Brice Sinsin. C’est le nouveau recteur de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC). Il est le second dans cette fonction depuis la mise en œuvre de la réforme du système de désignation d’un recteur, désormais élu par ses pairs. C’est dire que Brice Sinsin s’est présenté à ses collègues, avec un programme, avec une équipe, avec son coefficient personnel. Il lui fallait attester de sa capacité à être l’homme de l’emploi. Et puis, Brice Sinsin a dû faire campagne. Il a finalement raflé la mise : 73% des votes. Un plébiscite. Un tel score est rare en milieu universitaire. Il participe de l’exception. L’unanimisme est la chose la moins bien partagée dans le monde des lettrés, des diplômés et des intellectuels. Tant mieux qu’il en soit ainsi. Autrement, ceux-ci perdraient leur capacité critique. Ils renonceraient à leur sens du discernement. Ce par quoi ils affirment leur identité et leur différence. Alors, question : même si une fois n’est pas coutume, pourquoi, pour une fois, nos professeurs, réunis en un collège électoral, ont-ils dérogé à la règle ?
Soit que Brice Sinsin, c’est l’oiseau rare, le messie attendu par la communauté universitaire. Soit que Brice Sinsin, c’est la brillance d’une campagne électorale efficace. Une campagne établie sur un programme attractif, portée par un argumentaire imparable, le tout conduit par une communication qui n’a laissé la moindre chance à ses concurrents.
Si Brice Sinsin était perçu comme un messie, pour nous en tenir à ce cas, cela reviendrait à dire que l’homme est nanti de qualités exceptionnelles, reconnues par les siens et appréciées telles. Des qualités qui le situent tout naturellement, campagne ou pas campagne, comme l’homme de l’emploi, l’homme qu’il faut à la place qu’il faut.
Mais le messie, étymologiquement, c’est le libérateur désigné et envoyé par Dieu. Faire de Brice Sinsin un messie nous plongerait dans un mysticisme aberrant, dans un Etat laïc de surcroît. Brice Sinsin, loin d’être un messie, est un appelé. Il est appelé au secours par la communauté universitaire consciente, dans le cadre actuel de l’UAC, de la nécessité d’un leadership mobilisateur. Un recteur, ici, n’a pas moins à repenser, à construire une nouvelle université.
A commencer par le cadre physique de l’UAC qui, de ce point de vue, est une université par défaut, une université par abus de langage. Allées défoncées, bâtiments en décrépitude avancée, amphithéâtres sales et surpeuplés, se répartissant dans l’espace comme des souks et des bazars sur un marché du savoir coincé. Vous avez dit espaces verts ? Revenez demain ! Les professeurs n’ont ni bureaux ni toilettes. Une bonne partie des enseignements trouvent à squatter divers espaces hors et loin de l’université. Quant à la résidence universitaire, désignons-la d’un nom : capharnaüm. Que le dictionnaire définit comme un lieu qui renferme beaucoup d’objets en désordre. Sans ajouter que le désordre du cadre physique n’est que l’expression, le reflet du désordre du logiciel mental des hommes et des femmes admis en ce lieu. C’est dire que Brice Sinsin a du pain sur la planche.
Il n’en manquera pas non plus avec les autres problèmes que l’université traîne après elle, années après années, comme un boulet de forçats. En tête, la recherche. Elle doit cesser d’être facultative. La recherche est le principe de vie et la condition de survie d’une institution d’enseignement supérieur. Il est temps que nos enseignants du supérieur trouvent leur juste place dans la chaîne internationale du partage des savoirs. Ils doivent cesser de se complaire dans le rôle subalterne et dévalorisant de perroquets récitants. Doit être révolue, par conséquent, l’ère des répétiteurs qui dispensent à leurs étudiants, non ce qu’ils cherchent et trouvent, non ce qu’ils savent, mais le reliquat des savoirs des autres.
Voilà la meilleure porte d’entrée pour résoudre les autres problèmes : celui de l’inscription de nos enseignants sur les listes d’aptitude du Conseil africain et malgache pour l’Enseignement supérieur (CAMES), celui de la multiplication des écoles professionnalisées, celui de l’entrée de l’Université dans le système LMD (Licence, master, doctorat). Résumons de quelques mots le petit tsunami qui a balayé l’Université d’Abomey-Calavi la semaine dernière autour de Brice Sinsin : plébiscite, oui ; chèque en blanc, non. Du courage, Monsieur le recteur !