C’est dans la nuit d’une forêt tropicale, une forêt endormie sur elle-même dans la tiédeur de ses arbres et tendrement bercée par des cris de bêtes sauvages, que Dansi Fernand Nouwligbèto campe le décor macabre de son œuvre. Décor d’une solitude nocturne extrême où l’auteur de Zongo Giwa de la forêt déviergée confie à deux de ses crapuleux personnages la vile mission de mettre sous terre le corps du héros, Zongo Giwa assassiné.
Après son premier roman, La Foudre sous-scellés ayant obtenu en 1997 le premier prix au concours de la meilleure création artistique et littéraire organisé par le Fonds d’Aide à la Culture et aux Loisirs, et paru en 2003 aux Editions Aziza (Bénin), Nouwligbèto publie sa seconde œuvre, Zongo Giwa de la forêt déviergée, pièce de théâtre, chez l’Harmattan, Théâtre des 5 continents, en 2005. Si la première œuvre a permis à l’auteur d’aborder comme thématique le développement endogène de l’Afrique, l’obscurantisme et ses avatars, la seconde par contre, lui aura permis de mettre en scène un thème aussi sensible que celui de la liberté de la presse en Afrique et de l’assassinat dans le monde des médias.
Même tuée, la vérité ne trépasse pas ; … renaît
Ainsi, à travers des ronflements de la forêt, Zongo Giwa de la forêt déviergée, présente des scènes où l’on assiste au cœur de la nuit noire d’une forêt africaine, un homme aidé de son valet se préparer à inhumer le cadavre de son pire ennemi – un journaliste assassiné – envoyé ad patres par ses soins. Rituel qui pourrait être banal, mais qui se transforme en une épreuve herculéenne, car le mort refuse contre toute attente, de se laisser faire, quand bien même il a cessé de respirer.
Les premiers ronflements de la forêt (pp.11-36), relatent les complaintes, les conciliabules, les murmures, les difficultés de même que la pénible et longue marche à travers la forêt, des personnages en charge d’enterrer Zongo Giwa. On est alors dans une grande forêt pour un enterrement difficile, voire impossible. Puisque, le mort, semble-t-il, un journaliste-diseur de vérité, est un de ces humains qui, comme Dele Giwa, Norbert Zongo, Jean Hélène…, ne lâchent jamais la plume ni le micro, même quand ils rendent le souffle.
Les deuxièmes ronflements de la forêt (pp.36-56), restituent les propos d’un dialogue de regret et de remord entre le mort et les fantômes de son chère épouse et de ses enfants. Un dialogue amer entre le mort et les siens vivants, dialogue fait de paroles tristes et accusatrices d’enfants et femme abandonnés. Paroles d’orphelins donc !
Les troisièmes ronflements de la forêt (pp.57-73), parlent de la résurrection de Zongo Giwa. Le séjour des morts n’a pu garder par devers lui son cadavre et s’est retrouvé dans l’obligation de l’éjecter.
Triste destin fait au plume qui écrit vrai ou au micro qui dit vrai
Cette pièce de Nouwligbèto met à l’index le phénomène de la liberté de la presse en Afrique et de l’assassinat idiot que l’on constate, hélas, dans le monde de la presse. Même s’il est vrai que dans les années 90, l’Afrique a connu une nouvelle ère, qu’il est convenu d’appeler l’ère du renouveau démocratique, porteur d’espoir, de justice, de paix, et de liberté pour les hommes de plume et de micro, il n’en demeure pas moins vrai que le problème de la vraie et effective liberté des hommes de presse se pose encore de façon réelle.
