Bénin : les encadreurs agricoles vont à l’école des producteurs

On ne commande pas à un paysan, on le convainc. Pour avoir longtemps ignoré cela, le Bénin paye un lourd tribut au développement agricole. Depuis quelques années, le pays essaie de remonter la pente. Difficilement.

Ce film intitulé ‘’Le marché de l’entente’’, le Béninois Demmon Djegga en est fier. Le secrétaire général de l’Union Départementale des Organisations Professionnelles d’Eleveurs de Ruminants (UDOPER) et ses camarades l’ont fait diffuser début août sur la Télévision nationale du Bénin. Depuis 2009, ils distribuent sur CD ce documentaire sur la création en 1998 à Gogounou (628 km au nord de Cotonou, la métropole économique) d’un marché de bétail où éleveurs vendeurs et acheteurs discutent directement des prix, sans intermédiaires. Une aubaine pour eux de réaliser des profits substantiels. «Ce film suscite un intérêt certain chez les producteurs que nous rencontrons, témoigne Demmon Djegga. Nous avons déjà reçu des délégations d’éleveurs du Niger et du Burkina-Faso.». Au niveau national, l’UDOPER discute avec des Organisations de Producteurs (OP) pour créer des marchés similaires dans le pays.

L’expérience de l’UDOPER montre l’efficacité d’un mode de vulgarisation initié par les OP elles-mêmes et fondé sur le visuel. Dans un pays comme le Bénin où le taux d’analphabétisme dépasse 70% en zones rurales, “la vidéo s’est avérée un média puissant et abordable pour la vulgarisation de paysan à paysan et pour exposer les communautés rurales à des idées et pratiques nouvelles.”, constatent les chercheurs du Centre du riz pour l’Afrique . Depuis 2006, ce Centre et des ONG vulgarisent en Afrique l’étuvage du riz au moyen de projections vidéo. Résultat : en 2009, plus de 300 000 producteurs sensibilisés, une amélioration des pratiques des femmes (lavage du paddy avant l’étuvage, séchage du riz sur des sacs…), avec une hausse de leurs revenus et de leur capacité à s’organiser en groupements.

«Ils avaient boudé nos conseils» ! En dehors de la vidéo, les populations se familiarisent avec l’ordinateur, le téléphone portable et les clés Internet, ce qui facilite « la collecte et la diffusion d’informations agricoles » d’après Serge Fanou, animateur à la radio locale Bani Gansè, au nord du pays. Cette station a un centre multimédia où les producteurs ont accès à l’internet, font saisir et photocopier leurs documents. Constant Eganhoui, conseiller en production végétale à Zê (50 km au sud de Cotonou), affirme pour sa part recevoir par jour plusieurs appels, signe de l’augmentation du nombre des usagers de la téléphonie mobile. Plus besoin pour lui et le producteur de parcourir de longues distances pour discuter de certains sujets !

Ces progrès proviennent des mutations de l’environnement technologique, mais aussi des politiques et du ‘’Conseil Agricole’’ (C.A.) au Bénin, pays de 9 millions d’habitants où plus de 48% de la population active s’adonnent à l’agriculture . Si la vulgarisation est une action menée pour rendre populaire une connaissance, le C.A. est « un processus d’accompagnement du producteur en dialoguant avec lui pour qu’il prenne et applique des décisions », selon Apollinaire Hounyovi, chef Service appui au C.A. au ministère de l’agriculture. Le secteur public a mis du temps avant d’intégrer cette approche.

Entre 1960 et 2007, ce secteur a connu quatre évolutions. A l’approche dirigiste des sociétés dites d’intervention (1960-1972), a succédé le ‘’collectivisme agricole’’ sous le régime militaro-marxiste (1972-1985) avec la création des Centres d’Action Régionaux pour le Développement Agricole (CARDER). Ensuite est venue la période du désengagement de l’Etat des activités agricoles (1985-1990) à cause des contraintes des Programmes d’ajustement structurel. Dernière étape (1990-2007) : la libéralisation, avec la multiplicité des acteurs (opérateurs économiques, ONG, collectivités locales, OP…), aux côtés des ex-CARDER transformés en 2004 en Centres Régionaux pour la Promotion Agricole (CERPA) avec des démembrements dans chaque commune, arrondissement et village . « Depuis 1960, on a vulgarisé selon la méthode dirigiste, reconnaît Martin Guidan, ingénieur agronome, en service au CERPA des départements du Littoral et de l’Atlantique. Nous pensions à la place des producteurs. Conséquences : ils avaient boudé nos conseils».

