Notre économie se meut difficilement sans que rien de substantiel bouge en réalité si ce n’est le commerce millénaire et classique, de surcroît informel en grande partie et les investissements publics que réalise l’Etat de temps à autre liés qu’ils sont au rythme de la situation financière d’ensemble.
Cet état de chose nous interpelle et requiert que nous nous résolvions à déterminer des stratégies de développement adaptées au contexte socio économique réel de notre pays.
En tout état de cause l’on peut bien se permettre quelque originalité, profitant du vent des grandes réformes économiques notamment qui secouent actuellement notre pays avec des fortunes diverses. Il est vrai que l’on peut épiloguer à bon droit sur la manière de les conduire mais il demeure que lorsque la manière traîne et qu’il y a péril en la demeure, rien ne pourrait et ne devrait freiner la puissance publique, rien ne devrait l’empêcher de prendre des mesures conservatoires lorsque l’intérêt général, le quotidien des citoyens est en jeu. Mais il est vrai aussi que l’on ne devrait jamais perdre de vue, la prévalence de la médiation ou même de l’arbitrage par voies de droit en situation normale. Il reste qu’agiter dans l’opinion publique l’affolante menace d’atteinte à la démocratie ne tient pas la route quand l’Etat prend de telles mesures pour la bonne raison qu’on ne peut parler démocratie à un peuple qui a faim et qu’en définitive c’est le peuple qui fait la démocratie. C’est dans le cadre de ces réformes mais aussi, de quelque manière dans la perspective annoncée d’un forum économique, que nous nous risquons à proposer une approche concertée du développement par la méthode du relais dans une stratégie alternative innovante rompant avec le rôle classique que joue l’Etat dans la Nation. Nous pensons que le système qui anime notre vie économique a besoin d’être revisité.
Notre siècle des lumières est devant nous
Le bon jugement n’a jamais été l’apanage d’une société déterminée. Il nous revient alors d’oser remettre en cause ce qui nous a été inculqué par des enseignements non participatifs et d’assumer en toute clairvoyance, à l’abri de tout complexe, intellectuels que nous sommes, non pas tarés comme disait l’autre de façon offusquante qui pourtant amusait la galerie, mais dramatiquement dépendants du savoir que nous avons reçu, fondé qu’est celui-ci sur les acquis des civilisations qui le portent et qui sont étrangères à la nôtre. Il est vrai que la nôtre n’a pu jusqu’alors atteindre la pleine étape de l’écriture ni celle de la conception théorique mais cela ne nous interdit pas de réfléchir, de réapprécier et de se réapproprier les connaissances qui nous ont été données. Ce pourrait paraître enfoncer une porte ouverte que de dire cela, qui n’apprendrait rien à personne, mais il convient de se le rappeler de temps à autre car il est de notre conviction profonde que la clé de notre décollage et de notre émergence effectifs s’y trouve. Le facile, le commode et l’accommodant, c’est de rester au frais dans le cocon moral et idéologique où nous a enfermés une étape de notre histoire politique ; le courage, c’est de savoir briser le carcan en toute lucidité et à bon escient.
Quand connaîtrons-nous notre siècle des lumières à nous, à l’instar de ce vaste mouvement littéraire qui, au 18ième siècle, révolution culturelle déjà, a secoué le contient européen et remis systématiquement en cause toutes les idées et valeurs reçues ? Et c’est ce mouvement-là qui a conduit à la Révolution Française de 1789 devenue mère nourricière des grandes valeurs sociétales de nos jours. L’ancien chef d’Etat de l’hémisphère européen qui a déclare de façon peut-être trop péremptoire et peu diplomatique que nous autres africains, ‘’ne sommes pas encore entrés tout a fait dans l’histoire’’ ; et que ‘’nous n’avons pas la volonté de sortir de la répétition pour nous inventer un destin’’, soulevant l’indignation de bon nombre d’intellectuels africains et non des moindres, n’était pourtant pas si loin de la vérité. Quoi de plus vrai en revanche que le propre de l’humain qui n’aime pas s’entendre dire la vérité qui blesse mais vérité tout de même ? Effectivement nous n’inventons pas notre destin en ce sens qu’en matière économique tout au moins nous ne faisons pas notre histoire ; nous vivons l’histoire des autres que nous plaquons en ‘’couper coller’’ sur nos civilisations. C’est bien pourquoi une académie des sciences morales et politiques sereine s’impose dans notre pays ; qui devra remuer et secouer les concepts que le savoir acquis a jusqu’alors imprimé dans nos esprits et que nous appliquons sans discernement suffisant pour parvenir à un savoir critique et participatif appuyé sur notre environnement socio économique. Notre siècle des lumières devra arriver et c’est dans cette optique que l’on peut proposer des solutions alternatives à notre développement économique.
La méthode du relais : Qu’est-ce à dire et pourquoi?
