Le sixième Congrès de l’Association des Cours et Conseils Constitutionnels des Pays ayant en Partage le Français (ACCPUF) s’est déroulé du 04 au 06 juillet 2012 à Marrakech, au Maroc.
Dans son discours à l’ouverture du Congrès, le Président de la Cour constitutionnelle du Bénin et Président sortant de l’Association, Me Robert DOSSOU, a plaidé pour plus d’initiatives des juridictions constitutionnelles face aux menaces qui pèsent sur l’ordre constitutionnel et l’édification de l’Etat de droit en Afrique. Pour le Président de la Cour Constitutionnelle du Bénin, l’obligation de réserve à laquelle les membres de ces juridictions sont tenus ne doit pas être un prétexte suffisant pour un mutisme ou indifférence. Lisez le texte intégral du discours qu’il a prononcé à cette occasion.
ALLOCUTION DE ROBERT S. M. DOSSOU A LA SEANCE D’OUVERTURE
– Monsieur le Conseiller de Sa Majesté le Roi du Maroc
– Monsieur le Président de la Chambre des Représentants
-Monsieur le Président de la Chambre des Conseillers
– Monsieur le Premier Président de la Cour de Cassation
– Mesdames et Messieurs les Présidents des Institutions
Constitutionnelles
– Monsieur le Ministre de la Justice
– Monsieur le Wali de Marrakech
– Madame le Maire de Marrakech
– Mesdames et Messieurs et vous tous en vos grades et qualités.
Je voudrais avant tout remercier Sa Majesté le Roi du Maroc du très grand honneur qu’il nous fait par son message. Monsieur le Conseiller de Sa Majesté, je vous dis combien je suis ému, combien je suis pénétré du contenu du message de Sa Majesté. Ce message sera source d’inspiration pour notre Congrès dont il trace le cadre utile. J’en dégage quatre points :
1) La suprématie du Droit qui est le socle sur lequel repose l’Etat de Droit ;
2) Nous devons prendre en compte les changements que connait le Droit Constitutionnel ;
3) Le citoyen est placé au cœur des priorités et des préoccupations de la Nation ;
4) La justice constitutionnelle est appelée à s’engager dans une nouvelle dynamique.
Je voudrais ensuite remercier l’ensemble du Royaume du Maroc de nous accueillir comme les Marocains savent si bien le faire.
Je remercie le Conseil Constitutionnel Marocain et son Président, Monsieur Mohamed ACHARGUI et tous ses Collègues et Collaborateurs pour avoir su organiser ce VIème Congrès de l’ACCPUF coïncidant avec le quinzième anniversaire de notre Association.
Il me semble que ce n’est pas un hasard si notre 6ème Congrès se tient au Maroc, terre du Maghreb servant de couvre-chef à l’Afrique qui dresse sa tête en Méditerranée et se trouve en même temps frappée des flots de l’Atlantique. Le Maroc est une terre de confluence et de tradition mais où tradition se conjugue harmonieusement avec modernité.
Nous ouvrons aujourd’hui notre Congrès dans un pays où les us et coutumes absorbent et digèrent lestement toutes les règles de la modernité et du progrès. C’est ainsi que ce pays qui nous accueille, a fait preuve d’une ingénierie constitutionnelle à travers plusieurs référendums dont le dernier remonte au 1er juillet 2011.
Cet exemple qui nous est donné, nous interpelle et nous appelle à approfondir, parfaire et achever les réponses aux défis auxquels nous sommes confrontés. A certains défis, nous avons donné des réponses complètes par le fait de notre existence et de nos quinze années d’activités ; à d’autres, nos réponses sont inachevées et à d’autres défis, nous n’avons donné aucune réponse. En effet, au moment où se tenait le 5ème Congrès de l’ACCPUF à Cotonou du 23 au 25 juin 2009, des épreuves s’abattaient sur la Cour Constitutionnelle du Niger, juste aux portes du Bénin. Il a été demandé à cette Cour, par le Chef d’Etat de l’époque de déclarer elle-même inexistant un Arrêt par elle rendu le 12 juin 2009. Devant la fermeté constante de la Cour, le Chef de l’Etat dissout la Cour et la remplace par une autre Cour à sa dévotion. Un coup d’Etat était ainsi perpétré.
