Marcel de Souza et le concept de la culture

Je suis souvent effaré par la vacuité de certaines personnes supposées appartenir à l’élite intellectuelle. Vacuité non pas par rapport à leur manque de culture générale – après tout, on n’en a pas besoin pour vivre – mais par leur incapacité à s’approprier leur propre culture et à réfléchir là-dessus en tant que levier extraordinaire du développement. Passe que ces personnes n’occupent pas de responsabilité à l’échelle nationale – c’est le moindre mal, ils limiteront la casse à leurs premiers cercles et à leurs derniers carrés – mais à partir du moment où elles détiennent les rênes du pouvoir, il y a lieu de s’inquiéter. En tout cas, c’est le sentiment que j’ai eu en discutant avec le ministre Marcel de Souza, le 4 décembre 2011, dans un métro parisien.

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Il est des rencontres qui s’avèrent fortuites et qui vous éclairent sur les hommes du pouvoir. Quand je me suis retrouvé en face du beauf, qu’exprès, j’ai engagé un débat sur la politique culturelle que mène le gouvernement, je me suis heurté à un mur de clichés incroyablement épais. Des clichés vieux de cent ans qui, ce jour-là, se sont renouvelés dans sa bouche avec une froideur rarement égalée. Dix minutes de cet échange et j’en suis sorti aussi malheureux qu’inconsolable. Et pourtant, les questions étaient d’une simplicité biblique : y a-t-il une orientation claire et précise de la politique culturelle mise en place par le gouvernement ? Y aurait-il réellement une politique culturelle ? Comment imaginez-vous le Bénin culturel au bout du deuxième mandat du président ? Que pensez-vous de l’aide allouée au secteur ?

Phrases piochées dans les réponses obtenues: « il faut être rassasié pour s’occuper de la culture » ; « la culture n’est pas la priorité » ; « le port autonome, l’économie sont des secteurs plus importants » ; « désolé, la culture, ça ne rapporte pas ».

Inutile d’allonger la liste de ces quelques phrases dont la plupart, comme on le voit, sont marquées de l’intelligence d’Einstein. Elles témoignent surtout de l’ampleur de la culture qu’a cet homme qui, pourtant, est censé réfléchir et conduire une politique de « développement » – donc une politique globale intégrant tous les secteurs du pays.

Il y a peu, on débattait sur le peu de cas que le Chef de l’Etat, Yayi Boni fait du ministère de la culture. Souvent rattaché soit, au ministère de la communication, soit, au ministère de l’artisanat et à celui du tourisme, ce département s’apparente à un sous-gadget qu’on jette à des militants pour les récompenser de leurs zèles politiques. Il est vrai que, pour diriger un ministère aussi exigeant, point n’est besoin d’être un diplômé de Harvard, ni de l’ENA. Il faut être, au minimum, un passionné du domaine, plus volontairement, un expérimenté ayant une vision profonde et éclairée de la question. Sur la liste des anciens détenteurs de ce portefeuille depuis vingt ans, à peine trouverions-nous deux ou trois de ce profil. Tous les autres – ils sont près d’une vingtaine – n’ont été que des profiteurs et surtout des zozos incultes. Je me souviens de ce ministre du PRD qui, à peine nommé, se désolait de devoir gérer un « simple département de la danse et de la musique » sans profits viandés. Une pénitence pour cet homme dont le souci premier était de piller les différents fonds alloués à ce département.

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Revenons au beauf : ce jour-là dans le métro, j’ai tenté de le convaincre en lui exposant ce qu’il convient d’appeler « dimension culturelle du développement »: je lui ai expliqué que la culture est productrice de civilisation, mais également pourvoyeuse de devises. A la rescousse de ma démonstration, l’exemple de Hollywood et du Brésil qui, en matière de cinéma et de télévision, ont popularisé les cultures américaine et latino dans le monde. Devant les armes, le pétrole et les produits manufacturés classiques, ces deux pays ont fait du cinéma et de la télévision leurs premiers produits d’exportation. Je ne parle même pas de l’industrie du disque, du livre et de la mode.

Certes, nous ne disposons pas au Bénin de ressources minières importantes, ni d’une technologie moderne exportable. Mais demeure, sur l’étendue du pays, du nord au sud, de l’est à l’ouest, un immense champ culturel exploitable à l’infini. Les médiateurs culturels et les techniciens du domaine n’attendent qu’une politique intelligente de l’Etat pour enclencher le processus. L’ignorer n’est peut-être pas criminel. Mais refuser de s’ouvrir à des approches plus diversifiées de l’offre induit une posture surprenante, surtout pour un ministre du développement. On appelle ça « non-assistance à patrimoine culturel en danger ». Un suicide identitaire.

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