Deux principes à retenir. Deux principes pour nous faire une idée sur les idées qu’on fait courir sur l’Afrique et sur les Africains. Le premier principe affirme que les préjugés ont la vie dure. Ils sont, en effet, les produits d’une opinion préconçue, unilatérale qui tient davantage du parti pris. Le deuxième principe établit que l’image que l’on se fait de l’autre est forcément subjective. Parce qu’il s’agit de la reproduction mentale de ce que l’on veut bien percevoir ou de ce que l’on veut bien retenir de l’autre.
De Paris à Moscou, de Londres à Washington, force est de reconnaître qu’il y a une certaine manière de voir et d’apprécier l’Afrique et les Africains. Ce n’est pas forcément le fait d’ignorants qui ne comprennent rien à rien. Nicolas Sarkozy, en 2007, à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, a soutenu l’idée d’une apathie, d’une insensibilité de l’Africain à s’accomplir comme sujet d’histoire. Cinq ans plus tard, l’un de ses ministres a apporté sa touche à la défense et à l’illustration du même préjugé. Les civilisations, a-t-il dit, ne se valent point.
Il ne peut en être autrement : les mêmes tristes préjugés sur l’Afrique et sur les Africains ne peuvent conduire qu’à produire les mêmes tristes images sur l’Afrique et sur les Africains. Nourrie au lait du préjugé, l’image n’est plus que la reproduction tronquée et caricaturale de la réalité, œuvre d’un esprit conditionné par une foule de déterminants. Un tel esprit ne peut donner à voir l’Afrique et les Africains qu’à travers le prisme réducteur de sa myopie, si ce n’est de sa cécité.
Qu’on pense à un préjugé tenace comme, « L’Afrique est un continent essentiellement agricole ». Un autre préjugé voudrait que l’Africain soit « génétiquement paresseux ». Ce n’est pas parce que le schéma colonial d’exploitation de nos pays nous a établis dans le rôle de fournisseurs de matières premières agricoles que l’agriculture est notre seconde religion. Ce n’est pas parce que l’Africain sait donner du temps au temps, s’empêchant de courir tout le temps contre le temps, qu’il en fait moins que l’Occidental, qu’il évite ou refuse l’effort. L’Afrique n’est pas le continent des paresseux. Il en existe, du reste, sur tous les continents.
On connaît l’image stéréotypée et passe partout d’une Afrique pauvre. Rappelons-nous cet enfant agonisant, dans les bras de sa maman. Un enfant miné par le kwashiorkor. Un enfant enveloppé d’une nuée de mouches. Voilà pour la pauvreté qui a servi à justifier tous les élans de charité, à écrire et à proclamer toutes les professions de foi humanitaires.
A la casquette de la pauvreté qu’arborent, depuis, la plupart des Africains, visa d’accès aux ressources ou de remise des dettes, s’ajoute désormais la casquette de l’irresponsabilité. L’Afrique est sur la plus haute marche du podium, à en juger par le nombre de ses dirigeants qui croupissent dans les geôles de la Cour pénale internationale à La Hayes.
Voici un nouveau terrain, tout bourgeonnant de fleurs du mal. Nos censeurs de toujours nous y attendent. Figurent déjà à leur tableau de chasse el-Béchir du Soudan, Taylor du Liberia, Bemba du Congo, Gbagbo de la Côte d’Ivoire, en attendant peut-être Habré du Tchad et les fils Kadhafi de la Libye. De quoi consolider les préjugés anciens. De quoi forger de nouvelles images. L’Afrique est vue comme un continent sans tête. Ou plus précisément ceux qui en sont à la tête sont tenus pour des chefs de guerres ou des chefs de gangs. Sans plus.
A y regarder de plus près, c’est bien nous-mêmes qui aidons les autres à affûter leurs préjugés. Il y a, en Afrique, des histoires de succès que nous ne savons ni relayer ni mettre en lumière. Il y a surtout que nous laissons aux autres l’initiative de produire des images sur nous, sans nous départir de notre attitude de simples consommateurs. Qui a ouvert, chez nous, le petit écran aux feuilletons venus d’ailleurs ?
Les nouvelles images de l’Afrique nouvelle doivent être portées par la volonté des Africains de faire mentir, par l’exemple et dans les faits, grâce à une gouvernance exemplaire, les préjugés et les images que les autres produisent sur eux. Si, comme le dit l’adage, on n’est jamais si bien servi que par soi-même, c’est aux Africains qu’il revient d’être les meilleurs illustrateurs de leur présent, les meilleurs bâtisseurs de leur avenir. A une seule condition : cesser de penser avec la tête des autres, cesser de se voir et de voir l’Afrique avec des yeux d’emprunt.
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