Le président SOGLO à Nantes : « L’Afrique doit assumer son passé»

A l’invitation de Jean-Marc AYRAULT, Député-maire de Nantes, le Maire de Cotonou, le Président Nicéphore D. SOGLO, a participé du 23 au 25 mars dernier, dans cette ville française, à l’inauguration du Mémorial de l’abolition de l’esclavage.

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La cérémonie tenue en présence d’éminentes personnalités et savants dont l’écrivain Lilian THURAM et la Députée de la Guyane, Christiane TAUBIRA, a démarré par des tables rondes sur des thèmes relatifs à la traite et à l’esclavage. Le Président SOGLO et son épouse, Rosine VIEYRA SOGLO qui l’avait accompagné à Nantes, ont pris une part active et remarquée aux débats consacrés au thème « Servitude, travail forcé et formes contemporaines d’esclavage ».

Au terme de ses activités à Nantes, le Maire de Cotonou a rencontré le 27 mars dernier, Irina BOKOVA, Directrice Générale de l’UNESCO, au siège de l’institution à Paris.

Les échanges entre le Président SOGLO et la Directrice Générale de l’UNESCO, ont porté notamment sur l’Alliance Internationale des Villes pour le Devoir de Mémoire et le Développement dont le Maire de Cotonou assure la présidence et sur le Projet UNESCO-Ville de Cotonou, initié pour la formation de jeunes diplômés sans emploi et la mise en place à terme d’un office municipal de la culture et du tourisme. Après l’exposé du Président SOGLO sur ces questions, la Directrice Générale de l’UNESCO s’est réjouie de la coopération active entre son institution et la Ville de Cotonou et a réaffirmé sa disponibilité à appuyer et à renforcer toutes les initiatives y concourant. Elle a suggéré au Président SOGLO de présenter le dossier de l’Alliance à la prochaine rencontre d’Africités à Dakar en Décembre 2012 pour intéresser également d’autres organismes au financement de ses activités.

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(Lire le disco​urs du Président SOGLO, du Maire de Nantes, et de la Députée de la Guyane).

 

Discours de Son Excellence Monsieur

le Président Nicéphore Dieudonné SOGLO,

Maire de la Ville de Cotonou,

Président de l’Alliance Internationale des

Villes pour le Devoir de Mémoire et le Développement à la cérémonie d’inauguration

du Mémorial de la traite négrière

 

Nantes, le 25 mars 2012

 

Excellence Monsieur le Député-Maire de la Ville de Nantes, cher Ami,

 

Excellences Messieurs les Maires,

Honorable Député, Madame Christiane TAUBIRA,

Monsieur le Président du Tribunal de Grande Instance à Nantes,

Monsieur le Représentant des Associations Nantaises de Michel COCOTIER,

Chers Invités,

Mesdames et Messieurs,

 

C’est avec un réel plaisir que je prends la parole en cette circonstance historique d’inauguration à Nantes du Mémorial de la traite négrière. Cette date du 25 mars 2012 restera à jamais gravée dans la mémoire des peuples du monde et en particulier de ceux d’Europe, d’Afrique et des Amériques, les trois continents impliqués dans la traite négrière. Il est déjà significatif qu’elle ait coïncidé avec la journée internationale de commémoration des victimes de l’esclavage et de la traite transatlantique.

Cher Jean-Marc AYRAULT, il me plaît de vous rendre à cette occasion un hommage exceptionnel. En le faisant, j’ai la conviction de m’acquitter d’un devoir au nom de tous vos amis ici présents et ceux absents, qui ont suivi et apprécié votre combat pour les droits de l’Homme et sa dignité, quels que soient la couleur de sa peau, son rang social, ses choix philosophiques ou religieux, etc. C’est cette foi pour l’Homme et cette passion de la justice qui vous ont fait vous engager avec autant de détermination et d’abnégation dans la lutte que nous menons ensemble pour le devoir de mémoire envers les victimes de la traite négrière.

Oui, Monsieur le Député-Maire, la pérennisation, la valorisation et la diffusion de la mémoire de la traite atlantique, ont été le premier idéal autour duquel nous nous sommes retrouvés. Ainsi, pour ma part, je me suis investi dans l’organisation du Festival « Ouidah 92 » dans mon pays, le Bénin, où j’ai procédé à cette occasion à l’inauguration de la « Porte du non retour » avec Monsieur Frederico MAYOR, Directeur Général de l’UNESCO. De même, j’ai lancé avec Haïti le projet de « La Route de l’Esclave ». J’ai été heureux que la Ville de Nantes avec à sa tête votre personnalité clairvoyante ait compris l’enjeu et se soit engagée dans le même combat.

Nous avons été rejoints avec enthousiasme par d’autres collègues et amis. Et depuis, nous avons fait du chemin. D’abord avec la création de l’ « Alliance Internationale des Anneaux de la Mémoire », à la suite des rencontres d’Antananarivo à Madagascar en 2005 et de Nantes en France en 2006. Ensuite avec la naissance à Nantes le 28 juin 2010 de l’« Alliance Internationale des Villes pour le Devoir de Mémoire et le Développement ».

