Les enseignants ne sont pas «des douaniers»

Boni Yayi ne finira pas de nous étonner. Alors que tous les ministres, à l’exception de quelques uns sont en tournée d’explication dans ce qu’il est convenu d’appeler «le Bénin profond» pour «faire comprendre aux populations que les enseignants ont tort de poursuivre la grève», voilà que le président de la République, lui-même, son excellence le Docteur Thomas Boni Yayi en visite à Gogounou, (extrême nord du pays) déclare sur un ton traînant et un rien langoureux de prédicateur qu’il affectionne être tant: «les enseignants, je vous aime!».

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 Ah bon! Mais alors, à quoi rime cette tournée des ministres orchestrées à grands renforts de publicité et à grands frais, surtout d’autant qu’on annonce dans la foulée de cette déclaration étonnante une rencontre au palais de la Marina avec les syndicalistes frondeurs!

Bien qu’il soit encore trop tôt pour dire si le président a effectivement fait machine arrière, face à la grève des enseignants, ses paroles qui n’ont pas été prononcées en l’air sont éloquentes et pour le moins symptomatiques du fonctionnement de notre docteur de président. On se souvient de l’autre exclamation «les femmes, je vous aime, je vous adore!». Une déclaration d’amour qui a fait mouche au cours de la dernière campagne présidentielle ayant débouché sur le mémorable K.-O mystérieux.

Le gouvernement Yayi est coutumier des retournements de veste spectaculaires. Le scénario est largement connu aujourd’hui: face aux grèves, il joue les indifférents, puis le temps passant, il sort les muscles, menace de… défalquer et de… radier, ou fait mine de recruter d’autres agents qui remplaceraient les grévistes. Les tournées d’explication à l’intérieur du pays suivent, pour compléter le tableau. Chaque fois que le gouvernement a maille à partir avec certaines catégories sociales de la population, l’exercice est réédité avec toujours les mêmes résultats plutôt mitigés pour ne pas dire quasi nuls. L’objectif avoué est de susciter l’indignation des populations contre la catégorie sociale que le gouvernement veut clouer au pilori. Cela a bien fonctionné dans le cas des médecins et autres agents de santé mais jamais, elle ne soulève des vagues dans le sens d’une insurrection généralisée contre les grévistes. Au contraire! Généralement, tout se termine par des négociations où le gouvernement lâche du lest, comme dans le cas des financiers où une trêve est consentie, en attendant la prochaine grève.

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Le retournement de veste le plus spectaculaire a été celui des agents du ministère des finances. Ces derniers réclamaient -on s’en souvient comme si c’était hier- le relèvement du point indiciaire de 1.25. La grève perlée a duré plus de six mois, puis le gouvernement capitule! A la suite des financiers, les autres agents de l’administration centrale déclenchent une grève illimitée pour obtenir ce que leurs collègues financiers ont arraché de haute lutte. Puis patatras! La Cour constitutionnelle intervient miraculeusement sur le recours d’une certaine Ingrid Houessou, jusqu’à ce jour, introuvable. Elle tranche sans appel: l’augmentation accordée aux financiers est anticonstitutionnelle, déclare-t-elle, si elle n’est pas généralisée à tous les agents permanents de l’Etat. Dans la foulée, le gouvernement, comme s’il n’attendait que ça, abroge le décret accordant la fameuse augmentation aux financiers. Ces derniers reprennent de plus bel la grève, sous le couvert des droits acquis. Le gouvernement Yayi montre du muscle et vilipende les financiers à coups de tournées gouvernementales monnayées. Encore! Cependant, les financiers résistent et le gouvernement plie et finit par rompre en sortant un énième décret qui maintient les droits acquis aux financiers tout en promettant de l’étendre à tous les autres cadres. L’honneur semble sauf mais le gouvernement a bel et bien capitulé. Les enseignants, parents pauvres de l’administration, s’engouffrent dans la brèche du décret et donnent de la voix. On connaît la suite! Pourtant, le gouvernement Yayi se souvient avoir très récemment gagné une fois contre les… douaniers. Sa fermeté à leur égard avait payé puisque dans la foulée, il a fait adopter une loi très répressive interdisant le droit de grève. Au motif que les disciples de St Mathieu sont aussi des militaires. Une loi que la Cour Dossou s’est curieusement empressée d’entériner et, les douaniers, depuis, se tiennent cois.

Mais le gouvernement se trompe de cible! Les enseignants ne sont pas des… douaniers. Ces derniers, on le sait très bien, ne sont pas des habitués des grèves. Contrairement à ce que l’on croit, les douaniers étaient en effet les seuls cadres de l’Administration des finances qui n’avaient pas souvent recours à la grève. Les statistiques montrent qu’en 10 ans, on peut compter sur le bout des doigts d’une seule main, le nombre de grèves auxquelles ils ont pris part. Et au sein de la fédération des agents des finances, ce privilège leur était tacitement reconnu, étant donné l’extrême sensibilité de leur travail. Avant le Pvi, un seul jour de grève est un manque à gagner pour l’Etat mais aussi pour… nos amis les douaniers. Qui est fou? Les enseignants sont des agents d’une autre espèce. Longtemps parents pauvres de la fonction publique et vivant dans des conditions quasi spartiates avec des salaires de moines, ils ne sont bénéficiaires d’aucun «à côté». Ils ont appris à vivre de peu et savent défendre bec et ongles, à l’image de ceux du fameux «Front» les avantages qu’ils estiment leurs. Ils iront jusqu’au bout. Le président Kérékou qui se fait fort de connaître le pays les connaît bien. Ce sont des «cabris morts», comme le disent les Ivoiriens. Et c’est chez eux aussi qu’on dit généralement que «cabri mort ne craint pas couteau!».

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