Services extra-paroissiaux et diable sous le pagne

C’est connu : A Cotonou comme ailleurs, les pasteurs ou les prêtres sont de pauvres mortels souvent hantés par les tentations de toutes sortes. Si certains parviennent à éviter la boulimie des gains ou le commerce véreux, beaucoup par contre, n’arrivent pas à surmonter l’attrait des nénettes.

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Surtout lorsqu’ils savent que sous un pagne, se cache le « diable en cornes ». Un diable qui, bien sûr, peut les prendre au piège et les entrainer facilement dans ses roulis. Chairman Abissalo en a fait la joyeuse expérience.

Marie-Chance est une jeune vendeuse de riz à la cantine d’un collège de Sègbèya. Quand elle se met dans son jupe-pagne, aucun homme ne rate jamais le spectacle de ses déhanchements sauvages. Quand le décolleté de sa camisole descend et dévoile le quart de ses pamplemousses charnus, ses clients retiennent à peine leur bave. Pourtant, on sait, depuis le premier ancêtre, que la beauté, si elle n’est pas utile à quelque chose, ne mérite pas d’être flattée. Trois ans qu’elle s’est mariée, Marie-Chance, mais son ventre ne s’est jamais arrondi.

Son mari, un docker qui officie au Port Autonome de Cotonou, en est plus que soucieux. Il a beau la jardiner tous les soirs, aucun résultat ne jaillit de ses assauts. Même fatigué, rompu par le poids des marchandises qu’il a portées dans la journée, le pauvre doit assurer. De guère lasse, le couple s’en va consulter un gynécologue.

« Rien d’anormal », leur fait aussitôt le médecin.

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Insatisfaits, ils se rendent chez le boko, le devin-guérisseur. Ici l’explication de leur malheur est toute trouvée. Il s’agit des manœuvres honteuses et maléfiques d’une sorcière. La vilaine, une tante oisive et sans piment, sévirait sur leur ménage depuis le village.

Marie-Chance alerte alors Djodjo, une cousine abonnée à l’Eglise du Sang Répandu de Jésus. Très vite, celle-ci l’emmène chez le « chairman », le pasteur Abissalo. L’église se situe à Djidjè, dans une ruelle sale, toujours gluante de vert-de-gris. Djodjo lui fait comprendre que l’homme a des pouvoirs d’exorcisme. Suffit qu’il étende ses mains et les sorciers, si puissants soient-ils, disparaissent avec leurs tchics et leurs tchacs.

Marie-Chance n’en informe pas son mari. Persuadée qu’elle  peut décider seul de son propre sort, elle entreprend de suivre les traitements spéciaux conçus par le chairman. Deux semaines d’exorcisme et elle retrouvera son aura saine. Les prières doivent se faire quatre fois par semaine, à raison de trois heures par séance.

Au bout des premiers jours, le pasteur décrète la guérison de sa patiente. Dans ses visions et ses inspirations, il aurait vu la sorcière jeter l’éponge et s’enfuir à grandes enjambées. Alors, il demande à Marie-Chance de réinvestir le lit de son mari. Mais Jean-Paul, lui, a d’autres casseroles à curer. Depuis que l’histoire du ventre de sa femme lui parait relever du sortilège, il préfère aller palper les croupes des serveuses dans les bars du Stade de l’Amitié. D’ailleurs, ces filles venues du nord Togo, sont, paraît-il, bon marché et prêtes à tout pourvu qu’on leur garantisse gîte et akassa. En plus, elles seraient des pondeuses en or. Même si entretemps, ses parents lui ont miroité les vierges du village, ces amazones aux fesses dures comme du granite, Jean-Paul a décidé de faire ses emplettes dans les gargotes de Kouhounou.