 

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

La Ville de Nantes s’est toujours trouvée à la pointe de ce combat par ses initiatives et son investissement de toutes sortes. Elle nous en donne encore une preuve éclatante par la réalisation du Mémorial que nous inaugurons aujourd’hui, bel ouvrage artistique s’il en est, mais encore plus, fresque d’une densité historique extraordinaire, matérialisation frappante de la place importante occupée par Nantes dans cette tragédie qui a fait subir à l’Afrique la déportation massive de main-d’œuvre et de procréateurs potentiels. Elle est aussi, cette création architecturale exceptionnelle de par l’articulation intelligente et harmonieuse de ses composantes et de par la construction ingénieuse de l’espace, le reflet et l’image expressive de la nouvelle cité de Nantes.

Nous avons tous conscience maintenant que les conséquences de cette période tragique de la traite négrière sont incommensurables pour l’Afrique, mais aussi pour le monde entier car, comme le soulignait le Député abolitionniste français, Victor SCHOELCHER en 1848, « la violence envers le membre le plus infime de l’espèce humaine, affecte l’humanité entière. La liberté d’un homme est une parcelle de la liberté universelle, vous ne pouvez toucher à l’une sans compromettre l’autre tout à la fois ».

Pourtant, la connaissance du phénomène de la traite négrière a été pendant longtemps l’objet de peu de sollicitude. Si petit à petit et grâce notamment à des actions de l’UNESCO, l’histoire de ce commerce des hommes a pu émerger depuis une trentaine d’années, si depuis 2001 et grâce au combat de la députée de la Guyane française, Christiane TAUBIRA, la loi reconnait la traite comme un crime contre l’humanité, beaucoup reste à faire pour mobiliser les efforts, susciter l’adhésion à des actions décisives pour assurer le devoir de mémoire et enrayer à jamais toutes les formes – et Dieu sait s’il en existe encore ! – de chosification de l’espèce humaine. Soyons vigilants, la bête immonde enfouie en nous subsiste encore, prenons garde de lui donner l’occasion de resurgir, car des signes sont là dans notre monde d’aujourd’hui qui prouvent qu’elle n’est pas complètement morte.

Mesdames et Messieurs,

L’Afrique doit prendre sa part à ce ressourcement pour mieux cerner son identité et affirmer sa dignité. Oui, l’Afrique doit assumer son passé, l’Afrique doit en toute responsabilité prendre connaissance de son passé, non pas pour en faire un refuge de l’inaction, expression d’impuissance mais plutôt s’en servir comme un socle pour un nouvel essor. Pendant la période d’indicible douleur qu’a été celle de l’esclavage, le sort qu’a connu l’homme noir fut insoutenable, poignant et bouleversant. Mais se surpassant et fort de l’énergie tirée de tant de vicissitudes, laissant son humanité jaillir malgré les souffrances endurées et s’associant au grand mouvement des combattants des droits de l’homme et de la liberté, l’homme noir doit pouvoir du mal extirper le bien et poursuivre sa vaillante lutte dans le sillage des grands hommes qui font progresser l’humanité, des illustres personnages qui ont jalonné l’histoire de leurs faits glorieux. Il s’agit là d’une source d’espérance qu’il nous est donné de revivre actuellement à Nantes.

Toussaint Louverture symbolisa la résistance des esclaves et la lutte du peuple Haïtien à se libérer de l’oppression du système esclavagiste et la période révolutionnaire en France fût marquée par l’action déterminée des abolitionnistes.

En ce sens les députés Danton et Dufay fidèles à la déclaration des droits de l’homme de 1789 menèrent une action remarquable à la Convention qui a confirmé le 4 février 1794 l’abolition de l’esclavage. Mais cette décision salutaire fut remise en cause en mai 1802 par Bonaparte. Les abolitionnistes n’abandonnèrent pas et en novembre 1848 leur action aboutit définitivement à l’abolition de l’esclavage et de la traite négrière. Victor Schoelcher est la figure emblématique de cette lutte. Il est bien significatif que la passerelle qui immortalise à Nantes son nom intègre l’ensemble du site de cet imposant Mémorial de l’abolition de l’esclavage. L’on ne peut oublier en cette circonstance solennelle les vaillants résistants à la colonisation en Asie, en Afrique. Viennent à mon esprit l’Empereur du Mali El Hadj OMAR, Sa Majesté le Roi BEHANZIN du Dahomey, mon pays dénommé actuellement Bénin. Il y a aussi ceux qui déjà, avant la seconde guerre mondiale et le déclin de l’humanité que fut le nazisme, ont symbolisé la lutte pour la liberté, les droits de l’homme et l’indépendance des peuples, tels que KWAME N’KRUMAH, Jomo KENYATTA, Aimé CESAIRE et SENGHOR personnages phares de la négritude. Nous nous devons de retenir aussi les valeureux combattants de la lutte contre l’apartheid dont l’icône vivante est Nelson MANDEILA.