Diagnostiquer, écouter. En 2005, année d’adoption de la Politique Agricole Commune de l’espace CEDEAO, s’amorcent au Bénin les réflexions sur le C.A. L’Etat fait réaliser une étude, objet d’ateliers réunissant tous les acteurs, pour définir en 2007 une nouvelle orientation contenue dans un Livre blanc et déclinée après en une Stratégie Nationale du Conseil Agricole (SNCA). Au total, quatre domaines ciblés : gestion des exploitations agricoles, accès aux marchés, organisation et planification locale et ‘’conseil technique spécialisé’’ (en pêche maritime, en production animale, etc.). Désormais, il faut aller à l’école du producteur, chercher avec lui à faire « un diagnostic global, au niveau village, et un diagnostic au niveau de son exploitation en vue d’identifier ses besoins, ses moyens et ses contraintes », explique Abdou Houndonougbo, chargé des conseils agricoles. Le producteur devient un acteur à part entière qui, sur la base d’un contrat, travaille avec le conseiller. Ce dernier est à l’écoute de ce détenteur de «savoirs endogènes » et de « trésors cachés », à en croire l’agroéconomiste Prosper Mondé . Pour accompagner le processus, l’Etat recrute en 2007 deux mille conseillers à qui il donne salaire, motos et primes de déplacement.

Patrice Sossou est l’un de ces jeunes recrutés. Chaque matin, il enfourche sa moto et…vogue la galère ! Il a du travail : faire le suivi ‘’lâche’’ (interventions ponctuelles chez les gros exploitants) et le suivi ‘’rapproché’’ (formation, visites à des groupes de petits producteurs chargés aussi de la vulgarisation au niveau village). Il aide les paysans de Zê à mieux conserver leur niébé grâce au triple ensachage, un système de trois sacs spécifiques placés l’un dans l’autre. Lui-même dispose d’un champ-école où il apprend aux paysans la culture du niébé. Ses collègues et lui ont joué un rôle important dans la mise en œuvre en 2008 du Programme d’Urgence d’Appui à la Sécurité Alimentaire (PUASA), lancé par l’Etat pour juguler la crise alimentaire de 2007.

Appuyés ou non par les CERPA, des opérateurs économiques aussi s’impliquent. Le ‘’Groupe Tundé’’ lance en 2008 une campagne de vulgarisation du riz Nérica, relayée par des médias. Des ouvriers, recrutés dans des fermes privées, profitent de l’encadrement reçu pour se lancer aussi dans l’entrepreneuriat. C’est le cas de Julien Bossa, formé sur le tas, qui exploite aujourd’hui à Zê environ 200 ha d’ananas avec, précise-t-il, « une soixantaine d’ouvriers permanents dont quarante femmes ».

Ces efforts, combinés à d’autres facteurs comme une bonne pluviométrie, donnent des résultats. A Zê, le nombre de pisciculteurs a quadruplé entre 2006 et 2010. Au niveau national, la production de riz connaît une hausse de 17 % sur ces deux dernières campagnes. « L’année dernière, notre groupement a vendu deux tonnes de semences de riz à 300 FCFA (environ un demi euro, Ndlr) le kilo, rappelle Christophe Médjagbonon, riziculteur à Awkpa-Zê. C’est cela qui aide ma famille à vivre et à payer mes études.».

«Les paysans nous traitent de menteurs»

L’agriculture béninoise contribue entre 25 à 40% au PIB, mais reçoit moins des 10% des investissements publics tels que le demande la Déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement de Maputo en 2003. Conséquence : la mise en œuvre de la SNCA est bien laborieuse. En zones rurales, les conseillers et techniciens agricoles n’ont ni résidences ni électricité ni eau potable.

En outre, à part le coton, premier produit de rente, aucune autre culture n’est organisée en filière et les problèmes de crédits, de commercialisation et de disponibilité à temps des intrants se posent, ce qui décourage les paysans. Sans ressources suffisantes, la recherche ne répond pas à la plupart des attentes des producteurs, relayées par les CERPA. « Nos publications nous restent sur les bras, se désole Kouboura Igué, en service à l’Institut National de la Recherche Agricole du Bénin. Les CERPA et les producteurs voudraient les avoir gratuitement alors que nous devons les vendre ».

A cela s’ajoutent les promesses non tenues. Il arrive que les producteurs engagent des dépenses pour bénéficier de projets annoncés par le ministère de l’agriculture, mais jamais réalisés. « Les paysans nous traitent de menteurs, se plaignent des techniciens agricoles. Ils pourraient un jour se révolter contre nous ».

Selon eux, l’Etat et les autres acteurs doivent lever ces blocages en mobilisant progressivement les ressources nécessaires à la mise en œuvre de la SNCA.

Par Fernand Nouwligbèto, journaliste, Agence Perma Group

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