Gouvernance administrative au Bénin: Il est temps de s’indigner

Bien que grave, et  méritant d’interpeller la conscience, le fait est passé pratiquement inaperçu lors de sa publication à la  fin de l’année dernière où chacun était préoccupé par la gestion d’un quotidien morose, à quelques jour des fêtes. Mais depuis , je puis m’empêcher d’y penser  quand  La Nouvelle Tribune  l’a rapporté dans son édition du 20 Décembre 2012.

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Cela s’est passé à la Faculté des Sciences de la Santé (FSS) à Cotonou : un professeur, plus précisément le docteur  Aurel Constant Allabi, maitre – assistant  de son état- s’est signalé par un acte insolite. En effet , il n’a pas trouvé mieux que de venir implanter dans la cour de l’établissement une banderole avec cette inscription «  ça fait six ans que Bigot  est en train de détruire ma vie . Dites lui d’arrêter maintenant ! »  Le  persécuteur ainsi désigné n’est personne d’autre que le doyen de la FSS,  son supérieur hiérarchique.

En ce début d’année, et pendant que chacun s’ingénue à  formuler les vœux les plus optimistes pour ses parents, amis, collègues et connaissances, le fait me parait assez révélateur d’une situation sociale préoccupante pour  être rangé dans le registre d’un simple mouvement d’humeur  ou d’un acte de défi  à l’endroit d’une autorité dont on n’arrive pas à  s’accommoder de la méthode de direction. D’aucuns  penseraient que c’est un fait divers  de plus  dans une société béninoise  qui en enregistre tant chaque jour.  S’il était  considéré  sous cet angle,  l’acte posé   par ce  maitre-assistant de la FSS  reviendrait à ne pas tenir compte du cadre  hautement sensible de son déroulement, et surtout  des catégories de citoyens concernées par la situation   dénoncée  ainsi publiquement. Nous sommes dans le monde universitaire,  haut lieu du savoir et de la formation des élites où  toute querelle de personnes portée ainsi sur la place publique  est le signe éloquent  de contradictions qui ont atteint un seuil intolérable pour celui qui, s’estimant brimé  sans autre voie de recours depuis des années, a décidé  de faire entendre publiquement son indignation.

Indignation!  C’est bien de cela qu’il  s’agit. Et le docteur Aurel Constant Allabi est un citoyen indigné  qui  ne veut plus ruminer sa frustration, ses ressentiments  et sa colère dans son petit coin.  «Sentiment de colère que soulève une action qui heurte la conscience morale, le sentiment de la justice.» Cette définition du mot indignation se retrouve bien  dans les termes de la banderole, et qui, sauf inattention de ma part, n’est pas venue démentir une réaction du doyen Bigot.

Indigné,  Aurel Constant Allabi est loin d’être seul dans le cas.  Son acte  mérite de retenir l’attention parce qu’il est le cri de cœur d’un cadre  qui n’en peut plus de se  ronger les sangs  dans une structure  où, de par sa formation et son statut administratif, il est appelé à passer sa carrière. Des indignés, l’administration  béninoise  en compte des centaines de milliers. Qui ruminent leurs ressentiments  devant  les vexations  dont ils sont  l’objet chaque jour. C’est pourquoi je me suis sentie  interpellée par  l’acte  courageux, parce que sans précédent à ma connaissance, de ce intellectuel formateur  qui ne veut pas que sa carrière soit brisée dans l’indifférence générale. Parce qu’il  aurait choisi de garder le mutisme face à l’injustice.

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Indignée, je le suis aussi depuis des années  face à des faits et des événements  qui jalonnent ma carrière. Mon objectif n’est pas d’en dresser  la liste ici, mais de participer au débat ainsi lancé par le docteur Aurel Constant Allabi. A son corps défendant, sans   doute.