En termes généraux et exprimés simplement nous dirons que le principe s’expose comme suit : L’Etat se mettrait dans le rôle d’incitateur et de promoteur effectif du développement ; il se déférait de ses habits d’observateur et de fin stratège en matière de collection d’impôts ; de recenseur et de censeur aussi. Il jouerait en revanche, le rôle de catalyseur effectif du développement ; celui d’une locomotive en quelque sorte, dépassant le rôle classique de dispensateur passif de mesures administratives et financières censées encourager l’investissement privé. Il agirait ainsi de temps à autre en acteur économique réel pour l’exemple et l’incitation. Dans ce cadre l’Etat co-créerait, en partenariat avec des opérateurs économiques privés dont un établissement financier de la place, des entreprises désignées comme prometteuses par une structure officielle compétente, pour céder nécessairement et intégralement toutes ses parts à ses partenaires à moyen terme.
Pourquoi cette proposition ? L’homme ou la femme d’affaires béninois est fondamentalement commerçant et non pas industriel; c’est-à-dire qu’il achète à quelqu’un ou s’attribue un bien pour le revendre à quelqu’un d’autre en l’état, sans transformation ni valeur ajoutée. Bien menée et sans aléa fortuit dont aucun agent économique ne peut se prémunir, l’activité comporte le minimum possible de risque réel ; elle est facile et expéditive en termes de transaction, nécessairement rentable si le choix du produit à vendre s’est fait de façon judicieuse et s’il répond effectivement à la demande. L’activité ne requiert pas grand investissement si ce n’est le capital initial pour faire les premiers achats et elle ne nécessite pas des compétences techniques particulières ; le flair y pallie bien souvent. Elle est généralement solitaire ; c’est dire qu’on peut la réaliser seule et sans s’embarrasser d’autres actionnaires. Tout cela rythme avec le profil de l’homme d’affaires béninois moyen. Mais il demeure que le commerce ne transforme pas ; elle n’industrialise pas, elle n’engendre pas de valeur ajoutée ; elle ne crée pas la croissance, réel moteur du développement ; elle ne favorise pas l’emploi. De toute évidence, la psychologie de l’homme d’affaires béninois n’est pas à l’industrialisation alors que c’est l’industrialisation qui crée la croissance durable. L’Etat devrait donc aider l’homme d’affaires à changer son fusil d’épaule non pas par des discours mais en l’épaulant fermement. Comment peut-t-il y parvenir concrètement ?
Les organes du système propose
L’Etat commencerait par mettre sur pied un comité national d’investissement en entreprise. Ce comité aurait pour tâche fondamentale non pas de produire des études sectorielles mais de rassembler et de rapprocher celles qui sont déjà disponibles ; les analyser, les rectifier, le cas échéant, et les utiliser pour en faire des études pratiques de factibilité économique, technique et financière qui convainquent les autorités politiques du pays afin d’emporter leur adhésion pour une implication éventuelle de l’Etat. Le comité soumettra ainsi à l’Etat clairement et sans ambiguïté les possibilités réelles de création d‘entreprises potentiellement prometteuses. L’avantage résiduel serait que l’on aura ainsi une vue d’ensemble de tout ce qui est industrialisable dans le pays et que l’on saura dorénavant de quoi il en retourne lorsque nous invitons les citoyens particulièrement des jeunes en quête d’initiative et d’emploi à créer des entreprises.
Le comité en question sera de composition mixte. Il sera constitué de cadres émérites des services techniques des ministères impliqués dans le développement économique du pays. Il comprendra par ailleurs des opérateurs économiques du secteur privé ayant fait preuve de la maîtrise du sens des affaires. La qualité de la composition de ce comité sera d’une importance déterminante pour la réussite de l’opération ; aussi ses membres seront-ils recrutés avec le plus grand discernement sur appel à candidature et avec des critères de sélection bien déterminés et très élevés ; non seulement de diplôme vérifié mais aussi d’expérience confirmée ne se situant pas au dessous de celle d’un Directeur de projet. C’est de leur travail que dépendront les décisions de l’Etat à s’investir effectivement dans l’industrialisation de tel ou tel secteur de l’économie. Le comité sera présidé par le Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie à qui le ministère de l’Industrie qui sera maître d’œuvre donnera mandat pour ce faire. C’est lui qui pilotera le projet dans sa phase initiale c’est-à-dire jusqu’à la remise des études de factibilité au Ministre de tutelle. Il reviendra à ce dernier de susciter l’intérêt du gouvernement pour le projet et de solliciter son financement partiel par le budget national au terme de la première étape de la procédure. Dans une seconde étape l’Etat recrutera un cabinet spécialisé en gestion administrative, comptable et financière de projets sur appel d’offres international pour monter, réaliser et gérer le projet en étroite collaboration avec le maître d’oeuvre.
