Polémique dans le monde scolaire béninois autour de verre cassé d’Alain Mabanckou

Au mois d'octobre, le ministère des enseignements secondaires et techniques publiait la liste des ouvrages inscrits au programme scolaire 2012-2013. En classe de Terminale, Les Bouts de bois de Dieu d’Ousmane Sembène a été remplacé par Verre Cassé d’Alain Mabanckou.

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Si tout le monde – ou presque – avait applaudi des deux mains une telle initiative, deux mois après, les avis, dans le monde de l’éducation, divergent et prennent même l’allure d’une polémique.

Deux tendances s'affrontent. Les « normalistes » et les « transgressionnistes ». Les « normalistes » qui se recrutent aussi bien à l’université qu’au secondaire, estiment que le roman de l'écrivain congolais est peu indiqué pour son enseignement dans les lycées. Selon eux, il faut que les élèves aient fini de maîtriser les normes de l'écriture classique, de la narration traditionnelle avant de se risquer, à des échelons plus élevés, à la transgression. A leur entendement, le niveau des élèves étant de plus en plus bas, leur enseigner un roman qui joue sur la ponctuation et contrarie les normes grammaticales entrainerait sur leurs savoirs des conséquences désastreuses. On imagine, renchérit un professeur de français, le désastre qui s’ensuivrait aux examens du bac. Des perles du genre « elle a des gisements gogolifières et domintiques » – c’est-à-dire « elle a de grosses fesses attirantes » – ces perles, dit-il, vont se multiplier par dix.

 

De l'autre côté, les arguments des « transgressionnistes » : certes, avancent-ils, le roman d’Alain Mabanckou est une œuvre surprenante qui déconstruit le mécanisme de la narration traditionnelle, mais elle s’inscrit parfaitement dans les nouvelles tendances de la littérature africaine. Et ces nouvelles tendances sont faites d’audaces, d’approches plus personnelles de l’écriture, des décalages stylistiques, une appropriation de la langue en adéquation avec les thèmes, plus actuels, de la société. Si certains enseignants paraissent, à la lecture du texte, complètement déroutés, la Direction de l’Inspection Pédagogique se propose de les outiller en leur apportant l’appareillage didactique nécessaire. Du reste, cette institution s’en réfère à une expérience antérieure : on se rappelle en effet l’introduction, en 1979, des Soleils des Indépendances d’Ahmadou Kourouma dans les lycées. C’était le Bénin qui, pour la première fois, avait institué ce livre particulièrement déroutant dans le programme scolaire. Les mêmes résistances avaient été observées à l’époque et, progressivement, le roman de l’Ivoirien est devenu un livre de chevet pour des générations d’élèves. A l’appui aussi de leur argumentaire, la moisson de prix engrangés par l’auteur dont le Prix des Cinq continents, prix par excellence de la Francophonie ; donc une instance représentative du label de la langue

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Yves Dangnivo, professeur de Français et Inspecteur à la Direction de l’Inspection Pédagogique ayant travaillé sur Verre Cassé est venu expliquer à la télévision le sens que l’institution donne à la programmation du livre. Invité sur Canal 3, le dimanche dernier, il a dit, bien sûr, tout le bien qu’il pense de l’ouvrage et estimé inutile la polémique qui a lieu. Il propose aux universitaires de travailler ensemble sur la question afin de créer une synergie d’approche et de compétence qui soit transversale. Un regret toutefois a semblé affleurer de ses propos : le prix relativement élevé de livre qui, au départ, était de 3500F, puis est passé à plus de 5000F.

Mais cette intervention ne va pas apaiser les normalistes. Dans les salles de profs, dans certains carrés pédagogiques, la polémique continue. Certains proposent même de faire circuler une pétition afin que le livre, l’année prochaine, soit carrément enlevé du programme. D’autres, par contre, se font les chantres de son maintien. Les arguments littéraires s’entrechoquent. Et au milieu, les élèves, complètement perdus, ne sachant plus dans quel verre cassé ils finiront pas être bus. Alain Mabanckou, sans le savoir, est en train d’alimenter  la chronique littéraire et pédagogique au Bénin. Pourvu que le système académique s’en trouve enrichi.

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