Lu pour vous : Geny petit ange du Bénin, d’Eugénie Dossa-Quenum

L’Auteur

Née au Bénin, vit aujourd’hui en France et est biologiste, ingénieur en biotechnologie. Diplômée en administration et économie de la santé, elle est également membre de « Médecins du Monde ».

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Il s’agit d’un récit de vie de 247 pages, l’incroyable destin d’une petite vendeuse des marchés de Cotonou, comme l’indique le sous-titre du livre. Génie est une fille très vive et enjouée, à la maturité précoce, ce qui lui permettait de sortir des situations difficiles, dès qu’elle évoquait son ange gardien. Elle avait un don mystique ; en effet, dès que l’un de ses proches était en difficulté, elle le voyait en rêve et en parlait à sa mère. La réaction de cette dernière a permis de sauver son frère et sa sœur de la maltraitance dont ils étaient l’objet chez des tuteurs auprès desquels on les avait placés, pour aller à l’école hors de Cotonou. Très intelligente, Gény ne désirait qu’une chose, aller à l’école elle aussi, comme ses deux aînés et la plupart des enfants du quartier. Mais elle était douée pour le commerce (à cause d’un sixième doigt de sa main), et sa mère préférait qu’elle la seconde dans son commerce au marché.

LA VIE AU VILLAGE

Un jour, arriva d’un village lointain une amie à la mère et qui demanda de l’emporter à Zalivé, afin de la scolariser. Mais dame Kafoui avait abusé de sa confiance et, une fois dans ce village lointain, Gény se rend compte qu’il n’y existait pas d’école. Celle-ci la gifla, parce qu’elle a osé revendiquer d’aller à l’école, comme Kafoui l’avait promis à sa mère. A partir de ce moment, Gény lui ôta toute estime et s’enferma dans une rebellion non violente. Elle accompagnait sa tutrice au marché et l’aidait du mieux qu’elle pouvait. Celle –ci hébergeait une flopée de « vidomègons » qu’elle nourrissait avec de la nourriture avariée, « une pâte couverte de moisissures de couleurs variées : jaune, blanche ou noire parfois ». Mais Dieu veille et cette nourriture avariée que les enfants étaient obligés de consommer n’avait jamais nui à leur santé.

Le temps s’étirait et rien de nouveau ne venait briser la monotonie du jour. Sa tutrice faillit l’envoyer au couvent lorsque les villageois découvrirent qu’elle avait une belle voix et pouvait imiter à merveille les psalmodies des vodounsi. Heureusement que la petite s’y opposa fermement. Gény invoquait sa mère, afin qu’elle vienne la sortir de sa situation très difficile. Un soir de retour de sa vente, sa tutrice lui demanda d’apporter de l’eau à une visiteuse. Une visiteuse qu’elle n’avait pas reconnue et qui n’était que sa mère. Cette dernière se mit à pleurer face au délabrement physique de sa fille et promit ne plus la confier à personne.

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 – Je t’ai vue en rêve, me suppliant d’aller te sortir de Zalivé, puis la semaine dernière, ma mère m’est apparue en colère.

  • Que t’a-t- elle dit ?

  • Tu crois que tu as trop d’enfants et tu en as négligé une dont la vie est en danger là où tu l’as envoyée ? Va vite la chercher.

 

Heureusement la mère a écouté les conseils avisés de la grand-mère qui, quelque temps auparavant, avait sauvé Gény des crocs d’un crocodile. Elle décida de l’envoyer à l’école. Enfin, mieux vaut tard que jamais. Mais la mère lui apprit qu’elle devra continuer à l’aider dans ses activités commerciales, « Kafoui m’a confirmé que tu as gagné en expérience dans ce domaine ». La pauvre femme n’avait que son commerce pour s’occuper de sa progéniture, payer la scolarité des aînés.

ECOLIERE ET VENDEUSE

C’est ainsi que le soir, en revenant de l’école publique où elle avait été inscrite, Gény s’occupait d’un étalage de marchandises qu’elle disposait devant la maison avant de faire ses devoirs. Grâce à sa petite taille, elle put s’intégrer au groupe de sa classe, se fit des amis et travailla d’arrache-pied. Ce qui lui permit de réussir brillamment au CEP, malgré son retard sur le plan scolaire. Elle travaillait si bien que la directrice de l’école publique, Mme Bras, une française, sur les conseils de la maîtresse du CI, Mme Eude, une autre française lui passa un test et la fit passer au CP2 après quelques mois de classe. Sa mère participait à cette saine émulation. Elle n’arrêtait pas de répéter à sa progéniture : «  Un enfant qui ne travaille pas à la maison ne peut réussir à l’école ». Ses copines à cet âge d’adolescente ne pensaient qu’à frimer ; tresses plus jolies les unes que les autres, jolies robes de sortie, pendant que Gény elle se coupait les cheveux à la garçonne. Dès qu’une fille arrivait et occupait le premier rang, son groupe d’études s’armait pour la lui ravir la composition suivante.

L’AMOUR ! L’AMOUR !

