T.L.F. regrets éternels

Il avait la plume alerte, la syntaxe rigoureuse, l’ironie féroce. Homme de culture, ses références se puisaient aussi bien dans sa formation de professeur de lettres que dans une tradition familiale issue de son Djègbadji natal. Je l’ai connu quand il était à la direction du salon de thé et de pâtisserie La Caravelle, puis quand il avait créé le Canard du Golfe en mars 1990.

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C’était à l’époque où le Renouveau Démocratique, éclose au vent de la Conférence Nationale, autorisait un fol espoir. A l’exemple des nombreux titres qui se créaient, Tingbo Louis Firmin faisait paraitre ce bimensuel humoristique, qui rendait hommage au Canard Enchainé français dont il emprunta d’ailleurs la gouaillerie et l’impertinence. Dans l’ours du numéro zéro, un poste était à pourvoir, celui de Rédacteur en Chef Délégué. Après test, je fus retenu, heureux qu’on m’offre non pas un poste, mais de la matière, vu que jusque là, je n’avais d’expérience journalistique qu’à travers les chroniques culturelles dans les périodiques de l’époque.

Avec Louis Firmin, j’embrassais le journalisme humoristique. L’ironie, la satire, la caricature, le billet d’humeur, le pastiche, toutes les palettes du genre devraient être maîtrisées sans pour autant se départir de l’objectif premier du journal : informer, éclairer, divertir. Je fis mes armes avec lui. J’eus surtout le bonheur d’avoir été à bonne école.

Car, Louis Firmin ne faisait jamais les choses à moitié. Toujours en train de dévorer l’actualité politique internationale à travers livres et documents, il exigeait de nous toujours le mot juste, conseillait l’expression la plus savoureuse, recommandait la phrase la plus élégante. Bien qu’il aime, de temps à autre, piocher dans le registre argotique, il détestait la vulgarité et l’injure. Surtout lorsqu’il s’agit de billet d’humeur. Là-dessus, il me disait, me répétait à l’envie qu’un article réussi est un article inattaquable.

Comme le Canard Enchaîné, Louis Firmin refusait de contracter des insertions publicitaires. Son esprit indépendant ne l’autorisait guère à être inféodé à tout pouvoir, financier ou politique. Il pouvait, de temps en temps, faire plaisir à des amis, en faisant mousser leurs mayonnaises par de petits encarts publicitaires, mais jamais, il n’acceptait d’être au service d’un pouvoir marchand. Conséquence de cette posture : l’irrégularité du journal. Du bimensuel, il devenait mensuel, puis bimestriel avec des ruptures récurrentes. Entre avril 1990 et juin 1992, le Canard connut trois cessations d’activité. Pour se relancer, Louis dut vendre une de ces parcelles dans une zone de Cotonou bien en vue, vente d’ailleurs dont je fus le témoin signataire.

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Le rêve de l’ex-directeur adjoint de La Caravelle était noble : faire du Canard un journal satirique de référence en Afrique, à la fois exigeante, subtile, intellectuelle. D’ailleurs, la réputation du bimensuel avait vite franchi les frontières du Bénin : les abonnements venant d’un peu partout du monde supplantaient ceux enregistrés sur place. Surtout qu’à l’internationale, on disposait d’un ambassadeur prestigieux qui, avec sa magistrature, en donnait de larges échos: Nicéphore Soglo. Bien que « victime » à de nombreuses reprises de notre impertinence, il était venu à la rédaction, tout comme « Maman », nous féliciter.

Mais Louis avait un autre front qui ne lui réussissait pas : La Caravelle. L’entreprise familiale avait du mal à se stabiliser. Cela coïncidait avec le départ de son épouse qui allait rejoindre la mission diplomatique de l’UNESCO à Paris. Rappelé par l’enseignement, moi je quittai le navire.

Cet homme souriant, toujours calme, plutôt avare en mots, a tenté plusieurs fois de ressusciter ce qui était devenu sa passion en même temps que son souffre-douleur. Il a tenté différents modes de gestion, associé plusieurs compétences – dont celle d’Edouard Loko alors bébé journaliste –mais la réussite, sur le long terme, le fuyait. Peut-être n’était-il pas fait pour la gestion. Son espace de prédilection était plutôt l’écriture journalistique. Après la fermeture de La Caravelle, il la déploya à travers ses chroniques sur Radio Planète. C’est sur ces ondes que TLF eut le succès qu’on lui connait.

Bien qu’au début sa voix ne fut pas euphonique, il s’appropria très vite ce nouveau média et en fit une véritable tribune. Passionnées, enflammées, parfois lyriques, les chroniques de TLF étaient des morceaux d’anthologie. Elles se drapaient de la verdeur de l’oralité et de la vivacité du style direct. TLF, c’était le meilleur de nous tous.

Je pleure l’aîné, mais aussi l’ami, le compagnon des lettres, l’homme qui, au-delà du rideau noir qui aujourd’hui nous sépare, aura accompli le rôle qu’il a reçu du ciel : celui d’avoir été un éclair de lucidité dans nos consciences embrumées, celui d’avoir été une comète si brève, si fulgurante !

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