Un éléphant blanc, qu’est-ce ? Le Petit Robert répond (Citation) : « Une réalisation coûteuse, d’une utilité discutable » (Fin de citation). Une telle définition n’a que très peu de rapport avec ce grand mammifère de nos forêts et de nos savanes, remarquable par son nez allongé en trompe et par ses défenses.
Nombre de nos pays, pris au piège d’une gouvernance hasardeuse et d’un développement non- maîtrisé, égrènent des éléphants blancs. Ils ont eu à mobiliser d’énormes ressources pour faire construire d’impressionnantes infrastructures, mais à utilité socioéconomique quasi nulle. Des gouffres à sous dans des pays qui manquent souvent de tout.
Qu’y a-t-il à la base de ces éléphants blancs qui restent comme autant de témoins à charge contre leurs parents géniteurs ? Soit qu’on se méprend sur les besoins réels des populations qu’on ne consulte presque jamais. Soit qu’on s’écarte de la ligne droite de ce qui relève du simple bon sens pour emprunter la voie alambiquée de la mégalomanie, si ce n’est celle de l’escroquerie.
On a ainsi vu s’ériger des barrages qui n’ont jamais fonctionné. Pas le moindre watt d’énergie produit. On n’a pas pris en compte le débit de l’eau au point du fleuve où ces barrages ont été construits. On a acquis à grand frais et clé en main, s’il vous plaît, une grosse usine de fabrication de produits laitiers. Une usine jetée, devrait-on dire, dans un désert. L’on n’y produit même pas, à des kilomètres à la ronde, un seul centilitre de lait. On a implanté en rase campagne, dans le village du Président, une université flambant neuf. Elle a coûté des milliards au contribuable. Mais l’esprit n’a jamais pu souffler sur ce temple du savoir du bout du monde.
C’est ainsi que les éléphants blancs signent souvent l’absence ou l’insuffisance d’études. Ce qui fait bégayer la technique. C’est ainsi également que les éléphants blancs sanctionnent les promesses démagogiques ou les surenchères électoralistes. Ce qui fait mentir la politique. On ne doit pas exclure, dans ce marché de dupes, des collusions et des complicités maffieuses. A coups de commissions sonnantes et trébuchantes. Une poignée de larrons y trouve son compte. Sur le dos de tous les autres, les dindons de la farce. Les éléphants blancs instruisent ainsi en permanence le procès de nos laxismes joyeux sur les chemins de notre développement. Ce sont des bornes repères sur les voies obliques de nos errances.
Nous sommes bien tentés de voir des éléphants blancs bien au-delà des infrastructures. Ne sont-ils pas, à leur manière, des éléphants blancs, ces idées, ces concepts, alors érigés en vérités sur le piédestal de nos convictions les plus fortes, mais dont le destin a tourné court ? Autour de ces idées et concepts nous avons mobilisé le meilleur de nos intelligences. Nous avons sollicité la force de nos croyances. Et notre foi irradiait comme mille soleils. Jusqu’à ce que nos illusions fondent comme beurre au soleil. Tout comme nos espérances. Nous ne sommes plus que des témoins impuissants et désabusés face à d’inutiles carcasses. Tellement mal en point qu’elles sont incapables d’allumer le feu des nostalgies.
La révolution marxiste-léniniste, dans notre pays, nous a fait tenir l’école pour une unité de production, liant organiquement l’institution scolaire à l’agriculture et aux travaux champêtres. Nous avons été amenés également à gober, au point d’en faire un article de foi, l’idée selon laquelle « Tout cadre est enseignant ». Nous avons oublié que l’enseignement est d’abord et avant tout un métier.
En quoi sont-elles différentes de nos fameux éléphants blancs, ces grandes idées qui dominèrent nos jours et nos nuits avant qu’elles ne s’écrasent au sol et ne meurent de leur plus belle mort ? C’était quelques unes des pièces dépareillées de ce catéchisme d’emprunt que nous récitions alors comme des perroquets. Comme quoi, les éléphants blancs ne sont pas que physiques et matériels. Il faut compter désormais avec nos éléphants blancs de l’esprit, des éléphants blancs conceptuels.
Plus près de nous, comment apprécierons-nous, si nous n’y prenons garde, dans un avenir proche, toutes les idées et concepts qui ont marqué, ces six dernières années, l’actualité de notre pays ? Ainsi le changement. Ainsi l’émergence. Ainsi la refondation. Devons-nous ajouter à la liste la dictature du développement ? Pour parodier un de nos proverbes, trop de viande… d’éléphant pourrait gâter la sauce.