Hommage posthume que tous les lauriers que nous tressons, sur le tard, à Guy Landry Hazoumè. L’homme, depuis le 23 août, s’en est allé au royaume des morts. Il ne sera donc plus là pour écouter les discours des vivants. Le Bénin vient ainsi de perdre l’un de ses plus grands intellectuels que la jeune génération de nos compatriotes connaît à peine.
Nous avons dit intellectuel. Guy Landry Hazoumè partageait cette qualité avec beaucoup d’autres. Pour avoir fait de hautes études sanctionnées par de non moins hautes distinctions académiques. Il était diplomate de carrière. Pour avoir occupé d’éminentes fonctions et tenu de non moins éminents rôles. Il fut ministre des Affaires étrangères sous le régime révolutionnaire. Pour avoir enrichi nos bibliothèques et nos bibliographies d’essais qui font autorité. « Idéologies tribalistes et Nation en Afrique : le cas dahoméen », reste un ouvrage de référence, 40 ans après sa publication.
Par tous ces aspects, Guy Landry Hazoumè fut un intellectuel, et un intellectuel de haut vol. On peut même s’autoriser de le situer à gauche. Au regard du parcours du militant étudiant dans l’Union générale des élèves et étudiants dahoméens (UGEED) et dans la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (Feanf). Au regard du parcours du membre des cercles politiques de la gauche démocratique béninoise, avec le journal « Kpanligan » dont il fut l’un des animateurs.
Nous avons dit intellectuel. Et c’est à la rue, en Côte d’Ivoire, que nous empruntons l’expression qui convient le mieux pour bien situer et cadrer les choses : « il y a intellectuel dans intellectuel ». Pour dire que, par ces ruses de la vie dont la nature seule a le secret, nous pouvons nous retrouver, avec d’autres, à partager un seul et même pagne. Mais une chose est certaine : le pagne commun qui nous identifie collectivement ne peut gommer ni effacer nos identités particulières, individuelles et irréductibles. Guy Landry Hazoumè est, certes, un intellectuel comme bien d’autres. Mais Guy Landry Hazoumè n’est pas un intellectuel à l’image de tous les autres.
Sous le pagne générique de l’intellectuel, Guy Landry Hazoumè ne se confond pas avec l’intellectuel de salon. On connaît ce genre de personnage en mal de briller. Et il brille dans certains salons à la mode où l’on se pique de politique et de culture. L’intellectuel de salon est comme un feu. Il s’active au feu de son propre bavardage. Pour finir par s’accorder avec les sages Bambara qui nous apprennent que « La course folle du feu s’arrête au marigot ». L’intellectuel de salon confine l’esprit dans le cercle étriqué de son bavardage. Il ne peut aller plus loin.
Sous le pagne générique de l’intellectuel, Guy Landry Hazoumène ne se confond pas avec l’intellectuel alimentaire. Ce personnage se conditionne à l’odeur et à la fraîcheur des mangeoires et des abreuvoirs. C’est là qu’il sait faire valoir ses talents. C’est là qu’il sait monnayer ses atouts. Aussi l’utilise-t-on à théoriser la terreur ou la tyrannie. Aussi l’instrumentalise-t-on à donner des couleurs aux discours officiels. Aussi l’exploite-t-on à servir de caution à tout et à rien. L’intellectuel alimentaire est un mercenaire qui s’ignore ou qui feint d’ignorer qui il est. L’argent n’ayant pas d’odeur, comme on dit, l’intellectuel alimentaire ne se bouche pas le nez pour en gagner. A tout prix. A n’importe quel prix.
Sous le pagne générique de l’intellectuel, Guy Landry Hazoumè ne se confond pas avec l’intellectuel agitateur. Il s’agit de cet extra-terrestre qui croit bien faire d’entretenir les terrestres que nous sommes des choses de la terre. Il s’agite beaucoup et agite beaucoup d’idées. Il rêve de construire un monde meilleur à partir des éprouvettes de ses utopies, avec l’espoir têtu que nous l’aiderions à justifier sa folie.
Sous le pagne générique de l’intellectuel, Guy Landry Hazoumè a été et restera l’intellectuel fondamental. Cet intellectuel-là est un ascète de la pensée, l’ascèse étant la discipline que s’impose quelqu’un pour tendre vers la perfection morale. L’intellectuel fondamental utilise, de manière spécialisée, l’attribut divin commun qu’est l’esprit. Pour produire des idées. Pour chercher et percer les secrets de la nature. Pour créer des œuvres de beauté. Pour continuer l’œuvre de création de Dieu. Pour approfondir notre quête d’un monde meilleur. Pour forger, sur l’enclume de sa foi en l’avenir, un monde toujours plus humain. Voilà l’image qui restera de l’homme. Voilà l’héritage qu’il nous laisse. Qu’il dorme dans la paix des justes.