Serions- nous, au Bénin, la terre de tous les paradoxes ? On est bien tenté de le croire. Mais, avant toutes choses, qu’est-ce qu’un paradoxe ? C’est une chose qui heurte le bon sens. C’est une proposition qui est à la fois vraie et fausse. Comme on le voit, avec le paradoxe, nous voguons sur les eaux troubles de l’absurde. Bienvenue donc au club du non-sens et de la stupidité. Quelques exemples pour l’illustrer. Le Bénin, dans sa partie méridionale notamment, à Cotonou plus précisément, paye, en ce moment, un lourd tribut aux eaux de pluies. Des eaux sont en passe de provoquer de graves inondations. Le fleuve Ouémé, dans sa marche inexorable vers la mer, gros de tous ses affluents, voit son niveau monter. Alors qu’il ne cesse de pleuvoir des cordes sur la bande côtière. La catastrophe n’est plus loin. Le danger est à nos portes.
Le paradoxe, ici, tient-il à quoi ? Nous sommes un pays qui a un besoin crucial d’eaux. N’avons-nous pas besoin d’irriguer des hectares de terres laissées en friche ? N’aurons-nous pas besoin de la force motrice de l’eau pour faire tourner des turbines et produire de l’énergie ? Mais nous voilà avec une quantité d’eau à ne savoir quoi en faire. Ce qui nous est potentiellement utile se révèle paradoxalement menaçant et dangereux.
Venons-en aux médias. Installons-nous dans notre propre jardin, le jardin de la presse nationale. Vous le savez sans nul doute, le Bénin publie, chaque jour que Dieu fait, près d’une centaine de quotidiens. Cent quotidiens dans un pays analphabètes à 70% et sur un marché publicitaire étroit, il faut le faire ! Le miracle béninois. Il existe. Persuadez-vous que vous l’avez vu. Convainquez-vous que vous l’avez expérimenté.
Le paradoxe, ici, tient-il à quoi ? S’il y a tant de quotidiens qui s’acharnent à paraître tous les jours, on peut supposer qu’il y a de la matière pour ce faire. Qu’il y a surtout la volonté de faire du Bénin un important carrefour de l’information et des Béninois des gens super et hyper informés. Mais malheureusement la quantité n’embraye pas sur la qualité. Beaucoup de titres appelés. Peu de titres élus pour aller à la conquête du public. L’amour chaud des promoteurs qui inondent le marché de leur production contraste fort avec Le désamour froid du public qui attend mieux de sa presse. Triste décalage aux allures non moins tristes d’un paradoxe.
Le Bénin, a-t-on dit, est « le quartier latin de l’Afrique ». Allusion à cette propension des Béninois à se laisser cataloguer les as des études, les forts en thème, les bêtes à concours, les amoureux fous du diplôme. Et toute une tradition a fini par s’installer et par tresser aux Béninois une réputation bien établie de cracks dans tous les championnats de l’intellect. Et les Béninois adorent bûcher. Et les Béninois aiment à couronner leur cursus de prestigieux parchemins. Car si le diplôme devait être dans un obscur trou profond, les Béninois seraient prêts à aller le chercher et le trouver.
Le paradoxe, ici, tient-il à quoi ? Comment les Béninois peuvent-ils se donner tant de mal à aller à la pêche aux diplômes, faire remonter leurs filets remplis de gros et beaux poissons et n’avoir rien à se mettre sous la dent au terme de cette pêche miraculeuse ? Voilà en projection la pénible situation d’un pays qui se voit contraint de porter à bout de bras des milliers de ses fils et de ses filles bardés de diplômes, mais tenus dans une révoltante inutilité et marginalité dans leur société. « Diplômés sans emploi ». Ce n’est pas un titre de gloire. Cela figure au moins dans la mémoire douloureuse de nos statistiques. A titre d’exemple et comble de paradoxe, il y a au Bénin des médecins chômeurs. Après que ceux-ci eurent fait les études les plus longues, les plus difficiles, les plus onéreuses. Et dire qu’ils chôment dans un pays où la demande en soins de santé est énorme. Paradoxe !
Dans quelques jours, le 31 octobre plus précisément, il y aura 7 milliards d’habitants dans le monde. Au même moment, le compteur de la population au Bénin se bloquera sur 9 millions d’âmes. Qu’aurons-nous à proposer à notre planète qui ne cesse de se peupler et à cette masse humaine qui ne cesse d’espérer? Tout sauf le paradoxe.