Leur message, le sens de leur sacrifice, de leurs efforts et de leur lutte dépassent les limitations et les préjugés de races et de couleur de peau et s’adressent à ce qu’il y a de meilleur en nous, notre humanité. En cela, ils revêtent ainsi une dimension universelle.

Cher Ami Jean-Marc AYRAULT, Député-Maire de Nantes, nous avons eu, comme je le disais au début de mon propos, de par nos initiatives respectives à Nantes et au Bénin, ainsi que par nos actions conjuguées dans le cadre d’abord des anneaux de la mémoire et depuis juin 2010 dans celui de l’Alliance Internationale des Villes pour le Devoir de Mémoire et le Développement, nous avons eu, permettez-moi de le redire à contribuer à notre manière à ce grand mouvement pour un nouvel humanisme source d’espoir pour notre monde contemporain troublé par tant de tourments et de crises.

 

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

A la place de l’odieux Code noir et de l’esprit mercantile cher à Colbert, nous voulons ouvrir nos cœurs enchantés par cette manifestation grandiose en hommage à l’abolition de l’esclavage, à l’effort de l’ensemble des forces du progrès pour la construction d’un bel avenir solidaire au bénéfice de toute l’humanité.

Dans cette optique, il ne s’agit point pour chacune des entités de la traite atlantique de regarder dans le rétroviseur et y voir dérouler l’histoire de la traite. Il s’agit aussi et surtout de rechercher et de trouver les voies et moyens d’une fécondation heureuse de ce douloureux commerce entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques. En d’autres termes, il s’agit d’établir, de renforcer et de dynamiser entre les peuples des trois continents, sur la base d’une meilleure connaissance de leur passé commun des liens de solidarité agissante, d’échanges multiformes au service de leur mieux être et de leur mieux-vivre.

Nos retrouvailles à la présente cérémonie vont bien dans ce sens.

Merci d’abord à l’Ami Jean-Marc AYRAULT qui nous en a donné l’occasion.

Merci ensuite à Madame Brigitte AYRAULT, extraordinaire pédagogue qui, par ses écrits et ses dictées aux enfants sur la traite négrière a créé des sources d’impulsion et d’éveil pour la défense des droits de l’homme dans le milieu scolaire. Sa référence à la période tragique de la traite négrière offre de meilleures perspectives de solidarité et de justice pour les jeunes de tous les continents dont nous pourrons-nous inspirer dans nos Villes et pays respectifs, car la jeunesse est le fondement de notre monde de demain.

Merci enfin pour la merveilleuse Ville de Nantes, qui en reprenant l’idéal et de message de l’Edit de Nantes a su construire, en revisitant son passé, de nouveaux ressorts pour les fondements d’une nouvelle espérance pour notre monde en crise.

 

Merci aussi et surtout à tous ceux qui, penseurs, historiens, chercheurs, architectes et les artisans d’entreprises qui ont contribué à la réalisation de cette grande œuvre dont on parlera toujours, bien de générations après nous, et qui déjà a la grâce de nous réunir.

Vive la coopération internationale !

Vive la solidarité entre les peuples d’Europe, d’Afrique et d’Amérique!

Je vous remercie.-

 

Discours de Monsieur Jean-Marc Ayrault

Maire de Nantes

Président de Nantes Métropole

25 mars 2012

 

Aujourd’hui est une journée particulière. Il y a eu bien des journées où nous nous sommes rassemblés pour nous recueillir. Je pense à ces fleurs jetées depuis 1986 dans la Loire, comme nous l’avons fait il y a quelques instants avec ces pétales de rose. Et je pense bien sûr à la journée désormais officielle issue de la loi de 2001, où chaque année nous avons un invité d’honneur.

 

Chère Christiane Taubira, merci pour ta présence, merci pour ton œuvre et ton engagement constant. Merci à Yannick Lahens, ancienne invitée d’honneur de cette commémoration, écrivaine haïtienne. Merci à Edouard Glissant, venu en 2009, dont Sylvie Glissant, son épouse, vient de nous transmettre avec tant d’émotion son message. Merci à toutes et à tous que je ne pourrai pas citer.

 

Je vous disais une journée particulière. C’est une étape, une grande étape qui nous réunie toutes et tous aujourd’hui. L’étape d’une très longue et douloureuse histoire. L’inauguration du mémorial de l’abolition de l’esclavage est bien l’aboutissement d’un combat. D’un combat engagé depuis le début des années 80 par tous ceux, associations, élus, historiens, militants, qui ont voulu et qui veulent regarder notre histoire en face pour construire une société plus juste, plus fraternelle, plus solidaire et plus ouverte.

 

Le mémorial de l’abolition de l’esclavage n’est pas un simple monument.

Il marque de manière solennelle et durable le rapport que doit entretenir Nantes à son histoire de premier port négrier de France, à honorer la mémoire de ses victimes et à saluer le courage de ceux qui, là-bas et ici, esclaves, les premiers, mais aussi abolitionnistes, hommes et femmes illustres ou anonymes des continents africain, américains du Sud et du Nord, européen, des Antilles et des Caraïbes, se dressèrent, se soulevèrent, se révoltèrent, menèrent et mènent encore le combat contre l’esclavage, résistent et résistèrent encore à toutes formes d’asservissements et d’avilissement de la dignité humaine.

