Des Chinois et des gris-gris béninois

Au large de Togbin, village-escale sur la Route des Pêches, la plus grande adversité ne provient plus des caprices d’une mer rongeuse et avaleuse de terre ; elle viendrait plutôt, dit-on, des bateliers chinois, ces hommes aux fourches acérées présents dans les eaux béninoises et ratissant les fonds marins.

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Le bateau, un bâtiment moderne, est équipé de toutes les technologies de pointe censées traquer la faune du large. Du matin au soir, de la nuit à la pointe de l’aube, il râtelle sans désemparer. Les équipes se relaient, dopées comme les Chinois savent bien le faire.

Les pêcheurs locaux regardent avec consternation ce ballet étrange. Quand, la peur au ventre, ils partent en haute mer, ils ne reviennent qu’avec des filets vides ou, à tout le moins, une moisson squelettique de fruits de mer. Dès lors, la chaine des poissonniers commence à se gratter la tête. Les pêcheurs, les piroguiers, les acheteurs, les revendeurs voient leur horizon s’assombrir. Déjà marqués à la culotte par des taxes, des impôts et les pique-assiettes de tout poil, ils se demandent avec quelle nouvelle acrobatie ils seront culbutés. Des nombreux sites qui abritent le village des pêcheurs, montent alors des râles de plus en plus alarmants. Des râles bientôt convertis en manifestations bruyantes. Des palabres en concertation, l’affaire est portée en haut lieu. Au ministère de l’économie maritime, à peine leur a-t-on jeté un œil. On les a même traités moins que des crottes de chien.

Alors, revenus à Togbin, ces hommes et femmes ont estimé plus légitime de tenter une action. Ils organisent une expédition contre les bateliers. En plein jour, des centaines de pirogues sont alors mobilisées et se ruent sur le bâtiment chinois. Le face à face est épique. Les pêcheurs n’ont qu’un cahier de doléances et une lettre de protestation. A leurs supposés adversaires, ils lisent, sur le ton qu’on devine, leur indignation et leur expriment leur souhait de les voir partir. De leur côté, les asiatiques semblent sensibles à leurs cris. Ils paraissent même approuver la démarche. Mais le problème, c’est qu’aucun interprète n’est présent pour rendre le dialogue intelligible. Pendant que les Béninois se confondent en vociférations musclées, les Chinois, eux, s’abîment en hochements de tête et sourires. Et cela suffit pour que chaque parti pense qu’il est d’accord avec l’autre.

Mais le lendemain, le bâtiment chinois n’a pas bougé d’une semelle. Bien au contraire, il s’est aventuré dans les endroits où sa gourmandise est devenue gloutonne. La déception des pêcheurs est à la mesure des promesses que leur dialogue de la veille leur avait laissé croire. Cette fois-ci, ils n’iront plus lire des lettres, mais ce seraient avec les couteaux, les machettes et les gourdins qu’ils iront parler aux asiatiques. L’expédition est alors lancée.

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Mais un Chinois, fut-il adepte de Kun-fun ou amateur de tae-kwendo, n’est ni Jet Li, ni Jackie Chan. Il est aussi vulnérable qu’un petit pêcheur Popo. D’ailleurs, en face des armes blanches brandies par les contestataires, les concitoyens de Mao Tsé Toung n’ont aucune peine à faire appel à la police des mers. Dans les cas d’urgence, ils savent, dit-on, se faire royalement comprendre. Des vedettes de la police déboulent de partout et chargent les protestataires. Résultats : une dizaine de pirogues coulées, une vingtaine de balafrés répertoriés, des arrestations musclées opérées.

Mais pour les pêcheurs de Togbin, une intervention, fut-elle violente, ne peut jamais geler leur fureur désormais explosive. A peine se sont remis de leurs émotions, que l’envie d’en découdre avec les bateliers a repris le dessus. Cette fois-ci, ils verront, ces Chinois, de quel tchanka ils s’habillent.

Alors, ils sortent la grande artillerie afro-africaine: gris-gris, incantations,  invocations de divinités, etc. Il ne s’agit plus pour eux de prendre d’assaut le bâtiment, mais de télécommander, depuis les rives du village, des actions de sabotage.

Le bâtiment, quelques heures après, aurait cessé de fonctionner. Il paraît qu’il aurait été « cloué » sur les eaux. Aucune grue, fut-elle sortie de la NASA, ne parviendrait, jurent certains, à le faire bouger. Ses passagers, eux, ont préféré oublié tout et se sont confondus au vent. Exactement comme ils étaient arrivés. Dans l’anonymat total.

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