Alors que la paix revenait à peine dans la maison «justice» après une longue et lassante grève des magistrats, le garde des sceaux lance un nouveau pavé dans leur marre. Dans une requête en date du 02 février, elle demande aux sept sages de la Cour constitutionnelle de déclarer contraire à la constitution la grève des magistrats, de l’interdire ou tout au moins de la restreindre. Pour beaucoup, c’est une provocation de trop.
Voilà qui donne l’impression d’une haine viscérale contre les magistrats. Le 08 décembre 2011, elle déclarait urbi et orbi que «la justice de son pays est corrompue et que les magistrats sont corrompus». Cette déclaration a été jugée «humiliante» par les magistrats qui ont déclenché une grève pour exiger ou son départ ou ses excuses publiques. Cette grève a duré plusieurs semaines avant que l’accalmie ne revienne. Mais à peine a-t-on fini d’éteindre ce feu que Gbèdo allume un autre. Dans une requête incendiaire, à l‘allure d’un brûlot, adressée à la Cour constitutionnelle, elle demande de déclarer contraire à la constitution la grève des magistrats et plus grave de l’interdire ou au mieux de la restreindre. Dans les prétoires et dans les bureaux, les magistrats ne cessent de deviser sur cet acte un ministre de la justice. A profusion, ils expliquent que Gbèdo a toujours voulu entretenir un bras de fer avec les magistrats pour lesquels elle voue une grande inimitié depuis ses premières années au barreau. Et comment, arrivée aussitôt au ministère de la justice, elle a tôt fait de «sauter» la Directrice de cabinet, une magistrate et a procédé à des mutations de magistrats qui ne respectent nullement les règles et l’orthodoxie de la corporation. «C’est une déclaration de guerre», nous a confié un magistrat membre de l’Unamab. Revenons donc à la requête pour mesurer la gravité des propos tenus par Marie Elise Gbèdo. «En effet, les magistrats sont des fonctionnaires spéciaux ainsi qu’il résulte de leur statut particulier. Ils exercent des fonctions d’autorité et décident au nom de l’Etat. Leur droit de recourir à la grève peut donc faire l’objet de restriction telle que la suspension de l’exercice du droit ou d’interdiction», déclare-t-elle dans sa requête. Aussi, elle affirme que cette grève des magistrats viole les droits des personnes poursuivies, le droit des personnes détenues, le droit à l’accès à la justice et par surcroît la violation des articles 18 et 125 de la constitution du 11 décembre 1990.
Rancune personnelle ou raison d’Etat
A la lecture de cette requête, une question taraude les esprits. Est-ce la vieille rancune pour les magistrats qui amène Gbèdo à cette extrémité ou est-elle en traîn d’exécuter une mission d’Etat? En effet, depuis quelques mois le gouvernement est dans une logique de restriction des libertés publiques en restreignant ou même en supprimant les droits de grève à certaines corporations. C’est le cas des douaniers dont le sort a été scellé par une proposition de loi. Selon les indiscrétions, le gouvernement envisage de priver d’autres corps comme les agents de la santé du droit de grève. Idem pour les enseignants dont on juge de plus en plus les grèves comme intempestives. Est-ce dans la même logique que Gbèdo a envoyé sa requête? Dans ses arguments, elle allègue que : «le droit de grève peut-être restreint, voire interdit, dans la fonction publique, aux fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’Etat». On comprend bien que Gbèdo agit au nom d’une autorité supérieure mue par la volonté d’interdire la grève à certaines corporations. Une nouvelle tension vient de naître entre le garde des sceaux et les magistrats. «Gbèdo aime les histoires», ironise un magistrat. Mais aura-t-elle le courage et les moyens pour les gérer?
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