Le 6 Avril 2016, quand le nouveau Président de la République aura prêté serment, il devra, avec l’ensemble des forces politiques et sociales de notre pays, envisager de profondes réformes pour réinventer l’Etat.
Depuis l’avènement du régime en place, les fondamentaux de la République ont été mis à rude épreuve, pour ne pas dire, secoués. Ne pas le reconnaitre et continuer avec la politique de l’autruche reviendrait à réduire progressivement les chances et opportunités de notre pays de se hisser au rang des grandes nations, malgré sa petite taille.
Il n’y a que de petits pays, mais de grandes nations. Je tire mon scepticisme de ce que c’est un système de mal gouvernance qui est en place, qui se reconnait comme tel, mais que je ne vois pas faire mieux que les presque sept années déjà passées depuis son avènement. “On ne peut mettre de l’arachide en terre et récolter du mais”.. Des représentants de la Communauté Internationale continueront de s’arrêter ici pour nous jeter des fleurs, car c’est la diplomatie et les interêt qui gouvernent le monde. C’est ainsi que personne ne peut aller dans la maison d’un autre lui dire qu’il est vilain ou qu’il est malade.
Un vaste chantier de réformes des institutions de l’Etat
Il serait illusoire de penser que la crise de confiance actuelle entre les citoyens, la classe politique et les gouvernants de notre pays est seulement une crise de personnes. Non, notre mal est plus profond et prétendre vouloir le résoudre en procédant simplement par forum économique interposé et au changement d’individus en 2016 serait une erreur. Il se joue depuis quelques années, un drame dans lequel les institutions de notre pays, voulues par le Constituant comme des institutions de contre-pouvoir, perdent progressivement leur âme en se comportant comme des satellites du pouvoir éxecutif. Or, le droit constitutionnel a ceci d’intéressant qu’il étudie la place et le rôle de chaque institution dans l’architecture constitutionnelle. Dans une dynamique dialectique, chacune des institutions confère a la constitution elle-même sa valeur existentielle dans une harmonie qui fait de chacune d’elle une pièce du dispositif dans la vision politique et sociétale que le peuple s’est librement donnée. Depuis Avril 2006 et à la lumière de ce que la gouvernance de notre pays nous a donné de constater et de vivre, nous sommes en droit de nous demander si les institutions de notre pays sont toujours à la place que leur a réservé la constitution de notre pays. Plus concrètement, chaque institution joue t-elle convenablement son rôle? Et si oui, pourquoi tous ces dysfonctionnements? Pourquoi tant de désaffection vis-à-vis de nos institutions républicaines de la part des citoyens et quel est l’impact de ces dysfonctionnements sur la croissance économique?
Des signes qui ne trompent personne
Pour répondre a ces interrogations, il suffit d’analyser la posture qu’adoptent certaines des institutions et le rôle que d’autres se donnent dans la gestion du pays, notamment au moment où nous traversons l’une des crises de leadership jamais vécues depuis 1960. De nombreux faits se sont produits dans lesquels on attendait nos institutions alors qu’elles continuent de garder un mutisme inquiétant. Lorsque dans un pays, le Ministre des Finances et de l’Economie déclare devant le Chef de l’Etat, le Président de l’Assemblée Nationale et des représentants des forces sociales du pays (syndicats, associations de parents d’Elèves, etc), que le Chef de l’Etat travaille pour notre pays sans jouir d’un statut salarial et qu’il ne s’est trouvé aucune institution pour s’inquiéter d’une telle situation confirmée par le Chef de l’Etat lui-même, on est en droit de se poser des questions sur le type d’Etat qui est le nôtre.
Lorsque le même Président de la République fait des déclarations révélées par l’Honorable Rosine Soglo avant l’élection Présidentielle de Mars 2011 ainsi que de graves déclarations devant la nation toute entière le 1er Aout 2012 et sur lesquelles il ne sied pas de s’attarder ici, lorsque ces faits n’ont fait bouger aucune institution de notre République, cela révèle l’ampleur de la déliquescence et du mal dont nous souffrons. Dans ce même pays, un citoyen a déjà menacé plus d’une fois d’aller chercher un autre citoyen comme lui dans son domicile pour avoir osé critiquer la gestion des affaires publiques ou dirigé des mouvements de grève assimilés à un crime de lèse-majesté. Le même citoyen, défenseur des Présidents de la République devant l’Eternel a récemment récidivé et cette fois-ci en déclarant que ceux qui ont une opinion différente sur la conduite du Chef de l’Etat méritent la pendaison et le largage en haute mer avec une “ brique au cou de façon à ce qu’ils ne reviennent plus jamais ici”.
