Osons et risquons la comparaison : la Justice au Bénin n’a certainement pas une forte cote d’amour auprès des justiciables béninois. Tout comme le tir à l’arc, dans l’ensemble des disciplines sportives pratiquées au Bénin.
En tout cas, l’institution judiciaire, dans notre pays, est, pour le moment, plus crainte qu’aimée, plus redoutée que respectée. Comme si les Béninois, par méfiance, fuyaient leur Justice, se cachait de leur Justice.
Pourtant, nos tribunaux ne chôment pas. Nos juges sont à pied d’œuvre. Les avocats promènent leur robe d’une affaire à l’autre. Et nos prisons ne désemplissent pas. Seule une justice qui tourne à plein régime est capable d’un tel dynamisme. Peut-on soutenir, dans ces conditions, que la Justice au Bénin est loin du justiciable? Nous avons tout à gagner à apprécier notre Justice au-delà des apparences. Nous avons intérêt à approcher notre Justice au fond et dans ses ressorts cachés.
Nous affirmons, d’une part, que notre Justice est encore largement étrangère. La plupart des lois qui en constituent l’ossature et qui en sont l’épine dorsale ne s’inspirent ni du vécu de nos populations ni des réalités de l’environnement socioculturel de celles-ci. Nous devons dramatiquement prendre conscience que nous sommes en face d’une absurdité. Elle est à remettre en question sans délai et radicalement.
Plus que des reformes ou des opérations cosmétiques sur notre système judiciaire, c’est de révolution qu’il s’agit. La révolution telle que l’appréhendait Michelet, à savoir tout à la fois (Citation) : « L’avènement de la Loi, la résurrection du Droit, la réaction de la Justice » (Fin de citation). Nous avons le droit de nous laisser habiter par une légitime indignation. Dans ce Bénin indépendant, qui égrène près de cinquante-deux ans de souveraineté, le citoyen béninois de Tori-Bossito est justiciable, en son pays, au même titre que le citoyen français de Brest ou de Nancy. Pourtant, tout les sépare : la distance, les contextes, la culture, le rapport aux êtres et aux choses. Inacceptable que l’un et l’autre soient jugés avec les mêmes lois. Inadmissible que l’un et l’autre aient à répondre de leur culpabilité ou de leur innocence sur la foi des mêmes lois. Pour ne plus avoir à s’étonner de rien, signalons que, il y a quelques jours, des personnalités béninoises respectables, se prévalant de leur double nationalité, étaient allées accomplir leur devoir civique, prenant part aux dernières élections françaises.
Nous affirmons, d’autre part, que notre justice est inconnue de la plupart des Béninois. Ces derniers n’en connaissent pas les rouages. Ils ignorent tout de son mode de fonctionnement. Pourtant, on nous répète à longueur de temps que « Nul n’est censé ignorer la loi ». Plus facile à dire qu’à faire observer dans les faits et par les actes.
Notre Constitution dispose en son article 40 : (Citation) : « L’Etat a le devoir d’assurer la diffusion et l’enseignement de la Constitution …etc.(…) L’Etat doit intégrer les droits de la personne humaine dans les programmes d’alphabétisation et d’enseignement aux différents cycles scolaires et universitaires..(…) L’Etat doit également assurer dans les langues nationales par tous les moyens de communication de masse, en particulier par la radiodiffusion et la télévision, la diffusion et l’enseignement de ces mêmes droits. » (Fin de citation).
Il n’y aura pas de miracle. Si rien n’était fait pour opérationnaliser cette disposition de notre Constitution, persisterait, pour l’immense majorité de nos concitoyens, l’ignorance de la loi, la méconnaissance des droits. Et tant qu’il en sera ainsi, la justice, pour la plupart de nos compatriotes, sera de l’ordre d’un pis-aller, c’est-à-dire de quelque chose à quoi on a recours faute de mieux.
Nous affirmons, enfin, que notre Justice est loin de bénéficier de la confiance d’une majorité de nos concitoyens. Les Béninois ne sont point encore parvenus au stade où ils jureraient sur leur justice comme l’on jure sur la Bible ou sur le Coran, ponctuant cet acte d’une affirmation forte du genre « J’en donnerais ma main ou ma tête à couper». Il est donc impérieux de réconcilier le Béninois avec la Justice de son pays. Il est plus impérieux encore de rétablir chez tous le sens de la justice, tel que ce proverbe malgache tend à le graver dans nos consciences. « Le crime dont on se repent devient justice, mais la justice dont on se vante, devient le pire des crimes »