  Mon premier motif d’indignation  remonte aux années 1990, quand après plus de dix années  bien accomplies  dans mon corps professoral – aucune sanction négative au tableau- j’apprends que le concours des inspecteurs de l’Enseignement secondaire auquel je suis admise  a  été  annulé d’autorité par le Ministre de l’Education nationale. Motif de cette décision  que mon collègue et moi admis  apprenons par la rumeur : le Ministre  n’aurait pas trouvé parmi les candidats retenus, des militants de son parti !  Depuis , le collègue  qui a partagé avec moi ses sentiments de dégout et de frustration a été admis à faire valoir ses droits à la retraite , et moi j’ai continué mon petit bonhomme de chemin  dans une profession  dont je ne me  plains nullement, malgré  les misères   affrontées  à cause d’une administration  où des responsables se livrent à des pratiques  aux antipodes des principes de bonne gouvernance  et d’équité ,chers  au président de la République , Boni Yayi .

Après une expérience assez enrichissante  à la Commission nationale béninoise pour l’ Unesco (Cnbu) ,en qualité de Secrétaire générale d’ Octobre 204 à Juin 206 , j’ai eu l’honneur d’être choisie , en Août 2009 , pour faire partie du Conseil national de l’ Education ( Cne)  au titre de l’ Enseignement secondaire où je bouclais  23 ans de carrière . Elue en Assemblée générale  2ème  rapporteur du Bureau permanent, j’ai été confirmée à ce poste en Août 209 par un arrêté interministériel  des trois ministres de l’Enseignement et du Ministre en charge de la Culture. Mais  c’est par une note de service   portant sa seule signature  que le président du Cne  me notifie ma suspension  pour compter du 31 Décembre 2010.   La date de suspension correspondant à celle de la prise du décret me nommant Conseiller technique au Ministère de la Micro finance, j’ai été  surprise  et intriguée par la procédure, car à aucun moment le président du Cne  n’a évoqué aucune incompatibilité concernant  ma nomination comme Conseiller technique  au ministère de la Micro finance et mon présence au Bureau du Cne. Aussi,  ai-je  jugé prudent de saisir la Chambre administrative  de la Cour  pour être fixée  sur la situation.  Mais dans  la foulée, le président du Cne  n’a pas attendu pour procéder à mon remplacement par une enseignante de l’Enseignement supérieur.  La décision de la Chambre administrative  pouvant prendre des années, toutes  les personnes à qui j’ai jugé utile de me confier  m’ont exhortée à la patience  et surtout à la sérénité, tout en m’exprimant aussi leur étonnement  face à la procédure de ma suspension-éviction.

  Mais je n’étais pas au bout de mon initiation aux  arcanes  de l’administration béninoise, avec tout ce qu’elle comporte  de non-dits  et autres  reptations  dans les relations humaines.  Surtout dans un cabinet ministériel. Et cette troisième expérience,  qui aura été la goutte d’eau de trop  que je me suis refusée  à ingurgiter passivement, pour faire comme tout le monde,  je l’ai vécue  au poste de Conseiller technique  qui m’a valu l’éviction  du Bureau du Cne.  Aujourd’hui encore, quand je considère les faits  qui ont fini par me persuader  que la démission  était la juste décision  à prendre pour être en adéquation avec ma conception  de l’éthique, je  me  demande  combien de cadres , dans nos ministères et administrations publiques subissent des situations pénibles  qui finissent par affecter leur mental . Au point de devenir des indignés  contraints de ruminer leur rancœur contre des dirigeants qui ne prêtent  guère attention à la qualité de l’ambiance de travail de leur administration.   En tout cas, c’est ce que j’ai personnellement vécu  pendant quelque 18 mois  au cours desquels  j’ai balancé entre étonnement, incompréhension  dans un premier temps  pour finir par l’indignation  et la révolte.

  Ma démission acceptée depuis le mois de Juin 2012, voici  donc bientôt sept mois que je suis  à la maison.  En dépit de deux lettres pour demander ma remise à la disposition de mon Ministère d’origine, comme l’exige la procédure administrative. Le Secrétariat général du gouvernement aurait été saisi  à cet effet depuis le mois d’Août 2012.  En attendant, dans cette situation de congé forcé, je ne cesse de me demander  si un cadre bafoué dans sa dignité, soumis à des vexations plus ou moins sournoises  dont personne ne s’émeut n’est pas fondé à crier son indignation.   Comme je juge utile de le faire, à la suite du docteur Aurel Constant Allabi.

Bonne et Heureuse Année 2013 à tous.

Par Adélaïde Fassinou Allagbada
(Depuis Boston,  Usa) Professeur de Lettres- Ecrivain

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