Il ne s’agit pas d’opposer les mémoires aux mémoires, mais avec force et vigueur de proférer à l’égard de tout ce qui a porté atteinte à l’homme dans son humanité profonde, de tout ce qui a conduit des hommes à être humiliés, martyrisés, torturés, de tout système organisé pour emprisonner et vendre les êtres humains ; oui de proférer un cri, celui de l’inacceptable, celui de l’intolérable.

Il ne s’agit pas de saluer une communauté plutôt qu’une autre. Il s’agit de mobiliser autour de la défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Il ne s’agit pas non plus d’une mémoire périodique et de circonstance, mais bien d’assumer notre histoire, notre histoire passée pour ne pas en devenir les victimes.

Car la grandeur d’un peuple se mesure à sa capacité d’assumer son histoire. Celle d’une société à s’avouer les crimes dont elle porte encore les traces. Celle d’un Etat à dénoncer les actes de barbarie que ses institutions ont pu cautionner. Celle de Nantes d’avoir su ouvrir les yeux sur son rôle dans l’ignoble trafic qui fonda une partie importante de sa richesse : l’odieux commerce triangulaire.

Nantes a su répondre, seule hier, aujourd’hui avec le Conseil régional et le Conseil général que je tiens à remercier particulièrement, à cet appel de la mémoire pour sortir de l’occultation et dire enfin son histoire sans honte et fausse pudeur, sans recherche de coupables ou esprit de repentance collective, parce que nous sommes comptables non de ce qui a été fait en dehors de nous, mais de ce qui ne doit plus jamais être.

En mars 1998, lors du 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage à l’initiative de Victor Schœlcher, année de l’irruption dans l’espace public hexagonal des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition, Wole Soyinka, prix Nobel de littérature, Edouard Glissant, Patrick Chamoiseau, présent aujourd’hui et que je remercie, signaient une déclaration dans laquelle ils affirmaient : « aucun lieu au monde ne peut s’accommoder du moindre oubli d’un crime, de la moindre ombre portée. Nous demandons que les non-dits de nos histoires soient conjurés, et que nous entrions, ensemble et libérés, dans le tout monde ».

Cette même année, la ville de Nantes, déjà engagée dans une démarche volontaire illustrée en 1992 par l’exposition « Les Anneaux de la Mémoire » au Château des ducs de Bretagne, qui accueillit plus de 400 000 visiteurs, vota le principe d’édifier un monument sur son espace public qui témoigne de cette partie de notre histoire, du rôle que Nantes a joué dans la traite atlantique, des combats transcontinentaux pour la suppression effective de la traite et de l’esclavage ; mais un monument qui soit aussi un véritable manifeste contre les formes d’esclavage moderne et la traite des êtres humains dans notre monde contemporain : il s’agissait de ce futur mémorial que nous venons d’inaugurer ensemble aujourd’hui.

C’est au nom de ces principes et pour qu’enfin la République, qui abolit deux fois l’esclavage, assumât cette part d’ombre de l’histoire de France, qu’en 2001, Christiane Taubira, députée de Guyane, invita le Parlement français à reconnaître la traite et l’esclavage pour ce qu’ils furent : un crime contre l’humanité.

Cette loi nous engage à dénoncer le traitement inhumain subi par des millions d’hommes, de femmes, d’enfants déportés. Elle nous engage également à dénoncer l’indifférence qui a entouré, pendant quatre siècles, la souffrance de ceux qui furent réduits à être de simples instruments reproductibles et destructibles. Elle nous engage, en d’autres termes, à revendiquer une prise de conscience collective et à ne pas oublier.

Après le vote par l’Assemblée nationale unanime, le parlement tout entier, de ce texte fondamental, Nantes franchissait une étape décisive, en 2002. Un comité de pilotage pluraliste présidé par Yannick Guin – et où siégeaient 30 membres, dont bien sûr les élus Octave Cestor, Patrick Rimbert, Jean-Louis Jossic, Jean-Marie Pousseur, mais aussi des représentants de mouvements associatifs et de la société civile Michel Cocotier, Christian Vagao, Paul Rotach, Nicolas Chéri-Zécoté, Joël Barreau, Jean-François Dion et Steve Amoah – proposa à l’unanimité à la Ville de Nantes le choix d’un artiste international, reconnu et engagé, pour concevoir le Mémorial. L’œuvre de Krzysztof Wodiczko – que je tiens à saluer particulièrement pour sa détermination et son courage – associé à l’architecte Julian Bonder – que je remercie évidemment de la même façon – qui témoigne dans sa vie d’un engagement profond, qui porte dans toutes ses créations un combat pour les droits humains, en faveur des migrants, des sans-abris, des victimes, des opprimés, marqué par son histoire, celle de son pays. Elles donnent une présence à l’autre, à l’étranger, à ceux qui sont privés de leurs droits.