Le fonctionnement du système propose
Dans la proposition que nous faisons, il sera créé une société mixte qui comprendra d’une part l’Etat et d’autre part les investisseurs privés dont un établissement financier ; nous pensons principalement au Fonds Africain de Garantie et de Coopération Economique (FAGACE). La participation de l’Etat au capital social sera majoritaire au départ pour se réduire au fil du temps et s’éteindre au bout de 5 ans. Dès la troisième année, l’Etat commencera à réduire son capital graduellement au profit exclusif des autres associés. Sa participation devra disparaître complètement au cours de la cinquième année d’exercice; il aura alors cédé la totalité de ses parts nécessairement. Les différentes contributions des parties au projet pourront s’inscrire comme suit : L’Etat mettra à la disposition du projet d’une part la superficie et les locaux devant abriter l’unité de production, assurera les frais d’établissement et un fonds de roulement suffisant pour garantir les dépenses de fonctionnement et les salaires pendant les deux premières années d’exercice. Les autres associés dont le Fonds Africain de Garantie et de Coopération Economique auront la charge de l’acquisition des instruments de production. Le Fonds prendra une participation à hauteur de 10% du capital de la société ainsi que les textes le permettent. Il pourrait également garantir les emprunts que les associés pourraient être amenés à faire auprès des banques d’affaires et intervenir dans le cadre de la bonification des intérêts qu’ils auront à payer auxdites banques. La société sera exonérée d’impôt pendant les cinq années de participation de l’Etat et l’Etat devra prendre toutes les dispositions utiles pour ne pas laisser l’entreprise avec un passif au moment de son retrait.
Les avantages du système
La procédure envisagée est susceptible de donner confiance aux investisseurs privés, nationaux comme étrangers, qui se sentiront ainsi épaulés dans un premier temps par l’Etat lui-même tout en étant assurés de prendre la relève dans un second temps en rachetant les parts de l’Etat. La méthode du relais leur donnera l’occasion de se familiariser avec tous les problèmes de l’entreprise avant d’en prendre l’entière gestion et la pleine propriété tandisque que l’Etat récupèrera entièrement tous les actifs qu’il aura engagés dans le projet y compris les valeurs des immobilisations quand il se retirera du projet. Ainsi l’Etat aura incité à la création d’entreprise selon une stratégie bien précise. Il aura en outre contribué à former cinq années durant ceux qui prendront la relève en garantissant ainsi la viabilité de l’affaire ; il aura épaulé des opérateurs économiques ; il leur aura donné un coup de pouce.
Gageons que telle stratégie attirera les investisseurs tant étrangers que nationaux mieux que toute autre incitation en raison des assurances qu’elle donne et de la confiance qu’elle crée. Elle permettra de surcroît de mettre en pratique et de donner un contenu à la politique du partenariat secteur public-secteur privé que prône le Chef de l’Etat et qui peine à se concrétiser. Nous pensons, avec forte conviction, que cette méthode innovante mérite d’être expérimentée.
Au demeurant elle pourrait intéresser les autorités de Brettons Woods qui, il faut bien le dire, n’ont jusqu’alors pas une stratégie de développement spécifique à conseiller aux pays en développement en dehors du capitalisme libéral. Peut-être pourraient-elles alors, en signe d’encouragement apporter leur financement aux projets conçus dans le cadre de la stratégie que nous proposons d’autant qu’en dernière analyse elle se situe dans le cadre de l’initiative privée ; c’est un coup de pouce de l’Etat à l’initiative privée ; l’Etat ne prend pas la place de l’investissement privé. Il convient de rappeler par ailleurs que l’une des fonctions des Nations Unies est d’aider les gouvernements à concevoir leur stratégie de développement. En résumé ce qui est proposé à l’Etat, c’est de quitter les chemins battus des facilités accordées au terme d’un code des investissements favorable ; des exemptions fiscales et autres mesures administratives incitatives, pour devenir un acteur principal d’incitation à l’industrialisation ; une tête de pont. Plus généralement l’Etat devrait comprendre que le moment est venu où il devra descendre de sa tour d’Ivoire pour assister techniquement et financièrement les entreprises pendant leur période de démarrage. Il devrait aller au devant des jeunes en quête de création d’entreprises. Il devrait en finir avec les faux fuyants et les fuites en avant que sont les sempiternelles formations, ateliers, conférences et autres ritournelles qui ne dupent plus personne quant à leur efficacité. L’implication de l’Etat devrait désormais être réelle et palpable qui donne l’exemple et le coup de pouce. Nous avons besoin d’originalité pour conduire efficacement notre développement et sortir la tête de l‘eau. Peut-être le forum économique annoncé pourrait-elle s’intéresser à notre proposition ? Le capitalisme libéral intégral excluant toute intervention de l’Etat ne nous sied guère et nous avons déjà rejeté le schéma socialiste. Alors, que ne pourrons-nous arrêter de piler de l’eau dans le mortier et inventer notre voie !