Marie-Chance, de son côté, ne tient plus, elle se répand tous les jours en pleurs. Le chairman qui est sensible aux larmes de sa patiente, s’offre spontanément de la consoler. La jeune femme se  retrouve tout liquide dans ses bras. Abissalo a beau avoir une haleine faisandée, une barbe pouilleuse, la chemise toujours crasseuse, Marie-Chance le trouve…chérissable. On dirait même que son air négligé et son côté souillon la rassurent. Bien sûr, le « saint » homme a une femme à la maison. Bien sûr, il est, auprès de ses fidèles, conseiller conjugal. Mais il ne peut abandonner la pulpeuse à sa souffrance. Très vite, il lui promet de la combler d’un bébé. Quitte à ce qu’elle le fourgue à son mari.

Tous les soirs, la « séance d’exorcisme » se poursuit alors à Sègbèya, chez Madame, avant le retour du mari à la maison. Des murs de la chambre, des bruits étranges s’échappent : pleurs, gémissements, extases, tous les sons appartenant à la jouissance se succèdent de façon continue. Or, dans une cour africaine, les locataires ont beau être des inconnus, ils font des affaires de leurs voisins leurs propres biscuits.

 

Jean-Paul, informé, débarque à la maison plus tôt que prévu. Le pauvre n’a pas eu besoin de regarder par les trous de serrure de sa chambre à coucher pour constater son infortune. Déjà, dans la cour, les pleurs jouissifs de sa femme font un concert terrible. Et tous ses voisins se sont positionnés discrètement derrière leurs fenêtres et leurs portes pour assister à sa déconfiture. Ou à son explosion.

-Chairman, hoklohoo,  hurle le malheureux, si tu es un homme, sors ! Si tu as quelque chose entre les jambes, montre-toi !

Il trépigne, fume de colère, se précipite chez un voisin locataire et lui arrache un coupe-coupe. A voir sa hargne, celui-ci n’ose même pas lui faire barrage.

-Chairman, je vais te découper en rondelles, continue-t-il. Même si tu ressuscitais des enfers, je te retrouverai pour te charcuter encore et encore ‼

Et en le disant, il assène des coups de machette au sol, en fait crisser la lame sur la margelle du seul puits qui se trouve dans la cour. Des éclairs jaunâtres en jaillissent, faisant des gerbes de feu effrayant.

Le chairman a beau être un guide spirituel détaché des affaires terrestres, il n’en est pas moins un peureux. D’autant que personne, dans la maison, ne s’offre même pas pour jouer aux casques bleus. Alors, l’impatience du cocu devient intenable. Non seulement, Abissalo refuse de réagir, mais Jean-Paul l’imagine en train de « bisser » une nouvelle fois son effrontée d’épouse.

-Je compte jusqu’à trois, avertit-il, si à trois, je ne vois pas pointer le bout de ton orteil, je défonce la porte et je te fais ta fête. Sois en train de prier pour tes dernières minutes. Un, deux…

Le docker a oublié une chose. Le chairman n’est pas bête pour un Tanga. S’il s’est tenu coi jusque là, c’est qu’il réfléchit à la manière la plus sûre de se sortir d’affaire. Une fenêtre à l’arrière lui a inspiré l’idée d’une fuite discrète. Seulement, la fenêtre est barrée par des lames de Nacots. Qu’importe ! Ayant été vitrier dans une autre vie, il réussit à désosser les persiennes en verre, passe par l’ouverture ainsi obtenue et atterrit dans une douche à ciel ouvert. Ici, le mur de protection fait corps avec la cour arrière. Il suffit de passer ce rempart pour se retrouver tout près de la clôture, qu’il lui faudra escalader pour espérer gagner la maison voisine. Plan idéal. Mais seulement, Chairman ne savait pas que le cocu avait aussi prévu ce cas de figure. C’est pourquoi, de temps à autre, il fait un tour dans l’arrière-cour dans l’espoir de couper la retraite à son rival.

Pendant ce temps, les prières de Marie-Chance s’amplifient. Elle supplie la Vierge Marie et tous les saints de la préserver du pire.

