Lettre ouverte aux Autorités en charge du développement de l’Internet au Bénin

Excellence Monsieur le Ministre Délégué, chargé de la Communication et des Technologies de l'Information et de la Communication,
Messieurs les Présidents des Autorités de régulation,
Monsieur le Directeur Général de Benin Telecoms SA,
Messieurs les Directeurs Généraux des Sociétés de GSM ,
Messieurs les Responsables de sociétés fournisseurs d'accès Internet,

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Le Benin vient de connaitre une suspension des services de l'Internet. Durant pratiquement une semaine, le Benin a été donc 'coupé' du reste du monde et, selon les dirigeants de Benin Telecoms SA, ce problème est dû à l'incendie d'un ensemble d'équipements installés dans la station d'atterrissage du SAT 3, ce câble sous marin qui relie le Benin au monde entier. Cette suspension de la liaison aussi bien téléphonique que de l'Internet, survient quelques mois après d'autres suspensions ou plus prosaïquement d'un arrêt de l'accès à l'internet à partir du Benin; les raisons invoquées alors étaient celles de l'accrochage du câble sous marin SAT 3 par les navires au large des cotes Béninoises.

Benin Telecoms SA a présenté ses excuses; elle a tenu un point de presse ; elle l'a d'ailleurs toujours fait, et ses techniciens se sont échinés à rétablir les liaisons, en recourant aux services des partenaires nigérians , Ivoiriens ou sud-africains.. Mais alors, Monsieur le Ministre et Chères Autorités, il me semble que ces différentes suspensions de services appellent une prise en compte plus rigoureuse du développement de l'Internet au Benin, ce d'autant que la vision annoncée est celle de 'faire du Benin le quartier numérique de l'Afrique'. Cette lettre ouverte voudrait nous inviter tous à plus de rigueur dans le développement de l'Internet et ses services au Benin; pour ma part, je voudrais tirer et partager des leçons des expériences de beaucoup de pays , notamment Africains, dont le Benin pourrait se servir pour son positionnement stratégique ; j'espère également attirer votre attention sur certains enjeux de l'Internet qui méritent d'être appréhendés, des lors qu'on s'engage dans l'aménagement des autoroutes de l'information, dans la promotion de l'économie numérique et plus simplement dans la société de l'information.

Il n'est plus un secret pour personne que l'Internet impacte déjà la vie des Beninois! S'il est vrai que les Beninois ont eu accès à l'Internet en 1995, à leur corps défendant, il faut convenir que beaucoup de choses ont évolué puisque nous sommes passés d'un ridicule accès à 64kilobits/seconde à une bande passante de 155 Megabits/seconde aujourd'hui. Mais les récriminations observées lors des suspensions des services Internet le démontrent à souhait; de plus en plus de Beninois sont devenus des 'accros' de l'Internet! En réalité, une analyse économique plus fine devrait montrer la part de plus importante des services liés à l'Internet dans la formation du produit national brut. C'est peut être ici le lieu de souligner l'importance de la mise sur pied d'un observatoire national pouvant nous fournir les statistiques et autres données relevant de la contribution de l'Internet à l'économie nationale. Du reste, les projets retenus dans le cadre des documents de politique des TIC au Benin donnent également une large part à la mise en réseaux et à la fourniture plus efficiente des services aux citoyens. Il s'agit de l'ambitieux projet de e-Gouvernement qui semble dormir dans les tiroirs! En effet, le Benin dispose d'études de faisabilité d'un e-Gouvernement et apparemment, les moyens existent pour faire bénéficier le secteur privé des avantages des technologies de l'information et de la communication. L'engagement affiché par le projet e-Benin par exemple devrait donner au Benin les bases d'un positionnement stratégique dans les services à valeur ajoutée de l'Internet. Mais pourquoi marquons -nous le pas?

En fin de compte, s'occuper du développement de l'Internet, c'est chercher à ancrer le Benin dans l'économie numérique! Dans ces conditions, le développement de l'Internet devrait s'inscrire dans les grands travaux dits structurants, qui doivent porter toute l'ambition du pays. Et que l'on comprenne bien! L'Internet, ce n'est pas seulement les télécommunications ! C'est de l'adressage de protocoles (IP), c'est de la gestion de noms de domaines (le .bj par exemple); c'est le développement du web et des logiciels y associés! C'est le développement d'applications qui promeuvent la santé, l'entreprenariat agricole, le transfert électronique des données et de l'argent, la télésurveillance..et j'en passe. L'Internet, c'est donc de la création de nouveaux emplois et de services à valeur ajoutée!