Devant de telles déclarations, nous attendons toujours la réaction de la justice de notre pays qui a jusqu’ici le redoutable défi d’élucider le cas Urbain Pierre Dangnivo. La vidéo de la dernière sortie de ce citoyen en rupture avec la loi est actuellement poste par un autre citoyen sur le réseau social Facebook. Qui peut se sentir fier d’être citoyen d’un pays où celui qui s’est offert la liberté de proférer publiquement de telles menaces n’est inquiété par aucune juridiction de la République? On devra certainement espérer que de tels propos ne soient pas tenus impunément dans une République et qu’un jour, l’auteur puisse en répondre. C’est le moins qu’on puisse attendre d’un pays qui aspire à la paix età la démocratie. C’est préoccupant et cela fait peur.
Mon éminent Professeur Dénis Amoussou Yéyé, parlant récemment de la posture et du statut du Chef de comparé au statut du roi a trouvé outrageant les propos de certains critiques. Je respecte certainement son opinion, mais nous ne pouvons continuer au 21e siècle à percevoir nos leaders comme des reliques du passé. Autant l’Etat moderne a ses exigences, autant l’institution Président de la République appelle une tenue et des valeurs qui font de l’occupant, un homme exceptionnel. Nous ne sommes plus au temps ou quand « l’acassa mal préparé est apprécié par les sujets qui demandent simplement parce que préparé dans la cour du Roi » Le leader dans un Etat moderne n’est pas un Roi qui se “consume” parmi les “siens” et dont les sujets doivent se mettre à genoux pour implorer la patience et le pardon..
Les priorités de nos institutions ne coïncident pas toujours avec les intérêts du peuple
En tant que citoyen, mon propos n’est pas de dire que les institutions ne travaillent pas et que ses membres se tournent le pouce. Loin de là ! Il se trouve qu’elles semblent avoir des priorités qui sont parfois aux antipodes de celles du peuple. Par exemple, au nom de quels principes de gouvernance le collectif des Présidents d’institutions reçoit-il un opérateur économique pour l’écouter au motif que ce dernier a des démêlés avec le pouvoir exécutif? Qu’est-ce qui est recherché? Que veut-on réaliser? Quels résultats ce collectif veut-il obtenir pour les Béninois à la lumière des missions assignées à chaque institution par la constitution du 11 Décembre 1990?
En outre, au nom de quels principes et pour quels résultats le Chef de l’Etat se fait-il accompagner des Présidents d’Institutions pour aller présenter les condoléances aux Responsables d’un pays fût-il ami et frère même si c’est à l’occasion du décès du Président de ce pays? A la visite du successeur de ce défunt Président au Bénin le 7 Septembre dernier, les Présidents des institutions étaient également invités. A quelles dispositions de la Constitution répond une telle façon de gouverner et à quels principes de gouvernance se rattache une telle pratique dans un régime de séparation des pouvoirs?
La Haac dont la mission est bien connue vient de mettre en garde les organes de presse contre le traitement qu’ils font des propos du Chef de l’Etat ainsi que des remous que suscitent de nombreux dossiers de mal gouvernance au sein de la classe politique, de la société civile et de simples citoyens. Mais la même Haac fait soigneusement l’impasse sur le feu qui a produit la fumée. Sommes-nous encore dans une République normale ou chaque institution joue convenablement son rôle?
Le 19 Mars 2012, le Président de l’Assemblée Nationale avait convié ses collègues députés à une session extraordinaire pour entamer la procédure de révision de la constitution. Même si la loi fondamentale reconnaît au Parlement les prérogatives de procéder à une telle révision, l’Assemblée n’avait-elle pas le devoir d’analyser le contexte sociopolitique de cette demande provenant du gouvernement, contexte marqué par des grèves perlées, l’absence de dialogue politique et la fronde d’une partie de la société civile contre le projet de révision de la constitution?
