Tremblement de corps est le titre que porte les sept pièces de théâtre issues de la 4è édition du concours national d’ écriture ‘’ Plumes Dorées ‘’. Publié dans le cadre du grand projet culturel « Bénin en création » chez les Editions plurielles, 2012 Cotonou - Bénin , ce recueil de pièces de théâtre a révélé au grand jour et au grand bonheur des amoureux du théâtre, le génie et le talent de sept jeunes plumes, toutes méritantes les unes que les autres : Hurcyle Gnonhoue dans Tremblement de corps - Josiane Bio Dafia dans l’Enfant du péché - OR’a N’ Donousse dans Owo éshu - Ganiath Bello dans Ecartèlement - Giovanni Houansou dans sept milliards de voisins - Marie Christelle Legonou dans Louise d’Akotomey et Sylvie Ayanou dans Iyâ chadé.
Dans Tremblement de corps c’est d’abord Hurcyle Gnonhoué qui prend le risque de mettre en scène une femme, une dame et pas des moindres : la première dame, Majoie Boya, l’épouse du respecté et respectable chef de l’Etat Ali Boya. Femme négligée par son époux, Majoie Boya profite de la journée nationale de féminisation des discours pour accorder un entretien au célèbre journaliste Salem Sachou dans sa résidence privée. Très vite ce dernier découvre que la vraie intention de la première Dame est ailleurs. Elle l’invite à une partie de plaisir sexuel où elle verrait son corps longtemps abandonné, vibrer, secouer et trembler sous les uppercuts que le journaliste assènerait à ses entrailles. L’action devient un affrontement épique.
Cette pièce de Gnonhoué pose le problème de la condition de la femme et de la responsabilité des chefs d’Etat vis-à-vis de leurs épouses. Une fois au pouvoir, les présidents n’ont plus le temps de bien s’occuper de leurs épouses à cause, semble-t-il, des affaires d’Etat et des longs périples qui ont du mal à prendre fin. Ils deviennent aussi, pratiquement le «chouchou» et le point de mire des autres femmes. En conséquence, ils n’honorent plus leurs obligations d’époux. Ces femmes mal épanouies ne portent alors le titre de premières dames que pour la forme ; leur rôle consiste fondamentalement à accompagner leurs époux pour les sorties officielles. Et ça s’arrête là. Se sentant négligées et abandonnées, la plupart préfèrent chercher plaisir, joie, jouissance et l’oubli dans les bras d’un quidam. Majoie boya délaissée, jette alors son dévolu sur un célèbre journaliste, Salem Sachou. Après lui avoir confié les incapacités et l’irresponsabilité de son époux à la satisfaire et à œuvrer pour son réel épanouissement, lui propose un marché à la fois alléchant et machiavélique : celui de coucher avec elle. Un journaliste coucher avec la femme du président de la République; sacrilège, n’est-ce-pas? Majoie Boya dans le feu de l’action du péché laisse entendre à son bienfaiteur journaliste, dispensateur de plaisir et de jouissance, ses propos : «Réjouis mes sens, Salem. Je te le revaudrai au centuple. Je ne peux continuer à sevrer mes sens. Et rappelle-toi que les vagues de la mer ne ressortent pas les sueurs du plongeur. Elles s’incorporent à elle» p.44.
L’Enfant du péché de Josiane Bio Dafia
Suivra l’Enfant du péché de Josiane Bio Dafia. Une pièce dans laquelle Kinrou et Aicha s’aiment passionnément au point de s’unir par le mariage. Mais le père de Kinrou, sans aucune explication, s’oppose à ce mariage. Personne ne le comprend. Il manigance, complote, invente toutes sortes de scénarii méchants pour empêcher cette union. Aïcha, décidée à aller jusqu’au bout de son projet, tombe enceinte. C’est alors que le père de Kinrou se trouve contraint de lâcher le motif de son refus catégorique à la fameuse union : Kinrou n’est rien d’autre que le demi-frère d’Aïcha. Mariage contre nature, donc ; union impossible voire interdite. Cet enfant de l’inceste que porte l’innocente Aïcha naîtra-t-il ?
