Question de méthode d’organisation

Mettre la charrue avant les bœufs. L’expression signifie faire d’abord ce qui devrait être fait ensuite, après. Ce décalage dans l’action, ce cafouillage dans l’agencement logique des séquences d’un processus ne peut qu’affecter les résultats attendus, sous l’angle de l’efficacité. Mettre la charrue avant les bœufs revient ainsi à malmener deux paramètres majeurs dans tout processus de développement : la méthode et l’organisation. Deux exemples pour illustrer notre propos.

Premier exemple. Dès le lendemain de sa nomination comme préfet Atlantique/Littoral, Placide Azandé prend un arrêté qui ne souffre aucune ambiguïté : interdire le stationnement anarchique des gros camions sur les voies et artères de Cotonou, notre capitale économique. La ville étouffe, parce que envahie par des mastodontes surgis de partout. Ils encombrent les voies et artères. Ils provoquent des bouchons monstres. Ils tuent assez pour être vus comme une menace pour notre sécurité. Ils polluent gravement. Que gagnerions-nous alors à jouer au jeu insensé de l’indifférence ou du silence face à un empoisonnement systématique qui a tout l’air d’un assassinat programmé ? Nous sommes tous des morts en sursis.

Avec la montée des périls, la réaction prompte et rapide de Monsieur le Préfet ne se comprend que bien. Il annonce la couleur, sitôt installé dans son fauteuil préfectoral. Il affirme la volonté de prendre le taureau par les cornes. Il fait son entrée en fonction en fanfare et la marque d’un signal fort. En apposant sa signature au bas de son arrêté interdisant le stationnement anarchique des gros camions dans Cotonou, le préfet Placide Azandé, certainement, n’est pas peu fier. Il est sûr de faire œuvre utile. Il est persuadé de servir ses administrés.

Et les gros camions, un moment, ont disparu. Mais c’est, comme qui dirait, « reculer pour mieux sauter ». Les gros camions sont revenus depuis et en force. Comme si de rien n’était. Comme si l’arrêté préfectoral leur interdisant tout stationnement, notamment sur le boulevard de l’Armée, n’était qu’un coup d’épée dans l’eau.

Tout se serait passé autrement sans notre propension à mettre la charrue avant les bœufs. L’arrêté préfectoral se préoccupait d‘obtenir un résultat que rien ni personne n’a préparé sérieusement. Un arrêté, un décret n’a ni capacité ni vertu d’effacer des habitudes anciennes et consolidées. On ne supprime pas d’un trait de plume les mauvaises habitudes des gens. On aide les gens à changer eux-mêmes, en adoptant de nouveaux comportements, en développant de nouvelles habitudes. Participation et adhésion, voilà deux mots clés dans tout vrai changement. De manière concrète, c’est mettre la charrue avant les bœufs que de préférer un arrêté préfectoral à la concertation préalable entre tous les acteurs du secteur. C’est mettre la charrue avant les bœufs que de préférer un arrêté préfectoral à l’ouverture effective, comme promis, d’un site de plusieurs hectares pour servir de parkings aux gros camions qui encombrent la ville.

Deuxième exemple. La flambée des prix, que nous connaissons en ce moment, a mis dans la bouche de plus d’un la nécessité pour notre pays d’aller, à marche forcée s’il le faut, d’une économie de service, basée sur l’import-export, à une économie de production fondée sur l’agro-industrie. Plus facile à dire qu’à faire. Tout dépendra de notre aptitude à éviter le piège fatal : mettre la charrue avant les bœufs.

Quelle agro-industrie voulons-nous promouvoir si nous ne nous préoccupons pas, en amont, de réformer notre système éducatif ? Nous devons, dès maintenant, faire l’option d’ouvrir des filières d’étude et de formation appropriées. Tout comme nous devons nous préparer à actionner les manettes d’une recherche scientifique active. A agriculture moderne, des agriculteurs nouveaux pour assurer la relève paysanne. Et il restera, pour que les bœufs courent enfin et normalement devant la charrue, à résoudre l’épineux problème du foncier. Car, l’agro-industrie ce n’est pas la petite exploitation familiale. Ce sont des hectares de terres à perte de vue. Au fait, à qui appartient la terre au Bénin ? Cette question ne s’adresse ni aux bœufs, ni aux charrues. C’est aux hommes d’y répondre. Plus tôt ils le feront, mieux cela vaudra. Pour le plus grand bien du Bénin et des Béninois.

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