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Aussi, l’Association des consommateurs des technologies de l’information et de la communication (Actic) a -t-elle eu raison de donner de la voix, elle qui défend les intérêts des consommateurs de l’Internet et qui se demande si Benin Telecoms, au delà des excuses, est prêt à dédommager ses clients. L'on sait que pendant la semaine de suspension de l'Internet, les activités des cybercafés, des banques et des institutions internationales n'ayant pas une connexion par Vsat, sans oublier les autres secteurs qui ont besoin de la connexion internet, ont tourné au ralenti, causant ainsi beaucoup de manques à gagner non seulement pour les populations qui s’offrent les services de ces structures mais aussi pour les structures elles-mêmes. On sait que dans le secteur banquier, la coupure de la connexion internet a favorisé le ralentissement des activités de transferts d’argent d’une ville à une autre., et aussi en direction de l'extérieur du pays.

Au delà des dédommagements éventuels à attendre de Benin Telecoms SA, l'autre question brulante est celle de savoir si Internet est en passe de devenir un droit humain. En fait, les 180 Etats réunis dans le cadre du Sommet mondial sur la société de l'information (2003 et 2005) ont reconnu la pleine applicabilité à Internet de la Déclaration universelle des droits de l'homme, en particulier de l'article 19 qui établit la liberté d'expression et d'opinion. Nous en convenons tous aujourd'hui! si l'on ne peut de façon intrinsèque réclamer un droit à l'Internet, on doit reconnaitre à l'Internet sa capacité à être un vecteur pour la défense des autres droits communément connus sous le vocable de droits de l'homme. Dans le contexte de crise de la représentation, Internet porte l'espoir d'une rénovation des systèmes politiques et un renouvellement des rapports entre les citoyens et les institutions politiques. Ainsi, avec les blogs et les réseaux sociaux virtuels, des citoyens peuvent participer plus activement à la vie publique. Pour préserver le droit fondamental à la liberté d’expression sur Internet, il est donc essentiel que le service fourni soit stable, sûr et continu.

Un aspect non moins important soulevé par la 'coupure' de l'accès à l'Internet est ce qu'il est convenu d'appeler la 'neutralité du net'; en clair, pour que la liberté d’expression puisse s’exercer sur net, il est important que soit préservé sur la toile mondiale le principe de la neutralité. Inventé en 2003 par le professeur de droit Tim Wu, la « neutralité du net » se définit comme un principe qui garantit que le réseau n’opère aucune discrimination en fonction des émetteurs des contenus qui y sont diffusés, de leurs récepteurs et de la nature des contenus. Il s’agit de garantir qu’Internet reste ouvert, libre, neutre, une source d’innovation et de création et un marché concurrent. Plus précisément, il revient à s’assurer que les fournisseurs d’accès Internet (FAI) ne privilégient ni ne discriminent pas certains contenus, services et applications. Or, il se trouve qu’en raison de la possible « saturation du réseau », du fait de l’abondance des données qui y circulent, certains opérateurs proposent de différencier les offres d’accès, soit par le blocage de certains sites, soit par l’accès plus rapide pour certains internautes. Ainsi, la suspension des services de l'Internet pour certains usagers, d'une certaine manière, viole le principe de la neutralité du Net.

En définitive, pour tirer effectivement profit de l'Internet au Benin, il nous faudrait adopter un minimum de règles , de normes et de procédures et avoir des institutions de régulation fortes. D'abord, traiter le développement de l'Internet en toute transparence et dans un esprit multiacteurs et imposer désormais la nécessite d'une continuité de services en cas de rupture des services Internet.

Ainsi, le rôle de chacun des acteurs doit être mieux connu; il appartient par exemple au ministère en charge des technologies de l'information et de la communication de communiquer davantage sur la stratégie de développement du secteur et surtout, d'initier et ou de prendre les lois et textes réglementaires appropriés, et ceci en harmonie avec la législation sous- régionale. Il appartient à l'Etat de lancer les projets dits structurants, devant booster l'utilisation de l'Internet dans tout le pays. Aux cotés de l'Etat, le rôle du régulateur devrait être plus manifeste et plus vigoureuse. Dans le cas d'espèce – suspension de l'accès à l'internet du au seul fait de l'opérateur ayant le monopole de l'international – il ne s'agirait peut être pas de tirer sur l'ambulance- mais des dispositions devraient être prises afin de rendre BT SA plus responsable et redevable à ses clients.