Ce Mémorial, s’il est un projet politique destiné à interpeler les consciences, est aussi un projet artistique et urbain à la fois commémoratif et méditatif sur le lieu hautement symbolique du quai de la Fosse, point de départ historique des navires négriers nantais dans leurs expéditions vers l’Afrique et les Amériques.

En 1848, après l’abolition définitive de l’esclavage, on avait pensé que ses traces disparaîtraient si l’on cessait de l’évoquer. On a cru qu’il fallait résolument tourner le dos à ce passé, alors que la soumission au nouvel ordre colonial faisait perdre à l’abolition sa force émancipatrice.

Mais ce passé ne pouvait être oublié par des hommes et des femmes descendants d’esclaves pour qui cette mémoire est encore bien présente, parce qu’elle a laissé des séquelles douloureuses dans les cœurs, dans les esprits et dans les territoires concernés par la traite. Absente des manuels d’histoire pendant trop longtemps, l’histoire des Français descendants d’esclaves n’était pas reconnue comme partie intégrante de la culture nationale.

Il importe que la traite et l’esclavage ne soit plus, pour les uns et les autres, ni cette origine honteuse dont on croit qu’elle pèse comme une tache indélébile, ni cette faute que la mauvaise conscience nous pousse à cacher. Ces événements sont notre histoire ; une histoire pénible, une histoire douloureuse mais dont nous entendons tirer toutes les leçons.

Cette histoire doit rester vigilante afin de faire respecter et progresser les valeurs de l’humanisme profond qui sont les nôtres face aux regains de racisme, de xénophobie, d’antisémitisme, aux tentations de repli sur soi que nos sociétés traversent en ces temps de crise et d’incertitude. Lutter contre toutes formes d’esclavages, c’est lutter contre tous les racismes, chacun à notre niveau, comme le fait Lilian Thuram à travers sa fondation. Je le remercie d’être présent aujourd’hui. C’est lutter contre des conceptions et les idées nauséabondes qui voudraient qu’il y ait des civilisations supérieures à d’autres civilisations. Lutter contre toutes les formes d’esclavages, c’est aussi avoir le courage de gommer le mot race de notre constitution parce qu’il a des effets de légitimation inverses de ceux voulus par la Loi fondamentale de la République. Lutter contre toutes les formes d’esclavages, c’est aujourd’hui honorer la mémoire des victimes innocentes de la tragédie de l’école juive Ozar Hatorah de Toulouse et celles de nos soldats assassinés à Toulouse et à Montauban, victimes de l’antisémitisme et du fanatisme. Cette tragédie est nationale et même internationale tant nous avons reçu de témoignages de solidarité. Notre solidarité avec les enfants, les parents, les familles, les proches frappés par ces actes abjectes et odieux, le chagrin et la révulsion que nous partageons, cette horreur absolue nous appellent à nous dresser, tous ensemble, pour lutter avec toutes nos forces contre la haine qui a conduit à des actes aussi abominables.

Cette histoire de la traite, de l’esclavage, de ses abolitions doit rester vivante pour dénoncer et combattre toutes les formes modernes d’exploitation. L’abolition de l’esclavage n’est pas seulement liée à l’idéologie des droits de l’homme depuis le siècle des Lumières ; elle correspond également à une interrogation profonde sur la nature même du droit international contemporain, alors que des êtres humains sont aujourd’hui encore l’objet d’une traite ignoble : trafic clandestin de migrants, trafic d’enfants et de femmes. La traite et l’esclavage qui ont asservi des millions d’Africains pour le profit d’autres hommes doivent nous rappeler, en effet, que le marché est sans loi lorsqu’il est régi par les seules règles de l’avidité, de la cupidité et de la prédation. Aujourd’hui il n’y a jamais eu autant d’être humains réduits en esclavage dans le monde malgré les progrès du droit et de la démocratie ! Ce sont les plus faibles, les plus vulnérables qui, hier comme aujourd’hui, constituent la majorité des victimes de la traite et de l’esclavage.

C’est à cette douloureuse et inacceptable réalité, à cette mémoire engagée que répond le mémorial de l’abolition de l’esclavage.

A travers lui, Nantes se doit d’être une ville symbole en Europe pour le travail de mémoire et d’histoire sur la traite négrière, mais aussi de la lutte contre l’esclavage contemporain.

C’est à cette politique ambitieuse et universelle que le mémorial répond. Il est un lieu de mémoire, physique, où chacun pourra lire les mots de ceux qui combattent et ont combattu l’esclavage, sentir l’histoire à travers l’œuvre de Wodiscko et Bonder.

Il est une invitation aux échanges intellectuels et citoyens, car connaître cette histoire et ses conséquences c’est s’en libérer. C’est être plus fort. Les premières Rencontres internationales du Mémorial, qui se renouvèleront dans le temps, menées par François Vergès, présidente du Comité pour la mémoire de l’esclavage et du Comité scientifique du Mémorial, que je remercie particulièrement pour son aide et qui poursuivra cette mission – c’est ce que la Ville de Nantes lui propose – sont un élément essentiel de cette réflexion et de la connaissance de cette histoire, avec les salles du musée d’histoire de Nantes au Château des ducs de Bretagne consacrées à la traite négrière et le parcours historique qui le relie le Mémorial au musée. Ils sont les outils d’une compréhension globale, en particulier pour les scolaires et leurs professeurs qui seront les premiers visiteurs du Mémorial.

