Présidentielle sénégalaise: Fantômas contre Fantômas

Fantômas, c’est un personnage de roman que la filmographie française a rendu populaire dans les années soixante-dix quatre-vingt. Le masque mortuaire de ce criminel, toujours à l’avance sur la police, a effrayé plus d’un cinéphile, toujours déçu de le voir survivre à toutes les poursuites et à tous les pièges de ses ennemis.

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Au Sénégal, à l’avènement d’Abdoulaye Wade, quelques esprits gondolés ont trouvé des ressemblances frappantes entre Fantômas et le président fraichement élu. D’abord par le physique : même calvitie, même regard creux et absent, mêmes pommettes saillantes, même bouche hébétée. Ensuite, par le caractère : mêmes ruses, même imprévisibilité, même manière de rouler l’adversaire dans la farine.

Ces rapprochements ont été poussés si loin que des malappris ont fini par donner au président le nom de son sosie. Fantômas dans la vie politique sénégalaise serait alors synonyme du vénérable vieillard. Du reste, une opposante, dépourvue d’humour, a exprimé le désir d’intenter un procès à Wade pour « trouble et traumatisme » à l’endroit de sa petite fille. Son enfant, en effet, vivrait un véritable cauchemar dès que l’image du président apparaît à l’écran. On imagine la petite chérie, glacée de frayeur et claquant affreusement les dents aussitôt qu’elle rencontre le visage si particulier du leader du Soopi. Et il semble désormais clair que ce n’est pas seulement chez cette mignonnette que grandit ce sentiment. Une bonne partie des Sénégalais claque non seulement les dents, mais nourrit de fortes envies de s’arracher les cheveux dès qu’elle entend parler de lui.

Car, comme Fantômas, Wade a promu ses amis, pour ensuite les enrhumer : (Moustapha Niasse, Maky Sall, Idrissa Seck, Gadio) ; il a tripatouillé dix-sept fois la Constitution : parfois pour limiter le mandat présidentiel à sept ans renouvelable une fois, puis à cinq ans une fois reconductible, puis à sept ans deux fois renouvelable ; parfois, c’est pour recomposer la majorité à l’Assemblée Nationale, créer un poste de vice-président, du ticket gagnant ou du tiercé perdant…Bref, c’est le monarque tout puissant qui a droit de mort et de vie sur la loi fondamentale, selon ses caprices, ses lubies…Bien sûr, il a pour cela une machine parfaitement huilée: sa majorité mécanique au parlement avec la complicité d’autres intellectuels tous aussi zélés.

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Comme Fantômas, le président Wade a un faible : sa famille, dont son fils, Karim (bébé Fantômas disent encore les plus facétieux) pour qui il est prêt à torcher la constitution pour l’installer au pouvoir. Le rejeton n’a pas pu se faire élire à la mairie de Dakar ? Tant mieux, il va faire de lui ministre. Le ticket gagnant – sorte de transmission camouflée du pouvoir – a été combattu par le peuple dans la rue ? Qu’à cela ne tienne, il va faire de lui le super ministre ou plutôt le vice-président, en cumulant sous ses jambes autant de portefeuilles que des poils dans la barbe d’un centenaire.

Tout cela se passe au même moment où l’ex-leader de Soopi ne rate aucune occasion pour donner son point de vue sur l’actualité internationale. Que Gbagbo, à l’issue des élections ivoiriennes, refuse de passer la main à Ouattara, le voilà du haut de sa chaire, demander à son ex-paire d’aller se faire voir ailleurs. Que Kadhafi soit combattu par une partie de sa population, le voilà exigeant au Guide sa démission pure et simple. A ce sujet, il ne s’agissait pas, selon ses ouailles, d’ingérence dans les affaires intérieures d’un autre Etat, c’est juste la liberté qu’a le démocrate de se prononcer sur l’actualité politique. Mais lorsque, à leur tour, des responsables d’autres pays jettent un œil critique sur son arrière-cour mouvementée, Wade hurle à « l’intrusion grossière et inacceptable ». Les problèmes domestiques du Sénégal ne regardent que les Sénégalais, si des ânes bâtés s’avisaient d’y mettre le nez, ils verront de quel morceau de flamboyant il se chauffe. D’ailleurs, les marches réprimées des opposants, les emprisonnements à tour des bras des contestataires, les menaces contre les journalistes, ça ne fait que la moutarde des fils de la Terranga. Pas celle des institutions ou associations des droits de l’homme.

Cela se passe dans un pays qui se vantait d’être la vitrine de la démocratie en Afrique. Cela se passe avec un ex-opposant qui avait, pendant quarante ans, prôné les vertus de l’Etat de droit. Cela se passe dans un pays connu pour son élite intellectuelle brillante.

Mais parions une chose, une seule : si le Fantômas cinématographique a pour lui la jeunesse, le roi du Sénégal, lui, ne peut compter que sur ses os octogénaires. Et dans les tumultes actuels, difficile de croire qu’ils lui seront d’un grand secours.

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