Ainsi, au moment où je prenais ma charge à la présidence de l’ACCPUF, je me suis retrouvé avec cette situation de la Cour Constitutionnelle du Niger, impuissant, voire même honteux : l’ACCPUF n’en a pas réellement débattu et est demeurée silencieuse et inactive.
Au moment où je m’apprête à quitter ma charge, deux nouvelles situations sont créées : un putsch au Mali avec retour forcé à l’ordre constitutionnel donc rétablissement de la Cour Constitutionnelle mais avec, selon moi, une épée de Damoclès suspendue au-dessus de cette Cour et un autre putsch en Guinée-Bissau qui a complètement anéanti la Constitution et donc la juridiction constitutionnelle.
Coups d’Etat et putschs ! Ce sont là les atteintes les plus graves à la Constitution. Le juge constitutionnel qui sanctionne tous les jours des atteintes ordinaires à la Constitution, ne saurait demeurer indifférent à la rupture de constitutionnalité et l’obligation de réserve ne saurait servir de refuge à un manque de lucidité historique ou de courage.
Les riches et intéressants débats que nous avons eus à la 6ème Conférence des Chefs d’Institutions à Niamey les 03 et 04 novembre 2011 et consacrés au statut du juge constitutionnel, nous incitent déjà à nous départir de tout embarras lorsque nous nous trouvons face à une rupture de Constitution donc à une rupture de l’Etat de droit. Le rapport général de synthèse indique en effet : « l’obligation de réserve ne s’analyse pas nécessairement en une obligation de mutisme » et le rapporteur de poursuivre : « Pour beaucoup d’entre vous, la majorité, les associations ne seraient pas concernées par l’obligation de réserve ; la lecture des réponses au questionnaire est instructive : elle fait apparaître que les Cours et Conseils Constitutionnels de la Francophonie se doivent, au contraire, d’être sinon un « militant » de la Déclaration de Bamako du moins de contribuer à la promotion de la démocratie, de la justice et de la liberté ou encore, plus concrètement, comme l’a rappelé la réponse roumaine d’aider à la consolidation et à la restauration de l’indépendance d’une juridiction et d’élever et uniformiser les standards de protection. ».
La voie a donc été clarifiée à Niamey. Il nous reste à faire le pas vers la conclusion sans équivoque. Pour cela, nous devons avoir à l’esprit trois choses :
1°) nous devons nous enrichir constamment de la diversité des situations que nous avons dans l’espace francophone. Je l’indiquais à la séance d’ouverture du 5ème Congrès à Cotonou en soulignant que : « grâce à la Francophonie, s’est créée une symbiose assez forte entre juridictions constitutionnelles des vieilles démocraties et juridictions constitutionnelles des démocraties nouvelles ou rétablies. Cette coexistence de solidité et de fragilité ou parfois même de précarité, a donné sève et tonus à cette dernière catégorie » ;
2°) le droit constitutionnel, tenu dès le départ pour un droit strictement interne lié à la souveraineté de l’Etat-Nation, se trouve aujourd’hui happé en partie par le droit international. C’est un phénomène auquel la doctrine nous a rendu attentif ces dernières décennies. C’est ainsi que dans un rapport présenté à l’Institut du Grand Duché de Luxembourg, le philosophe du droit, Pierre PESCATORE écrivait : « Au cours de notre génération, l’idée institutionnelle s’est enrichie d’une nouvelle dimension, par la prise de conscience de l’emprise sur les structures de l’Etat et jusqu’à la condition des individus, de facteurs transfrontaliers, supranationaux et internationaux » (la philosophie du droit au tournant du millénaire : Edit. Bruylant page 35.) ;
3°) autrefois, le juge ne pouvait envisager se retrouver dans une association avec des juges d’autres sphères nationales. Aujourd’hui, des associations sont créées et bien créées comme la nôtre. Mais il reste à réellement comprendre que la personnalité juridique de notre association est distincte de celle de chacune des Institutions la composant. Aussi, devons-nous nous garder de transposer l’intégralité de nos obligations de réserve au niveau de notre association.