Il est une invitation au partage de savoirs et à la construction de solidarités à l’échelle internationale, avec l’Institut d’Etudes Avancées installée à Nantes, près du fleuve, lui aussi, dont l’objectif est de renforcer les rapports nord-sud et de favoriser cet aller-retour intellectuel nécessaire entre l’Occident et ces continents envers lesquelles il est encore trop souvent condescendant.

Mais je pense aussi à « l’Alliance des villes pour la mémoire et le développement » présidée par Nicéphore Dieudonné Soglo, maire de Cotonou et ancien président de la République du Bénin – merci monsieur le président d’être là aujourd’hui – le premier qui en Afrique, dans son pays si marqué par cette histoire, eut le courage de mettre à nue cette mémoire pour que personne ne puisse l’oublier, pour que les Béninois et tous les citoyens d’Afrique et du monde puissent s’approprier au mieux ce passé. Cette Alliance que vous présidez, qui regroupe des Villes historiquement impliquées dans la traite atlantique, va resserrer les liens entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques pour soutenir et partager toutes les bonnes pratiques en matière de co-développement. Elle vient enrichir le travail que nous menons au sein de nos coopérations internationales entre villes.

Le Mémorial est aussi une invitation à la résistance et à l’engagement, avec le Forum Mondial des droits de l’Homme, car Nantes est aux côtés de tous les militants qui agissent au quotidien pour le respect des Droits fondamentaux.

Cette appropriation de notre propre histoire que matérialise le Mémorial est le résultat du travail accompli depuis de longues années, d’une persévérance dont nous pouvons être légitimement fiers : citoyens, associations, premiers donateurs, ville, métropole, région, département, Europe. Ce chantier fut difficile, c’est vrai, et je tiens à saluer les services de la Ville et de la Métropole, tout particulièrement Hervé Guéguan et Marie-Hélène Jouzeau, tous deux chefs de projet, Michel Roulleau, maître d’œuvre.

Nous avons, c’est vrai, surmonté tant de difficultés. Et puis nous l’avons regretté, mais je n’en dirai pas plus : le gouvernement ne fut pas à nos côtés. Nous avons affronté tant d’oppositions, de débats, mais il est légitime qu’il y ait des débats et ils sont encore vifs. Mais cela ne nous a pas découragés pour être là tous ensemble aujourd’hui.

Car une nation est comme un individu : pour se construire elle a besoin de savoir d’où elle vient, de quoi est faite son histoire et aussi d’un esprit critique qui lui permette de se remettre en cause pour pouvoir progresser. C’est une histoire assumée et comprise en commun qui nous permet d’avancer ensemble.

L’histoire de la traite, est une histoire profondément humaine, politique, économique et culturelle, avec ses résistances et ses guerres, ses lâchetés et ses courages. Elle nous en dit long sur ce que nous sommes et sur ce que sont nos sociétés. Il faut savoir nommer les choses pour ne pas ajouter de malheurs au monde. L’esclavage ne fait pas partie du passé. La traite négrière, l’esclavage, l’abolition ont bouleversé notre droit, notre philosophie, notre économie, notre art, notre culture, nos goûts même et nos modes de vie sans que nous en soyons d’ailleurs toujours conscients. C’est l’histoire d’hommes et de femmes, de luttes, d’engagements, de batailles et de conflits. C’est notre histoire. C’est l’histoire de la France : nous sommes en quelque sorte tous des descendants de l’esclavage. Le mémorial de l’abolition de l’esclavage est désormais là pour nous le rappeler et nous inviter à ne jamais cesser le combat pour le progrès de l’humanité.

Je lance de Nantes, ici aujourd’hui, un appel solennel à tous les citoyens français à lutter sans faiblesse contre toute forme de racisme, d’antisémitisme, de xénophobie, contre toute forme de discrimination dans notre société, contre toute forme d’esclavage et d’exploitation de l’être humain dans le monde. C’est l’engagement que je vous propose de prendre tous ensemble en ce 25 mars 2012 à Nantes.

Christiane TAUBIRA
Députée de Guyane
Commission des Affaires étrangères

Cérémonie d’inauguration du Mémorial de l’abolition de l’esclavage – Nantes 25 mars 2012

Intervention de Christiane TAUBIRA, Députée de Guyane

Monsieur le Président du Tribunal de Grande instance, Monsieur le Procureur de la République, Mesdames et Messieurs les Magistrats, Mesdames et Messieurs les Avocats, merci pour votre hospitalité

Monsieur le Député-maire de Nantes

Monsieur le Président honoraire de la République du Bénin,

Madame Soglo-Vyeira, Députée honoraire du Bénin

Mesdames et messieurs, distingués invités,

Il me revient le privilège de rendre hommage à Jean-Marc Ayrault, Député-maire de Nantes, président de Nantes métropole, consacré par Sylvie Glissant premier des Batoutos.

