« Sabine fut la dernière à s’asseoir. En avait-elle vraiment envie ou a-t-elle fini par imiter les autres pour ne pas paraître comme une athée ou une fille déglinguée ? Sa prière fut intime, rapide et inaudible:
- Vierge Marie, je vous en supplie, aidez-moi à régler le problème de l’enfant que je porte.
- Mais quel problème?»
Voilà le nœud autour duquel se déroule l’intrigue de ce roman suave d’Euphrasie Calmont, les Revers de l’amour, qui vient d’être publié aux Editions Amalthée.
Elle n’est pas sérieuse, cette femme du nom de Sabine, personnage central du récit, celle qui bouleverse tout et tous sur son passage. Le lecteur distrait se trouverait abusé par son attitude. Elle déclare son amour à Julien et garde le secret qu’en réalité elle ne l’aime point. Elle dit éprouver de la haine pour Charles, son collègue de travail, mais reconnaît en son for intérieur que c’est plutôt lui l’homme de sa vie. Dans ce méli-mélo, la paternité de son enfant, Marc-Alain, accouché sous le toit de Julien, est mise à rudes épreuves. N’est-ce pas plutôt Charles le vrai père du petit ? Dès cette équation, Sabine va mener un combat féroce avec sa conscience ; et pourtant, elle n’y voit pas clair. En écoutant son cœur, et non sa raison, elle abandonne subitement Julien et va s’offrir à Charles, lui ramenant aussi l’enfant. Agissant de la sorte, Sabine apparaît comme un personnage complexe et indéchiffrable.
L’amour et ses revers
« Lorsque Sabine déclara son amour, Julien s’en retrouva comme foudroyé. C’est ainsi que l’on ressent les grands sentiments, les grandes déclarations ». Effectivement, cela avait bien commencé entre les deux ; ils n’ont pas tardé à se mettre ensemble après cet aveu. Sabine a rejoint Julien dès qu’elle a senti qu’elle était tombée enceinte de lui. La joie de leurs deux familles s’est manifestée aussitôt. Monsieur et Madame Costa, les parents de Julien, ont offert une villa au couple pour la naissance prochaine du bébé. L’amour est beau, dit-on, lorsque le ciel est bleu. Mais personne ne pouvait imaginer qu’un nuage s’était pourtant dissimulé dans ce romantique azur.
Après le premier anniversaire de Marc-Alain, Julien décida d’officialiser sa relation avec Sabine. Ils ont un enfant, ils vivent déjà ensemble, sans une reconnaissance officielle. Il est donc temps de mettre les pendules à l’heure. Mais il va buter contre les réticences, la résistance et même le refus de Sabine. Euphrasie Calmont décrit cette attitude de la jeune femme à partir de la page 57 et écrit : « Seulement, voilà que chaque fois qu’il y a une discussion sérieuse pour déterminer la période éventuelle du mariage, Sabine y met de l’humour et de temps en temps un grain d’ironie », dans la seule et malhonnête intention de repousser l’événement aux calendes grecques. Ce comportement cache quelque chose que Julien ignorait. Elle seule sait pourquoi elle a du mal à s’engager, maintenant qu’il est question de formaliser leur union.
Le sadisme de Charles
Après Sabine, voici un autre personnage atypique, qui fait tout à l’envers. Les actes qu’il pose sont en parfaite contradiction avec ses réelles motivations. Ce mégalomane, manipulateur et fumiste, s’appuyant sur sa liaison secrète avec Sabine, se permettait tout de la façon la plus odieuse et inique. Il dit aimer Sabine et lui crée tous les ennuis possibles ; il prétend être le père biologique de Marc-Alain, tout en suppliant la jeune femme d’accepter son amour et de venir vivre avec lui. Sabine lui offrit tout cela, aussi facilement ; mais du coup, il devient soucieux, comme on peut le lire à la page 103 : « En sortant du restaurant, (à l’issue du rendez-vous avec Sabine), Charles devient moins gai que lorsqu’il y était. Il se demandait à partir de maintenant, comment fallait-il ménager ses multiples conquêtes, cet enfant et Sabine ». Comment comprendre cette vile intention de Charles qui se refuse de mettre une obligation amoureuse ou familiale en travers de son chemin ? Il se justifie à lui-même, à sa conscience, en affirmant : « Je lui menais la vie dure juste pour m’amuser, juste pour sortir avec elle de temps en temps et gagner l’enfant qu’elle aurait élevé à ses frais. … Elle a quitté son ami en croyant que je la récupérerais. Bon sang ! J’en fais quoi maintenant ? … Vite, vite, je dois me débarrasser d’elle, quels qu’en soient les moyens ».
La jeune femme s’entêta un bon moment dans son erreur et dans son malheur avant de commencer à douter de la sincérité de son prince charmant. Malgré ce doute et la fuite en avant de Charles, elle n’a pu sortir de son rêve, croyant toujours à l’amour de celui-ci. Le dénouement de la situation ne viendra pas donc d’elle-même, mais d’un autre personnage, et son bonheur, est-on tenté de dire, sera fait contre sa volonté. Heureusement !
L’écriture alerte de Calmont
Deuxième signature de l’auteur après Emma ou la rage de vivre publié en 2008, aux mêmes Editions Amalthée, les Revers de l’amour fait découvrir une écrivaine à la plume fleurie. Dans cette œuvre, Euphrasie Calmont raconte avec simplicité et expression une histoire à rebondissements. Elle a fait pleinement jouer aux principaux personnages le jeu qu’elle voulait ; tant et si bien que les interactions se révèlent impeccablement tissées.
Ecrit dans un style alerte, court et limpide, les Revers de l’amour pose l’éternel problème de la contradiction que la femme laisse apparaître entre les actes qu’elle pose et son intime conviction. On ne sait jamais ce qu’elle veut réellement, tant ce qu’elle dit contraste avec ce qu’elle fait, surtout lorsqu’elle se retrouve sur le terrain sentimental. Euphrasie Calmont donne dans ce livre une belle leçon : « On subit les revers de l’amour lorsqu’on rêve trop de l’amour ».
Il faut le remarquer, les Revers de l’amour apparaît comme un roman expliqué. L’auteure s’est voulue explicite et compréhensible, ce qui n’est pas mauvais ; mais elle l’a été de trop. Vingt-cinq chapitres pour une œuvre de 191 pages, c’est énorme ! De plus, chaque chapitre présente au début les personnages en jeu ainsi qu’un résumé succinct de ce dont il y sera question. Ce faisant, moins d’effort est demandé au lecteur, mais il y a un inconvénient : il sera tenté de survoler le récit, pensant ainsi avoir saisi tout le sens de l’œuvre. Or, chaque page a ses ingrédients, ses secrets qui vous plongent dans les méandres de l’intrigue.q
Jean Florentin Agbona
(Technicien Sup. de l’Action Culturelle agbonaflo@yahoo.fr)