent davantage est celle contenue dans l’alinéa 3 du même article 8 en ce qu’il exige que « Le déclenchement d’une grève décidé démocratiquement selon un mécanisme clair permettant de s’assurer que la volonté de la déclencher provient de la majorité des travailleurs de l’entreprise ou de l’administration concernée au plan local, sectoriel ou départemental et national ». A ce propos, le souci des rédacteurs semble d’assurer une meilleure gouvernance démocratique à l’intérieur des organisations syndicales. Et si elles sont bien organisées, cela ne devrait poser aucun problème. Et c’est ce que confirme le dernier alinéa de l’article qui pose que « Cette décision majoritaire fera l’objet d’un procès-verbal signé de tous les participants à l’assise syndicale convoquée à cet effet, par l’instance dirigeante de l’organisation syndicale concernée. Ce procès-verbal doit être joint au préavis de grève ». Seulement, le texte fait mine d’ignorer que les membres d’un syndicat ne sont pas forcément les travailleurs majoritaires de l’entité considérée. A preuve, il existe plusieurs syndicats dans nombres de structures et leur philosophie n’est pas toujours la même, pas plus que les intérêts qu’ils défendent. N’aurait-il pas alors été juste de viser plutôt la majorité des membres du syndicat comme quorum nécessaire au déclenchement d’une grève ? Exactement comme il le fait à l’article 13 dernier alinéa en ce qui concerne le déclenchement d’une grève de solidarité ?
Quant à l’article 9 qui précise que « Le préavis émane de l’organisation ou des organisations de travailleurs régulièrement constituées et qui ont rempli les formalités de leur déclaration officielle conformément aux dispositions du statut général de la fonction publique ou du code du travail », il ne devrait pas faire débat.
Ce qui ne sera pas le cas de l’article 9 dernier alinéa qui vise à empêcher « les responsables d’organisations syndicales qui ne respectent pas leurs dispositions statutaires » de déposer des préavis de grève. En effet, qui est fondé à voir s’ils ne respectent pas lesdites dispositions ?
Par contre, les rédacteurs du texte montrent, à travers l’article 13 du projet, qu’ils ne visent pas coûte que coûte à empêcher les grèves. Ainsi faut-il comprendre la lettre de cet article qui reconnaît à toute organisation syndicale, le droit de se rendre solidaire d’un mouvement de grève. Toutefois, ce droit apparaît comme l’accessoire à côte du principal qu’est celui du déclenchement même de la grève. Aussi faut-il se demander si l’accessoire peut exister sans le principal.
Du caractère précaire des droits acquis
L’on pourrait s’interroger aussi sur le caractère obligatoire du recours à un médiateur en cas de désaccord entre parties comme l’exige l’article 14 du projet. Un recours qui, il va sans dire, est suspensif du déclenchement de la grève dans les services essentiels. Ceux-ci étant entendus comme « ceux dont l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne. Mais alors, il conviendrait de se demander quel service n’est pas essentiel au développement de la nation et pouvant, ainsi, échapper à la mesure des réquisitions notamment, surtout lorsque l’article 15 du projet envisage que le droit de grève soit limité aussi dans les services non essentiels.
En outre, l’article 25 qui avertit que « Toute grève entraîne une réduction proportionnelle sur salaire et ses accessoires, à l’exception des allocations familiales » appelle à considérer que la volonté de contenir les grève est manifeste en ce qu’il ne vise pas seulement les grèves illégales, mais bien « toute grève ». Comment donc, en cas de grève légitime, comprendre la défalcation ? Dans ce même article, l’exigence pour l’agent gréviste de justifier préalablement son appartenance syndicale semble en contradiction avec l’article 1er qui reconnaît à l’agent, le droit de défendre ses intérêts individuellement. Et fait se demander pourquoi tout ce formalisme si de toutes les façons, il sera procédé systématiquement à une défalcation à moins que la grève dure « moins d’une journée ».
Il faudrait enfin s’interroger sur l’objectif du dernier alinéa de l’article 25 du projet qui précise après avoir décliné le contenu des droits acquis que : « Il s’en suit qu’aucun droit acquis n’est jamais définitivement acquis d’autant plus qu’il est renégociable à la baisse par les parties, notamment dans un contexte de crise économique défavorable pour le pays ou lorsqu’une décision de justice passe en force de chose jugée pour le revoir à la baisse ou le supprimer ». Le texte aurait sans doute pu se passer de cette précision, qui peut sonner comme une déclaration de guerre ; alors même que la réalité peut effectivement amener un gouvernement à revoir ses engagements à la baisse ou à en différer l’exécution.