Ils ont su le montrer : les artistes sont aussi de farouches et talentueux avocats au service des grandes et nobles causes. C’est ce que nous retenons de l’initiative d’une cinquantaine d’artistes africains.
Ils ont cosigné, en effet, une lettre ouverte à l’adresse des grands de ce monde. C’était la veille du Sommet mondial sur la faim réuni à Londres le 12 août 2012.
Nous retenons la dernière phrase de cette lettre ouverte. Elle en résume bien le contenu et l’esprit (Citation) : « Ensemble nous pouvons construire un avenir en Afrique, où la charité sera devenue inutile ». (Fin de citation). Oui, la charité. Voilà un concept noble et chargé de sens en christianisme. La charité y est élevée au rang d’une vertu théologale, c’est-à-dire une vertu qui a Dieu lui-même pour objet. Ainsi, la charité, au sens chrétien, repose sur l’amour de Dieu et du prochain en vue de Dieu. Ce qu’éclaire bien ce mot de Saint-Exupéry : «La charité servait Dieu au travers de l’individu».
Mais le concept a fini par être détourné de son sens originel. De glissement en glissement, la charité sert désormais d’emballage à tout et à rien. De l’œuvre de bienfaisance aux manœuvres de mendicité, le chemin est long et tortueux entre l’intention et l’acte. Un mendiant est né au passage pour justifier, sous le couvert de la charité, l’action d’un pseudo bienfaiteur, figure emblématique du bon Samaritain.
Et la boucle est bouclée, dès lors qu’on a réussi à mettre la charité au service de la pauvreté. Celle-ci est vue comme un champ de misère presque toujours à sec, en attente continue d’une pluie de charité, presque toujours insuffisante. En somme, quelques goûtes d’eau de charité pour étancher l’immense soif provoquée par une non moins immense pénurie. Mission impossible !
Voilà le grand bluff de la charité une fois sortie de son sens premier. Un bluff qu’il convient de casser. Cela participe de la démystification d’une idée qui a tout faux. Cela relève d’une action de salubrité mentale. Car il s’agit de tuer dans nos esprits le mythe de cette charité qui n’a que trop longtemps servi à justifier et à entretenir une certaine idée de l’aide. Ce mythe a clochardisé nombre d’Africains convertis en mendiants. Ils tendent la main. Ils vendent leur âme au diable. Ils quêtent la charité internationale.
Le premier problème que pose la charité, c’est qu’elle sert de prétexte pour établir une contestable démarcation entre les hommes. D’un côté, une poignée de nantis pourvoyeurs en charité. De l’autre, la multitude de pauvres consommateurs de charité. Les premiers vivent dans les pays riches. Les pouvoirs établis dans ces pays en ont fait des contribuables-contributeurs à un fonds de la charité. Sans qu’ils le sachent, ils contribuent, par leurs impôts, à financer ce fonds, un instrument de politique aux mains des Etats de leurs pays.
Les seconds s’agglutinent à la périphérie. Il s’agit de la foule des « damnés de la terre ». Par l’aide idéologiquement manipulée et charitablement embaumée, on leur enfonce dans la tête qu’ils n’ont rien, qu’ils ne sont rien. « L’homme noir ne s’est pas accompli comme sujet d’histoire » dixit M. Nicolas Sarkozy. La charité des nantis reste alors la bouée de sauvetage du pauvre dans la mer démontée de la misère.
Le deuxième problème que pose la charité, c’est qu’elle contrecarre toute promotion humaine. Celui que l’on barricade dans la condition d’un assisté et qui ne vit que de la charité d’autrui, s’appauvrit. Il laisse s’atrophier les facultés que Dieu a disposées équitablement en chacune de ses créatures. Un champ qu’on ne cultive pas retourne à la brousse. Sont nuls et de nul effet les talents que Dieu nous a confiés, dès lors qu’ils n’ont été ni activés, ni utilisés, ni développés.
Du reste, les Fons du Bénin comprennent la vanité de toute charité qui ne se pare d’aucune vertu dans l’ordre d’une saine promotion humaine. «Bio du ma non goho» disent-ils. A traduire par « Quémander ne rassasie point ». Voilà affirmer le principe de l’autonomie, de l’autosuffisance. Il brise les chaînes de l’aide. Il libère de l’humiliation de la charité.
C’est clair : il n’y a pas de développement par procuration ou par transfusion. Personne ne construira le Bénin et l’Afrique à la place des Béninois et des Africains eux-mêmes. Aucune aide extérieure, si importante soit-elle, ne remplacera l’effort de développement des Béninois et des Africains eux-mêmes. Alors, soyons charitables envers nous-mêmes : à la poubelle donc toutes les formes dévoyées et piégées de charité.