Pour fustiger l’archaïsme du clergé catholique africain

C’est avec un intérêt mêlé de stupéfaction que j’ai lu dans La presse du jour n°1588 du jeudi 1er mars 2012 la « Lettre ouverte des rosicruciens au clergé catholique africain » signée de Serge Toussaint, Grand Maître de la juridiction francophone de l’A.M.O.R.C., et la « note » intitulée « Nul ne peut être à la fois bon chrétien et bon rosicrucien », censée être « le son de cloche » de la religion catholique dont le Père Frédéric Serge Kogué, Aumônier Diocésain de la jeunesse (Cotonou), se donne comme le porte-parole.

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Si j’ai décidé de réagir, c’est parce que j’ai été choqué par l’arrogance tranquille mais faussement érudite, la posture méprisante, inquisitoriale, moralisatrice, dogmatique du Père Kogué qui s’autorise à décréter non seulement qui est un « bon chrétien » mais aussi qui un « bon rosicrucien ». Quelle présomption ! En tant que chrétien catholique, je lui dénie personnellement le droit de juger ses coreligionnaires, a fortiori les membres d’un Ordre mystique qu’il connaît mal et sur lequel il se permet pourtant de jeter l’anathème.

Si j’ai décidé de réagir, c’est en raison des dérives actuelles des extrémismes religieux que tout citoyen libre et sain d’esprit a le devoir impérieux de combattre, l’exclusivisme des religions ne conduisant qu’à des atrocités comme celles qui sévissent actuellement à nos portes avec la secte Boko Haram.

Si j’ai décidé de réagir, c’est parce que j’ai le sentiment que le clergé catholique africain prend souvent les fidèles de la religion pour des moutons à qui l’on peut se permettre de servir n’importe quelle salade, comme par exemple collecter leur argent en leur faisant croire que c’est pour dire des messes pour le repos des âmes des défunts. Plus il y aura d’argent, plus les âmes des défunts auront des chances d’être sauvées. Bien sûr, c’est tout simplement scandaleux ; pourtant cela se passe dans l’Eglise catholique africaine. À cause de la misère matérielle, intellectuelle, spirituelle dans laquelle végète la masse des fidèles dont on suborne les esprits pour mieux les abrutir, les dominer, les exploiter. Je dénonce cette façon de procéder qui déshonore Dieu, qui n’ennoblit guère notre foi, qui rapetisse l’Homme.

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Nos prêtres catholiques africains ont tellement pris l’habitude de vivre dans l’ignorance, la misère et la complaisance de leurs ouailles qu’ils en viennent à perdre leur dignité à force de bafouer celle de leurs fidèles. Ils en viennent à perdre totalement le sens de la réalité, s’amollissent de la tête et s’enferment dans l’illusion soporifique de leurs certitudes archaïques. Il ne suffit pas de citer la Bible à chaque phrase pour transformer un magma confus de clichés en une pensée cohérente. En tant que chrétien catholique, j’ai été profondément déçu et irrité par l’outrecuidance pontifiante… et creuse du Père Kogué qui ne fait vraiment pas le poids devant la hauteur, l’ouverture d’esprit, la tolérance des propos de Serge Toussaint. Avouons que la religion catholique vaut mieux que l’idée qu’il cherche à en donner.

C’est le lieu de se demander de quel Dieu parle le Père Kogué ? « Le dieu rosicrucien n’est pas le Dieu chrétien » écrit-il sottement, avec minuscule pour celui des autres et majuscule pour le sien ! Quel Dieu cherche-t-il à défendre contre les rosicruciens ? Celui qui, dans nos églises, attend la deuxième ou la troisième quête pour sauver les âmes du purgatoire ? Ainsi donc, la religion catholique se considère comme au-dessus de tout soupçon. Mais les croisades ? Mais l’esclavage des Noirs ? Mais le colonialisme ? Mais le génocide juif ? Mais la pédophilie ? Mais tous ces prêtres qui entretiennent clandestinement des concubines dans nos quartiers et qui vont parfois jusqu’à coucher avec des femmes dont ils ont célébré eux-mêmes le mariage ?… Que savons-nous exactement de la crise qui a récemment secoué le clergé béninois et qui a abouti à la mise au secret de certains prêtres, évêques et même d’un archevêque ? Je suppose qu’on ne nous en a pas dit grand-chose parce que nous ne sommes pas assez mûrs pour comprendre. Soit !

Mais qu’une telle religion qui infantilise, berne et trompe ses fidèles se permettent de donner des leçons à d’autres communautés spirituelles, cela est tout simplement ahurissant. Je ne suis pas rosicrucien. C’est en tant que chrétien catholique que je dénie à ma religion le droit de juger l’Ordre Mystique de la Rose-Croix. À vrai dire, cette démarche relève de la concurrence déloyale, en fait d’un manque de confiance de l’Eglise catholique en ses méthodes et en ses dogmes qu’ébranlent les pouvoirs inouïs de l’esprit moderne, je veux dire l’émancipation de l’Homme par son arrachement progressif à la peur et à la superstition.

Car, enfin, pourquoi l’Homme recherche-t-il Dieu ? Est-ce pour remplir les églises ? Je réponds non, non et non ! Je le proclame haut et fort : Dieu n’appartient pas à l’Eglise catholique. Les hommes et les sociétés sont libres de le concevoir comme ils veulent, de le vivre comme ils veulent, de l’approcher par les méthodes qu’ils estiment appropriées. Le catholicisme n’est qu’une religion parmi d’autres dans le monde, une des voies possibles vers Dieu. On ne le répètera jamais assez : il est extrêmement dangereux pour les hommes, pour la société, pour notre monde de laisser confondre la religion et la foi. Aucune religion n’a le monopole de Dieu, Principe Suprême et ineffable, que l’homme libre peut parfaitement rencontrer en dehors des religions.

Il m’apparaît, à la lecture de la note du Père Kogué, que le vodoun que le catholicisme dénigre comme il dénigre l’A.M.O.R.C. est aujourd’hui une religion plus moderne parce que plus tolérante, plus adaptée à l’évolution de notre temps. Je sais que ce n’est pas l’avis du Père Kogué qui croit détenir la Vérité mais cela m’importe peu. Et prenons garde, car à ce rythme, je ne donne pas cher de la religion catholique en Afrique d’ici au siècle prochain. L’espérance est dans la conscience claire que nous aurons de l’œuvre du temps et dans notre engagement constant à cultiver l’amour, l’harmonie et la paix.

Guy Ossito MIDIOHOUAN
Professeur des Universités

 

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