La belle preuve en est que depuis l’avènement de la démocratie à nos jours, les archives retiennent des noms de journalistes bastonnés, incarcérés ou assassinés. Le cas de Norbert Zongo, un journaliste intègre, ayant été assassiné de façon intègre, dans un pays des intègres de l’Afrique, est un exemple éloquent. Norbert Zongo a été tué, parce que refusant de bâillonner sa plume au pays des intègres. Le sort du personnage de Zongo Giwa de la forêt déviergée ressemble étrangement à celui de Norbert Zongo. Le héros serait mort lui aussi d’un refus ferme de corrompre sa plume, laissant derrière lui veuve et orphelins. Et pourtant, c’est l’ère du renouveau démocratique, où chacun a la liberté d’expression ; l’ère de la vérité où personne ne doit étouffer, tronquer, trafiquer ou trahir la vérité. Mieux, c’est la période rêvée de tous les Africains où la liberté de la presse ne doit plus être sous haute surveillance.
Mais paradoxalement, certains journalistes-diseurs de vérité, soucieux d’accomplir correctement leur devoir, tombent miraculeusement, plume à la main et micro à la bouche sous les balles farfelues des tueurs de vérité. Heureusement que la vérité ne meurt jamais, elle triomphe toujours. C’est certainement pourquoi l’inhumation de Zongo Giwa a été une épreuve très pénible pour ses adversaires. Finalement, il est revenu à la vie, symbole du triomphe de la vérité sur le mensonge ; de la justice sur l’injustice.
Plaidoyer pour une presse vraiment livre et Hommage aux voix éteintes
A travers cette formidable pièce de théâtre, Nouwligbèto a le mérite de lever le coin de voile sur les tares qui assombrissent encore le rayonnement et l’éclat de la presse africaine. Car, pour une presse digne et crédible, il faut la vraie information, reconnue comme telle et acceptée de tous. Et pour ce faire, on doit permettre aux journalistes de bien faire leur travail et leur accorder la liberté de dire la vérité. On doit leur rendre la tâche facile de pouvoir restituer le fruit de leur investigation. On doit leur permettre d’exercer leur profession en toute sécurité, en toute honnêteté et en toute intégrité, sans courir le risque de se faire assassiner, laissant derrière soi, veuve et orphelins. On doit arrêter de sacrifier les diseurs de vérité, pour que la presse puisse redorer son blason. Du moins, c’est ce que semble suggérer, l’auteur de Zongo Giwa de la forêt déviergée, qui lui-même, est journaliste-écrivain, et membre du Complexe Artistique et Culturel Kpanlingan (CACK), une compagnie de théâtre et d’animation culturelle.
C’est donc l’œuvre d’un connaisseur en la matière, qui, par une écriture d’homme de scène, rend un vibrant et puissant hommage à toutes les «voix fauchées» et à tous les «écrans éteints». Puissent les amoureux du théâtre accorder un intérêt spécial à cette pièce !
Robert C. Asdé
Président de l’Association Aiyé Culture
E- mail : aiyeculture@yahoo.fr
EXTRAIT DE LA PIECE
Deuxièmes roulements de la forêt
Fantôme-mère : Tu n’aurais pas dû, mon doux époux.
Premier fantôme-enfant : Pourquoi, papa, pourquoi ?
Fantôme-mère : Tu n’aurais pas dû, mon doux Zongo.
Deuxième enfant- fantôme : Papa, où es-tu ?
Fantôme-mère : Tu n’aurais pas dû, mon Giwa, mon tison viril au milieu des nuits fraîches.
Troisième enfant-fantôme : On te cherche, papa, et tu n’es pas là. Où es-tu ?
Fantôme-mère : Tu vois : te voici plus mort que vivant. Ton patriotisme contre notre exil éternel, cela valait-il le coup d’encre ? Le tapotement du clavier d’un ordinateur ? L’envoi de postillons sur un micro en érection ? Mon tendre Zongo Giwa, mon doux époux, le forgeron de mon corps dans le feu de l’amour, qu’as-tu fais !
Les trois fantômes- enfants :
Qu’as-tu fais, papa !
La nuit en lambeaux aux doigts
Nos doigts déchirent la nuit
Et que c’est triste, des fantômes d’orphelins
Nos fronts en éclats contre le vide
Nos fronts cognent contre le vide
Et que c’est triste, un papa journaliste
La voiture le feu les flammes
Et le western sanglant sur nos corps en carbone
Qu’as-tu fais ? (pp.37-38).
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