Un jour de Juillet 2011, une citoyenne se prénommant Ingrid Houessou –introuvable jusqu’à ce jour- a usé de ses droits civiques pour saisir la cour constitutionnelle par rapport à la décision du gouvernement de revaloriser le point indiciaire des agents du Ministère de l’Economie et des Finances au motif que cette décision serait discriminatoire. La cour a suivi Ingrid moins de 48 heures après sa saisine et a rendu sa décision à la suite de laquelle le gouvernement lui-même s’est réuni le même jour en session extraordinaire pour rapporter sa décision de revalorisation du point indiciaire. Si cette célérité ne relève pas d’une prouesse dans la pratique de nos institutions, cela y ressemble étrangement. Cette décision a été finalement remise en cause sous la pression des syndicats, violant ainsi l’arrêt de la Cour. Mais la même célérité dans le traitement des recours par la Cour n’a pas été observée quand la cour avait été saisie dans l’affaire de désignation du représentant de la société civile à la CENA pour l’élection présidentielle de Mars 2011, encore moins à la suite de sa récente saisine par le mouvement de jeunes nouvellement créé sous le vocable évocateur de “Y en a marre” .Le fonctionnement actuel de nos institutions et l’instrumentalisation qui en est faite ne peuvent stimuler ni la croissance, ni créer l’environnement qui sécurise les investissements nationaux et étrangers, générateurs d’emplois.
Un autre Etat est possible
On peut me taxer de rêveur. Mais je pense profondément qu’en l’état actuel de la science politique, du niveau d’expertise et de maturité politique des Béninois, il est bien possible de réinventer au Benin, un Etat dans lequel chacune des institutions joue son rôle pour contribuer au fonctionnement harmonieux de l’Etat. Nous devons réfléchir à cela et mettre en chantier les réformes pouvant nous y conduire. Cela passe par l’entrée d’un personnel politique compétent au parlement, y compris des indépendants et non des députes non-inscrits qui jouent le jeu de la “navette parlementaire” à l’Assemblée Nationale, au gré de leurs intérêts personnels. Pourquoi ne peut-on pas limiter le nombre de mandats électifs à deux ou trois pour permettre a d’autres citoyens capables et compétents de servir la nation dans ces institutions? Cela passe par la mise en place de mécanismes qui assurent au fonctionnement de l’Etat, l’équilibre des pouvoirs et non l’opportunisme des responsables d’institutions. Cela passe également par une réflexion approfondie sur le mode de désignation des membres des institutions et l’élection de leurs responsables pour parvenir à créer et asseoir une tradition institutionnelle qui place les individus dans une relation de totale Independence vis-à-vis du pouvoir exécutif qui de tout temps a une propension a déployer toute forme de corruption pour atteindre ses objectifs de conservation du pouvoir même de la manière la plus illégale et immorale.. Souvenons-nous qu’à la veille de la désignation des membres de l’actuelle Cour Constitutionnelle, de nombreux citoyens et ce que la presse avait d’indépendant avaient exprimé leurs appréhensions quant à l’indépendance de la cour dans ce contexte de désignation où tous les sept sages étaient potentiellement perçus comme issus de la mouvance. Et quelle idée que quelqu’un qui s’était clairement affiché comme un FCBE et reconnu comme tel, brigue la Présidence de la Cour? Le déclin de notre démocratie réside dans la ruse des uns et des autres à manipuler les institutions pour en tirer un pouvoir personnel et perpétuel pour les uns et peut-être des prestiges pour les autres. Est-ce de cela que veulent les Béninois?
Revoir le casting au sommet de l’Etat
L’expérience que vit actuellement notre démocratie appelle surtout que nous revisitions le casting du gouvernant lui-même. Comment peut-on désigner les candidats à la fonction suprême de Président de la République et qui est qualifié pour être candidat à cette haute fonction dont les exigences sont pluridimensionnelles et dépassent la seule humilité supposée des uns et la détention de titres académiques par les autres. Si nous ne renouons pas avec la réflexion qui devra nous conduire a établir d’autres critères que ceux actuels qui génèrent des candidats qui, de par leur comportement et leurs pratiques de gouvernance sont après quelques années méconnus d’une grande partie du peuple, il nous sera difficile de faire des pas de géants vers le progrès économique et social dans l’intérêt de tous. Un meilleur casting de nos gouvernants commande aussi l’attitude du Président de la République car il faut définitivement tourner la page du Chef de l’Etat qui, disposant d’une majorité à l’Assemblée Nationale pense que les députés sont des personnes à sa disposition qui lui doivent soutien aveugle, dévotion, adoration et que même le “Speaker”,( le président dans notre tradition), deuxième personnage de l’Etat, véritable institution sous d’autres cieux doit être son obligé au point d’être considéré comme un “bouton” sur lequel le Chef de l’Etat appuie . On ne saurait être fier d’entendre ce que nous entendons et d’être témoin de ce qui arrive à notre pays et à sa démocratie. ..