Il faut avoir des yeux pour le voir. Il faut avoir des oreilles pour l’entendre. Il faut avoir du cœur pour le ressentir. Le malheur a pris rendez-vous avec une majorité de nos compatriotes. Le malheur se définit comme « une situation, une condition pénible, triste ». Adversité, infortune, misère…en sont quelques uns des synonymes.
Ils sont de plus nombreux les Béninois qui ne peuvent plus assurer, comme cela est d’usage dans notre société, les trois repas réglementaires de la journée. Cette diète forcée est imposée par la nécessité. Les revenus des ménages fondent comme beurre au soleil. Et ceux qui peuvent encore compter sur quelques économies ont cassé, depuis longtemps, leur tirelire. Même le système D, naguère recours et secours, ne fonctionne plus, ne répond plus. Il semble avoir brûlé ses dernières cartouches.
C’est avec un quotidien aussi chargé, tel un ciel d’orage, que la rentrée scolaire pointe à l’horizon. Que peut-on tirer des poches déjà vides alors que les droits d’écolage des enfants attendent d’être payés. C’est la même chose pour l’uniforme, les livres, les fournitures scolaires…. Tout s’additionne en la somme arrondie d’une facture salée. Celle-ci a déjà laissé sur le carreau, c’est-à-dire, raides morts, des parents d’élèves.
Vous est-il arrivé de faire un tour, ces jours derniers, au Marché international de Dantokpa ? Ce que nous tenions, avec fierté, pour l’une des plus grandes places commerciales de l’Afrique, est à la recherche d’un second souffle. Les beaux jours, ponctués de bonnes affaires, ne sont plus qu’un souvenir. Ils sont derrière ces marchandes quasiment éplorées qui se morfondent derrière leurs tristes étalages. La cherté de la vie a chassé le client. Mais la mévente généralisée n’a pas éloigné le collecteur de taxes diverses.
Mais si l’on pleure sur nos marchés, le cœur est loin d’être à la fête dans les buvettes, les bars, les ateliers de couture, les salons de coiffure ou les kiosques de vente des produits GSM. Il s’agit généralement de ces petites unités implantées par des jeunes en quête de salut sur les terrains plutôt vagues de la débrouille et de la survie au quotidien. Hier, le soir venu, ces jeunes pouvaient compter quelques sous au titre des recettes de la journée. Aujourd’hui, ces jeunes n’ont même plus le courage d’ouvrir boutique. Ils craignent de s’embêter à cent sous l’heure. Adieu et bonjour le chômage et l’oisiveté.
Celui qui ferme boutique, contraint et forcé, n’est pas encore poussé à fermer les portes de la vie derrière lui. Encore que… Pour dire qu’il y a toujours plus malheureux que soi. Pour une catégorie de nos concitoyens, la maladie prend les couleurs tragiques d’une aventure souvent fatale. Que de malades dont la course à la santé s’est arrêtée net devant un hôpital ! Une formule non écrite prévient impérativement chacun et tous : nul n’entre ici s’il n’a les moyens de sa guérison, de son salut.
On doit mettre la main à la poche avant d’être admis dans un centre de santé. On paye cash ou on se casse. L’ordonnance du médecin a un caractère impératif. C’est à prendre ou à laisser. Les examens exigés par le médecin ont force de loi. C’est une question de vie ou de mort. Mais quand les poches sont trouées et qu’on doit tirer le diable par la queue, on rend les armes devant la maladie. Commence un tragique face-à-face avec la mort. Combien de nos compatriotes se voient –ils ainsi, chaque jour, précipités dans ce couloir de la mort pour un voyage sans retour ?
Nous n’avons pas fini d’égrener nos malheurs. Voici que des pluies diluviennes ont fait sortir de leur lit tous nos cours d’eau : maisons inondées, bêtes emportées, champs et récoltes noyés, ponts effondrés, voies et pistes dégradées, de milliers de sans abris, à la merci de toutes les maladies et affections… Des millions de nos francs partis en fumée. Des milliers de vies à jamais brisées.
Le Président de la République a émis le souhait de voir le Béninois, à l’exemple de son frère rwandais, consentir à la communauté nationale, 52 jours/l’an de son travail. Les Béninois en ferraient plus. Les Béninois en ferraient mieux. Mais le Président ne doit-il pas souffrir de comprendre que les dents qui se montrent blanches en riant ne traduisent pas toujours exactement ce que pense le ventre ? Le Président a parlé et ses compatriotes l’ont bien compris. Mais les Béninois, plutôt et sûrement, sont à l’écoute des sages Bambara : « On ne peut conduire, disent-ils, deux pirogues avec une seule pagaie ».
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