Rendre hommage à sa constance, sa détermination, sons sens de l’écoute et du dialogue, son courage moral et politique. Car ses 23 ans d’engagement sur cette cause ne furent exempts ni de malentendus, ni d’objections et d’oppositions farouches, parfois brutales, ni de risques de surenchère ou de confusion des rôles. Mais tu as tenu bon, Jean-Marc, et continué à diversifier tes actions pour conduire et accompagner la ville de Nantes dans sa confrontation avec cette part, lourde, de son histoire. Ce furent le soutien aux associations, qui représentent la société civile et constituent un aiguillon salutaire ; la coopération et le jumelage avec des villes africaines et sud-américaines ; la création de l’Institut d’études avancées sur les rapports entre pays du nord et pays du sud ; l’organisation du Forum mondial des Droits de l’homme, car telle est bien la colonne vertébrale, l’épine dorsale de ces combats. Ce fut également l’exposition des Anneaux de la mémoire, ses 450 000 visiteurs et tous les évènements autour. Ce fut, et c’est important, l’ouverture de salles sur la traite négrière au sein du musée de l’histoire de Nantes au château des Ducs de Bretagne, car cette histoire n’est pas une histoire hors sol, elle fut toujours incluse, imbriquée à l’histoire de Nantes, elle s’y est déployée, elle y a laissé traces et sillage. C’est aujourd’hui ce Mémorial, avec sa qualité architecturale, son esthétique, parfois grise, parfois rêche, mais très aérée ; sa symbolique à la croisée de la mémoire, de l’histoire, de la géographie et de l’éthique ; sa portée internationale, sa dimension universelle. Nous savons ce que ces qualités doivent à Mrs Wodiscko et Bonder, à leurs compétences autant qu’à leurs parcours.

Enfin, je n’oublie pas la part que tu as prise dans le combat législatif, en tant que président de notre groupe parlementaire, ton rôle déterminant et parfois décisif, lorsque nos rapports étaient tendus avec le gouvernement.

En 1893, aux funérailles de Victor Schoelcher, Georges Clémenceau prononça ces mots : « L’abolition de l’esclavage paraît aux réactionnaires eux-mêmes une chose toute simple aujourd’hui. Mais si l’on faisait revivre dans un tableau tragique les haines féroces aiguisées jusqu’à la folie, que suscita la lutte de l’homme blanc pour la possession de l’homme noir à titre de bétail avili, on saurait ce qu’il fallut de noblesse de cœur, d’implacable énergie, de mépris des clameurs, d’insouciance des périls, pour accomplir l’œuvre de Schoelcher ».

De son vivant, lors de ses combats, Victor Schoelcher avait qualifié la traite négrière et l’esclavage de ‘crime de lèse-humanité’. Pourtant il n’a réussi ni à empêcher l’indemnisation des maîtres, ni à imposer l’indemnisation des esclaves, non pour les préjudices subis, mais pour une partie des années de travail fourni gratuitement. Il avait les idées claires. Se prononçant sur la rançon d’indépendance réclamée par la monarchie française à la jeune République d’Haïti, il déclara que c’était « faire payer une deuxième fois par l’argent, ce que les anciens esclaves avaient payé une première fois par le sang ». Lorsque par la loi de 2001 le Parlement français donne nom et statut au crime, proclame que ce fut, que c’est un crime contre l’humanité, il franchit une étape cruciale, il pose une vérité et fait œuvre de justice sociale. Un crime contre l’humanité, cette éjection hors de la famille humaine de millions de femmes, d’hommes, d’enfants, un crime contre tous les hommes, en tous lieux, à toutes époques.

Le crime étant qualifié, il faut le documenter. Il est étonnant de constater certaines réticences qui procèdent d’un vigoureux conservatisme dans le milieu universitaire, d’où sont parties parfois les plus farouches oppositions contre la loi et ses dispositions d’enseignement. Hier encore dans un bus à Paris, une étudiante m’a dit avoir mis un an à trouver un directeur de thèse, même pas en histoire, en sociologie. Etonnant que des universitaires s’opposent à une loi qui favorise la recherche et la coopération, alors que des collectivités s’y adossent, comme la Haute-Savoie, la Meurthe et Moselle, le Haut-Rhin, le Jura, la Franche-Comté, pour leur programme et actions sur ‘la route des abolitions’, en affirmant clairement depuis début 2002 « vouloir être la déclinaison de la loi de 2001 » ! Ces réticences, aussi fortes soient-elles, ne concernent qu’une minorité du milieu universitaire, tant sont actifs, et depuis longtemps, les chercheurs et professeurs qui produisent de la connaissance et donc, documentent le crime. Conformément à la l’article 2 de la loi, les programmes scolaires intègrent la consigne d’enseignement, comme l’évalue le rapport annuel de l’Institut national de la recherche pédagogique. Il faudra intensifier l’élaboration de manuels scolaires, de supports pédagogiques au service des enseignants.