Ecartèlement de Ganiath Bello
C’est avec Ecartèlement de Ganiath Bello que le lecteur a droit à un percutant monologue, fait de rire et de larmes ; de joie et de peine ; de plaisir et de douleur voire de drame. Un monologue à long souffle qui met à l’index la moralité et l’éducation des jeunes filles. En fait il s’agit plus précisément dans cette pièce de Ganiath BELLO, de Jacqueline, fille unique d’une famille nantie. Ses parents veulent la donner en mariage à leur pauvre chauffeur. Paradoxe, n’est-ce-pas? Jacqueline refuse et décide de se réaliser par ses propres moyens. Son beau et grand corps devient son principal atout. Agée seulement de 24 ans et employée d’une agence de communication, elle est l’objet d’une exploitation inouïe. Son patron, pour des raisons de prospérités financières, la branche à un richissime homme d’affaires. Mais celui-ci, très tôt, tombe amoureux de Jacqueline et décide de l’épouser. Tout est mis à sa disposition : argent - voitures - résidences- voyages sur Europe avec promesse de mariage à l’occidental. Jaloux de la perdre à jamais pour un autre plus puissant et plus riche que lui, son vicieux de patron scelle son sort à jamais. A Lomé, où elle doit prendre le vol pour rejoindre son richissime homme, le malheureux patron l’intercepte dans son hôtel, la saoule, la bastonne méchamment et la viole. Jacqueline abusée, désabusée, honnie, humiliée et dépouillée tombe dans le chaos total et confesse en ces termes : «(…). Je me sens souillée. Mon esprit est sale. Mon corps n’est qu’une pourriture. Je suis à jamais maudite. Je suis une maudite. Je suis enceinte d’un bébé dont le père m’a frappée, violée et menacée de mort. (…) »P.127. Sa vie devient alors une suite de désillusions qui s’achève dans le néant. Elle dégringole et tombe de son piédestal, où le compteur de sa vie est ramené à zéro.
Par cette formidable œuvre, Ganiath Bello a le mérite de mettre le doigt sur un mal qui mine et détruit dangereusement la vie et la destinée de bon nombre de jeunes filles de la société africaine. Que de jeunes filles n’ont-elles pas abandonné les études à cause de l’ambition démesurée ? Que de jeunes filles, même issues de parents nantis, n’ont-elles pas raté leur vie à cause d’avidité et du clinquant ? L’éducation a reçu de grands coups et tout est sens dessus-dessous. Les valeurs fondamentales et les vertus font grand défaut à la jeunesse. Et c’est ce que regrette Bello. Pour elle, le corps de la femme ne saurait être un prétexte pour réussir dans la vie. La jeune fille doit savoir jusqu’où elle ne doit pas aller. Elle doit être modeste, humble et vertueuse. Elle doit savoir que son corps est sacré et ne doit pas y miser pour réussir à tous les coups, et se faire une place de choix sous ce soleil où tout est vanité. Elle doit cultiver et développer les qualités, les bonnes pratiques et les vertus qui embellissent l’âme. Paroles de jeune fille bien éduquée et vertueuse, n’est-ce pas ?
Bref…
En somme, toutes les pièces de Tremblement de corps se valent les unes que les autres. Dans leur ensemble, elles posent des sujets très sérieux, relatifs aux maux qui minent l’humanité. Que ce soit Tremblement de corps, l’Enfant du péché, Ecartèlement pour ne citer que celles-là, chacun des auteurs porte un idéal, défend une valeur et se bat pour une cause. Et c’est la littérature africaine d’expression française qui en sort grandie.
L’imagination, le style et l’écriture de ces jeunes plumes sont à saluer. C’est aussi le lieu de saluer cette initiative de concours national d’écriture « Plumes Dorées », qui déclenche l’ambition noble, le génie et le talent chez les jeunes, qui mettent de la matière à l’actif de la création artistique. Il ne reste donc qu’aux metteurs en scène, aux comédiens, et aux amoureux du théâtre, de réserver un accueil digne au Tremblement de corps pour le plaisir de l’esprit et des yeux.
Robert C. Asdé
Président de l’Association Aiye Culture
E-mail : aiyeculture@yahoo.fr