La garantie de la continuité du service devrait être une des clauses importantes dans les Mémorandums d'entente signés avec BT SA. Du reste, pour le Benin, il urge que l'ouverture de la compétition au niveau de l'accès international devienne une réalité! Un monitoring strict, appelant des sanctions disciplinaires serait de mise! Les opérateurs de la téléphonie (Fixe ou GSM) et autres prestataires de services Internet du Benin devraient prendre en compte le principe selon lequel tout trafic national devrait rester national; en clair, éliminer les droits et frais de transit international ou régional pour des communications et données destinées à des usagers nationaux; il urge donc de mettre en place les points d'échanges Internet nationaux qui permettent de fluidifier le trafic local et de faire des économies substantielles qui rejaillissent in fine sur le cout d'accès aux services, au grand bonheur de l'usager. Au demeurant, si ce genre d'outils , c'est a dire les points d'échange Internet avaient été en place au Benin, les usagers nationaux auraient pu continuer à communiquer en local durant toute la durée de la suspension de l'accès à l'Internet!

Du fait de sa position de puissance significative sur le marché Beninois (et conformément aux dispositions de l'article 19 de l’acte additionnel A/SA2/01/07 relatif à l'accès et l'interconnexion des réseaux et de services dans le secteur des TIC) , Benin Telecoms SA est l'entité qui contrôle toutes les stations d'atterrissement des câbles au Benin. De ce point de vue, il doit pouvoir garantir l'accès des citoyens aux services Internet par tous temps; d'où la nécessité pour elle d'assurer la continuité des services Internet. Aussi, cette entité devrait être assignée à la publication d'un plan de contingence connu de tous. Ce plan assorti d'un plan de continuité des affaires devrait garantir l'accès 24h sur 24 et 7 jours sur 7.

Cet ensemble d'activités devraient désormais se mener et s'évaluer dans un cadre plus adéquat, faisant ressortir le caractère multi – acteurs de l'Internet; en bref, Internet est devenu si important qu'il serait imprudent de le laisser dans les seules mains de BT SA, dans son état actuel et fut-il opérateur historique; et de plus, il ne peut qu'être l'affaire de tous d'autant que les principales recommandations des fora pour la gouvernance de l'Internet (IGF), organisés aux niveaux international et régional militent pour une approche multi- acteurs de l'Internet. C'est donc d'une 'co-gestion' de l'Internet qu'il s'agit aujourd'hui, avec une ecoute permanente des utilisateurs! A priori, le secteur des Télécommunications et de l'Internet a donc besoin de reformes plus hardies! Dans cette optique, Monsieur le Ministre et autres Autorités, Benin Telecoms mérite un traitement particulier afin de devenir un outil stratégique; mais aussi, de manière concomitante, une structure faitière de régulation et de développement des activités liées à l'Internet devrait être envisagée.

A mi chemin entre la Haute Autorité de l'Audiovisuel et de la Communication, l'Agence transitoire de régulation des Postes et Télécommunications, le Comité national Informatique et Libertés, cette nouvelle structure en charge de réguler les communications électroniques devrait également traiter de l'intelligence économique afin de promouvoir la stratégie du numérique ; aussi, dans ses termes de références cette entité devrait s'occuper des volets ci-après : la gouvernance de l'Internet, la veille technologique ; le suivi des recommandations régionales sur l'harmonisation du secteur, la tarification des services, l'encadrement de la concurrence, les aspects juridiques de la société de l'information, l'éthique et l'internet, la protection des droits individuels, la protection des enfants et la cybercriminalité.

Au total, la gestion du secteur des Télécommunications et de l'Internet a besoin d'une refonte drastique, qui encadrerait les nécessaires reformes de Benin Telecoms SA, et mettrait en oeuvre les institutions idoines, répondant aux exigences de l'économie numérique et de la société de l'information. Ce faisant, le Benin tournerait le dos à des pratiques de gestion surannées du secteur pour s'inscrire réellement dans l'ère du numérique, facteur de modernisme, d'ouverture et d'épanouissement de l'ensemble des acteurs, et ceci dans un contexte de prospérité partagée! Il urge d'agir si nous voulons compter parmi ces pays qui 'gagnent', ces pays qui tirent le maximum de profit des technologies de l'information et de la communication!

Recevez, monsieur le Ministre et autres Autorités en charge du développement de l'Internet au Benin, l'assurance de ma considération distinguée.

Pierre Dandjinou
Ancien Conseiller Régional du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD)
Président Fondateur,, Internet Society (ISOC), Benin
Président de l'Université d'été du développement (UED)
06 BP 1166 Cotonou
tel : 66566610
Pdandjinou@gmail.com

 

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