Des réticences proviennent aussi de la société, elles sont partiellement le fait d’une grande méconnaissance des faits et des constructions idéologiques fabriquées pour justifier ce système économique basé sur le meurtre légal et l’exil massif forcé. Il reste à expliquer plus largement que là love la source du racisme et des représentations façonnées pour légitimer cet esclavage racial. Nous voyons bien par ailleurs que la journée nationale du Souvenir, instaurée par la loi, semble s’installer après 2 belles années solennelles au Luxembourg à Paris (2006 et 2007) et 2 célébrations a minima (2008 à Bordeaux, 2009 sous présidence sénatoriale) puis un retour présidentiel avec un contenu substantiel, non plus sur l’abolition, mais sur la traite et l’esclavage. Et de plus en plus de collectivités, mairies, communautés de communes, départements, régions, prennent des initiatives pour le 10 mai, en plus des associations. Le Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, également créé par la loi, présidé par Françoise Vergès, après Maryse Condé les premières années, a bien trouvé son rythme de croisière. Concernant les dispositions de la loi sur la reconnaissance internationale, je peux en témoigner directement, la France a joué un rôle majeur à Durban, en septembre 2001 à la Conférence internationale contre le racisme, la xénophobie et l’intolérance, dont la Déclaration finale reconnaît la traite négrière et l’esclavage comme crime contre l’humanité.

Quant au monde politique, on voit bien que certains ne font pas relâche sur les obstructions, les blocages, les regimbements. Ils continueront à venir à chaque ressac s’échouer sur le rivage d’un pays qui, malgré ses égarements, reste profondément attaché aux valeurs humanistes. Comprenons bien que, dans ces cas, contrairement aux citoyens ignorants des faits ou frileux, il s’agit d’une vraie confrontation idéologique, d’un réel affrontement de valeurs, d’une conception antagonique de la dignité de toute personne.

La première mondialisation, économique, généra une mondialisation de la pensée, des luttes, des arts, des causes : la liberté, les libertés, l’égalité entre les hommes, l’égalité entre les hommes et les femmes, les rapports entre les cultures. Bref, les idéaux qui inspirent les luttes au-delà de son quartier, de sa ville, de son pays, de son continent, au-delà des fausses proximités avec le pouvoir, pour atteindre aux vraies solidarités de valeurs, pour atteindre à la fraternité. Les sociétés qui ont subi l’esclavage sont des sociétés plurielles. De fait. De force. Elles le sont restées par choix, en servant cette injonction de Louis Delgrés : « La résistance à l’oppression est un droit naturel ».

Cette longue période, d’une exceptionnelle violence, fut celle de l’oppression, de la déshumanisation, de part et d’autre ; celle de l’homme, captif, vendu, acheté, fouetté, asservi mais qui trouve les ressorts pour se battre ; celle du maître devenu esclave de sa cupidité et de sa peur. Cette période fut aussi celle d’une époustouflante créativité. Le plus spectaculaire est dans les langues. Inventées sous la nécessité des solidarités de survie, puis des luttes, inventées dans le secret, la tension, puis la relation ; la relation horizontale entre les esclaves de langues différentes, entre esclaves et Amérindiens ; puis la relation verticale entre esclaves et maîtres. Puis ces langues furent enrichies et embellies par un sens de la vie qui suggérait de ne renoncer ni aux rires, ni aux chants, ni à la dérision, ni à la beauté. C’est ainsi que les esclaves furent invaincus, survivants et invaincus. Ils inventèrent des langues, des religions, des expressions artistiques, de la littérature, d’abord orale puis écrite, des techniques, des modèles économiques, ils composèrent des savoirs à partir de leurs milieux naturels, dans l’échange et dans l’observation. Ce fut, quoiqu’il paraisse, un âge d’or de la créativité, de l’inventivité, de l’ingéniosité. De la générosité.

Hommage à Nantes et aux Nantais. Nantes fut, par son trafic, le 1er port négrier français. Nantes s’avère aujourd’hui le meilleur, par son audace et son originalité.

La question qui nous est posée est de savoir dans quel monde nous voulons vivre. Le voulons-nous plus amical ? La fraternité est un combat. Quels efforts sommes-nous prêts à faire, dans nos vies quotidiennes, pour un monde moins hostile, moins injuste, moins brutal ?

Ce Mémorial nous dit qu’il n’est pas question de passer vite sur l’esclavage colonial. Qu’il faut prendre le temps d’en saisir les enseignements, d’en repérer les traces, d’en suivre le sillage, d’en neutraliser, d’en corriger, d’en éradiquer les effets. Mais le Mémorial nous rappelle aussi que les luttes contre l’esclavage colonial furent des luttes pour les droits de l’homme, pour la liberté de chacun, pour les libertés de tous. Qu’elles perdraient leur sens profond si nous restions indifférents aux situations contemporaines de traite, d’esclavage, de servitude qui frappent des millions de personnes.

Ce Mémorial est une promesse en soi, comme celle qu’annonce le grand poète chilien, Pablo Neruda :
« La nuit arrive avec sa coupe de lierres étoilés
Le rêve submerge les hommes
Et le monde se lave une fois encore
L’ombre secoue ses gants
Tandis que les racines travaillent

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