86 ans de bons et loyaux services. C’est-à-dire un ensemble de devoirs accomplis envers l’Eglise, envers le Bénin, envers ses semblables. Voilà ce que nous dirions s’il nous était demandé de présenter en bref le grand, l’immense baobab qui vient de se coucher.
L’abbé Gilbert Dagnon n’est plus. Il a tiré sa révérence le jeudi 14 juin. Vient ainsi de nous quitter l’homme qui, en immortalisant le Bénin, à travers le texte et la musique de son hymne national, s’est immortalisé lui-même, à son corps défendant.
Cet hymne, « L’Aube nouvelle », ponctue depuis, tous événements à caractère national ou international, privé ou public qui requièrent l’évocation symbolique du Bénin. Entre un hymne qui traversera les âges et son géniteur qui foule le sol du pays où nul ne meurt, c’est une longue et passionnante histoire. L’un est à jamais vivant. L’autre sort du monde des vivants. Mais l’un et l’autre ont gagné leur brevet d’éternité.
Gilbert Dagnon, ce sont trois principales bornes-repères le long d’une vie longue de 86 ans. A l’image d’une route qui traverse différentes régions, rallie divers paysages, rapproche des peuples par delà leurs différences. Une vie essentiellement d’engagement, de travail et de service des autres.
L’engagement, c’est, prioritairement, en direction de l’Eglise. C’est un défi majeur que d’entendre l’appel et d’y répondre favorablement. L’appel qui invite un homme à renoncer à tout, à quitter les siens, à emboîter le pas aux disciples du Christ. C’est le défi d’une vie entière. Dans l’obéissance aux règles prescrites. Dans le respect du contrat souscrit.
Gilbert Dagnon, le 10 juillet prochain, aurait bouclé 57 ans de vie sacerdotale. Ce fut donc à 29 ans, alors qu’il était encore à la fleur de la jeunesse, au moment où d’autres jeunes caressaient d’autres rêves et avaient la tête ailleurs que Gilbert Dagnon offrit la sienne à la grâce de l’ordination presbytérale. Comme vicaire et comme curé, il servit dans diverses localités Le théologien qu’il fut partagea les ressources du savoir et de la foi avec les plus jeunes, notamment au séminaire Ste Jeanne d’Arc de Ouidah. Il ouvrit à nombre d’entre eux la voie du sacerdoce et se fit, à son tour, « pêcheur d’hommes ».
Le travail, c’est essentiellement vis-à-vis du pays. La cité céleste et la cité terrestre sont certainement à distinguer l’une de l’autre. Mais l’une et l’autre participent de la volonté de Dieu, Maître des cieux et de la terre. Car, qui sait rendre à Dieu ce qui est à Dieu devrait savoir rendre à César ce qui est à César. Et César c’est le pays, l’Etat, c’est la République…
Gilbert Dagnon est un produit du système colonial français. Comme bien d’autres de sa génération, il était allé apprendre, à l’école du Blanc, à vaincre sans avoir raison. Pour reprendre à notre compte les mots de la Grande Royale dans « L’aventure ambigüe » de Cheikh Hamidou Kane. A la charnière d’un monde qui s’essouffle et d’un autre qui égrène les premières notes d’une liberté toute neuve, Gilbert Dagnon appréhendait fiévreusement son entrée dans l’arène. S’ouvrait un vaste chantier : un Etat était à construire, une nation était à bâtir. Le Bénin, alors Dahomey, allait être indépendant. Il devait recouvrer sa juste place dans le concert des nations. Il fallait l’accompagner sur ce chemin. Il fallait le doter d’un hymne national. Un hymne qui projette une grande vision, flamboie d’une grande ambition. Gilbert Dagnon sut répondre présent. Il réussit surtout à faire couler, aussi bien dans le texte que dans la musique de notre hymne national, la passion du pays qui l’animait, la foi en l’avenir du pays qui l’habitait. Notre hymne national, « l’Aube nouvelle », de ce fait, signe le patriotisme de Gilbert Dagnon.
Enfin, l’engagement pour Dieu et le travail pour le pays se rejoignent pour se confondre dans le service des autres. Gilbert Dagnon, comme enseignant, savait qu’un apprenant dont on a la charge n’est pas un vase qu’on remplit, mais un feu qu’on allume. Et que de feux ainsi allumés sur un parcours riche et édifiant ! L’autre facette de l’action de charité de l’homme de Dieu, c’est l’exorcisme. Il fut, du reste, l’un des fondateurs de l’Association internationale des exorcistes. L’exorcisme relève de dons spéciaux. Quelques uns en ont le privilège. Ils ont pouvoir de délivrer de Satan et de ses œuvres. Le chirurgien est heureux d’avoir délogé d’un corps un cancer prêt à l’assaut final. L’exorciste n’est pas moins heureux d’avoir été utile à ses frères et à ses sœurs, une fois qu’il a fait battre en retraite l’esprit malin, libérant les proies de celui-ci d’une emprise maléfique. Il est des bilans de vie qui se parent d’emblée d’un beau quitus. Pars en paix, abbé Gibert Dagnon.
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