Ceci dit, nous ne devons pas perdre de vue le travail abattu par chacune de nos juridictions en faveur de l’Etat de Droit et du respect de nos Constitutions. Nous ne devons pas non plus perdre de vue l’énorme et efficace solidarité que l’ACCPUF a déployée en faveur de l’organisation et du travail quotidien de certaines de nos juridictions : échanges d’expériences, de documentation, participation à l’observatoire Francophone des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés … etc …
Pour parfaire ce travail, nous devons nous approprier les questions posées par Monsieur le Président Abdou DIOUF, Secrétaire Général de la Francophonie à la fin de son allocution à notre Vème Congrès à Cotonou :
« Comment pleinement utiliser, pour atteindre ces objectifs, les instruments et le dispositif dont nous nous sommes dotés avec votre participation active ?
Quel supplément de précision, et donc de pertinence, apporter aux notions et aux procédures qui fondent et encadrent notre action au titre du chapitre 5 de la Déclaration de Bamako ?
Quels mécanismes complémentaires éventuellement développer ?
Quelles stratégies solidaires plus efficaces déployer entre vous et avec l’Organisation Internationale de la Francophonie ? ».
Oui, la solidarité !, nous la déclinons dans une symphonie inachevée.
Comment maintenant la décliner en solutions concrètes chaque fois qu’une de nos Institutions membres est menacée, meurtrie ou réprimée ?
Et comme je le soulignais récemment au Congrès Constitutif de l’Association des Cours Constitutionnelles et Institutions équivalentes d’Asie, à Séoul le 22 mai 2012 : « Le juge est interpellé par une nouvelle dimension culturelle et stratégique de sa fonction ».
Mesdames, Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Chers Collègues,
La paix est la finalité de notre mission de juge constitutionnel. Et lorsqu’une juridiction de notre association rend une décision maladroite, ne devons-nous pas échanger entre nous et nous servir de la leçon par la négative ? Il n’y a pas que les exemples positifs qui instruisent.
Après le Congrès de Cotonou sur les juridictions constitutionnelles et les crises, la Conférence de Niamey sur le statut du juge constitutionnel, nous voici au 6ème Congrès, à Marrakech pour réfléchir sur « le citoyen et la justice constitutionnelle ». Le citoyen est en effet le bénéficiaire de nos activités : sécurité juridique pour le citoyen dans son cadre national et dans l’espace francophone, état de droit stabilisé pour lui, déroulement de la vie nationale dans le cadre de la Constitution.
Doit-on ouvrir l’accès au contentieux constitutionnel au citoyen ? De manière directe ou après filtrage ? Quelles leçons en tirent les juridictions qui font déjà cette pratique ? Les pays qui n’ont pas encore la saisine par le citoyen, quels profits doivent-ils tirer de l’expérience de ceux qui ont déjà la saisine directe ou indirecte du citoyen ?
Ce sont là quelques questions qui vont animer nos trois jours de débats.
Mesdames,
Messieurs,
Je demande votre indulgence. Car mon allocution de ce jour, n’est qu’un cri que je pousse en notre propre direction. En parlant de cri, je ne peux m’empêcher de penser à un de mes anciens étudiants, Théodore BEHANZIN, poète et acteur aujourd’hui disparu. Au Colloque international organisé à Cotonou en septembre 1991 par la Francophonie sur « l’Etat de Droit au quotidien : bilan et perspectives dans l’espace francophone », Théodore BEHANZIN nous a gratifié d’un beau poème auquel il me plaît d’emprunter pour dire :
« J’enrage,
Je tonne
Et je crache ma colère,
Contre le mutisme érigé en système
Et je crie,
Que ne rien dire,
Que ne rien voir,
Que ne rien entendre
N’est pas vivre.».
VIVE LE VIème CONGRES DE L’ACCPUF
Je vous remercie.
Marrakech le 04 juin 2012
Robert S. M. DOSSOU
Président de l’ACCPUF.
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