L’amour frappa à la porte du cœur de notre jeune écolière du CM2. Heureusement, ce fut un amour totalement innocent en la personne d’Albert, un jeune garçon du CM2 qui allait en classe chez les garçons de son école, et qui habitait par hasard dans son quartier. Malgré tout son courage, elle était confrontée à des handicaps certains. Sa mère entretemps s’était remariée à un polygame dont les femmes venaient se bagarrer à la maison, puisque le nouveau mari avait demandé qu’elle le rejoigne avec ses quatre enfants. Tout ce désordre affectait énormément la petite Gény dont le rendement scolaire s’en ressentit. Et lorsque le monsieur se mit à allonger indéfiniment ses tournées à travers le pays, la mère comprit qu’elle n’avait plus sa place auprès de lui et déménagea. Malgré toute sa volonté, Gény ne put décrocher une bourse d’études après son succès au CEP. Elle qui voulait rejoindre sa grande sœur inscrite au lycée Toffa 1er, lycée des jeunes filles de Porto-novo à l’internat, la voilà inscrite au collège Léon Bourgine à Porto-novo, et mise en pension chez des tuteurs par sa mère.

 

HARCELEMENT SEXUEL – Une vieille pratique

 

Gény, la jeune fille de quinze ans, une petite adolescente, (ne se décrit-elle pas comme toute menue) fut invitée par son professeur de français, monsieur LOKE à passer chez lui après le cours. Un homme respectable, un monument du savoir que Gény avait mis sur un piédestal. Et la liste des rendez-vous s’allongea. Le professeur de dessin, monsieur Atoké, « un homme trapu dont la laideur n’avait d’égale que celle de Quasimodo ». Ce professeur qui avait la responsabilité d’encadrer la jeune fille, de la protéger contre tout danger en tant qu’adulte et éducateur, a failli la violer un soir, où il lui a demandé d’aller déposer les cahiers de ses élèves à la maison. Pauvre fille, même pas quinze ans et déjà la proie de ces vautours aux yeux de fauve. Toutes les filles devaient accepter leurs avances, « qu’ils soient mariés ou célibataires, les professeurs et les surveillants aiment bien avoir une petite copine dans chacune des classes où ils dispensent leurs cours. Aussi en ont-ils plusieurs qui passent chez eux par roulement », lui apprit son amie.

 

Selon les indications du texte, nous sommes sûrement dans les années 70, période où le collège Léon Bourgine était à ses heures de gloire. Gény réussit néanmoins à s’en sortir, malgré les mauvaises notes et les mauvais traitements de sa tutrice qui soupçonna son époux de lui avoir fait des avances. Après que son fils a tenté de la violer un soir. Pauvre fille qui devait déjouer tant de mauvais plans, faire face à tant d’handicaps. Elle n’en dit mot à sa maman qui devait déjà se débrouiller toute seule pour s’occuper de ses quatre enfants, le père ayant préféré les abandonner à bas âge pour se remarier. Un soir, sa sœur revenant de la ville demanda à lui parler : (Morceaux choisis)

 

  • Je viens de croiser un de tes professeurs de Léon Bourgine… Entre les profs, ils se disent que tu es une jolie fille brillante, mais têtue et rusée.

  • Pourquoi ?

  • Tu aurais réussi à passer toute l’année sans jamais leur offrir l’occasion d’arroser ton «  gazon triangulaire » et ils s’en plaignent (p 208).

 

C’est dire donc que malgré les menaces, malgré les privations, la faim, le harcèlement à l’école, à la maison, Gény a réussi à décrocher brillamment son BEPC. Elle le dit en ces termes : « J’apprenais avec une ivresse qui dépassait tout entendement. Je sacrifiais en partie mes loisirs afin de prendre de l’avance sur les programmes dans différentes disciplines » (P 217).

 

Le Sud du Bénin revisité

 

La lecture de cet ouvrage nous fait promener dans les quartiers de Cotonou et Porto-novo ; Akpakpa, St Jean, Dantokpa, Jonquet, Ouinlinda, Lycée Toffa, Lycée Béhanzin, Kpokomè… Des noms de villages connus et inconnus où Gény et ses frère et sœurs passaient des moments idylliques auprès de leurs grands-parents pendant les vacances.

 

Ce livre si rafraîchissant malgré les déboires liés à l’apprentissage de la vie qu’a connus Gény mérite qu’on s’y arrête. Ne serait-ce que pour en tirer les leçons de combativité de l’élève qu’elle fut, elle et ses camarades qui se battaient pour mériter les meilleures places en classe. Aujourd’hui, les jeunes rivalisent d’ardeur pour les concours de Miss, de chanson, de chorégraphie, que sais-je encore. Des heures et des heures chez la coiffeuse, devant les feuilletons à la télé… Certes, le jeune a besoin de loisirs, de loisirs sains. Et Gény en avait ; ceux qui convenaient à son âge et surtout en dehors du temps scolaire, car elle voulait aller loin, la petite élève, vendeuse à ses heures dans les marchés de Cotonou.

L’écrivain n’est jamais loin de son texte. La lecture de ce livre ramène à notre esprit des pans entiers de L’ENFANT NOIR de Camara LAYE. Alors il y a lieu de s’interroger : s’agit-il d’une autobiographie ? Seule l’auteure peut le dire. « Le style c’est l’homme », a dit un grand auteur. Malgré la présence de coquilles, présence habituelle dans toute œuvre littéraire, le style est beau et se lit aisément. Gény Petit Ange sorcier du Bénin. A consommer sans modération par petits et grands. 

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