Chairman ne peut plus attendre. Ayant traversé l’arrière-cour, il ne lui reste qu’à escalader le dernier mur, celui-là, haut de près de trois coudées. Malheureusement, dans la précipitation, il a oublié, lorsqu’il était en chambre avec sa mielleuse, d’enfiler sa ceinture. D’après Papa Wemba, le pape auto-plébiscité de la SAPE, « un pantalon sans ceinture est une bêtise sans nom ».

Dès qu’il se hisse sur le haut du mur, le pasteur voit son pantalon se détacher de ses hanches et dénuder ses fesses – il ne porte pas de caleçon. Pire, le bas de l’habit vient lui encombrer les pieds. Dans les yeux du malheureux, flotte une tonne de peur jamais égalée. Il s’arrache, écarte les jambes, tente de se débarrasser du maudit pantalon, mais trop tard. Il est déjà déséquilibré. Et la chute. La chute lourde et brutale. L’équivalent de deux sacs de ciment tombe « gbem » au sol.

Le bruit attire aussitôt le docker. Jean-Paul court et atterrit au pied du mur où le chairman, étendu, se tort de douleur. Le ricanement du cocu est impressionnant. Il lève haut sa machette, ajuste le cou du pasteur, mais au moment de le charcuter, une fulgurante idée lui traverse l’esprit.

Plutôt que de l’exécuter, il va le honnir, lui infliger le genre d’humiliation qui, un jour, a conduit le caïman à déserter les marais pour aller se refugier dans le marigot : mettre son sexe à l’attache et le promener nu dans la rue, de Sègbèya jusqu’à Djidjè.

-C’est le diable, larmoie Abissalo, c’est le diable, mon frère. Tu ne peux pas savoir les ennuis que le diable peut provoquer sur les gens. Pitié, mon frère pitié.

-Okay, réplique aussitôt le docker, on va tuer ce diable qui se fout ainsi de nous, mais puisqu’il est en toi, on va s’attaquer à lui. Hé, Jacques, cherche-moi du fil en toile de jute !

Jacques, c’est le plus jeune locataire de la maison. Etudiant, il loue un studio à l’extrême gauche et a vécu, deux ans plus tôt, une situation similaire. Un ancien séminariste lui aurait carotté sa tendre fiancée et depuis, il en veut à tous les ensoutanés de la terre. C’est lui, l’informateur, le kpakpato qui a mis la puce à l’oreille de Jean-Paul.

Mais Jacques a des regrets. De voir un respectable chairman devenir le jouet d’un règlement de comptes aussi trivial, le met mal à l’aise. Il refuse alors de fournir le fil en question. Déçu, le docker dégaine son téléphone, compose un numéro et se met à parler. Quelqu’un d’autre lui apporterait d’ici un quart d’heure le fil à attacher.

Profitant de son attention détournée, le Chairman tente une fuite. Rapidement, il se débarrasse de son maudit pantalon, fait mine de rouler au sol et se relève. Le docker, le dos tourné, ne l’aperçoit qu’au dernier moment. Mais déjà, l’autre a pris ses jambes au cou.

Insolite à Sègbèya : un homme aussi rembourré qu’un tonneau, la quarantaine bien installée, les fesses nues, le sexe en bandoulière, court lalala dans le vent.  Un autre, le torse nu, mais bien à l’étroit dans son pantalon jean, le poursuit djadjadja avec une machette.

 Mais tous deux n’ont pas le même objectif. Si le premier cherche à sauver ses arrières, le second n’est motivé que par la vengeance. On comprend que, pour l’un, l’instinct de survie soit plus puissant que tout. C’est pour ça que Jean-Paul, malgré sa jeunesse, malgré ses sentiments explosifs, ne peut pas le rattraper. Selon certains, le chairman aurait couru, tellement couru qu’il aurait dépassé même l’horizon.

Personne, depuis ce jour, n’a retrouvé ses traces. Le diable sans doute. Le diable a eu apparemment raison de lui !

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