L’offense au Président de la République : un délit de protection de la fonction présidentielle et non un pouvoir de bâillonnement du peuple

Cet article publié pour la première fois en septembre 2012 est une réflexion de Serge PRINCE AGBODJAN sur l'offense au président de la république. Nous le remettons en Une du site pour nos lecteurs.

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A la suite d’une émission de télévision qui a été rediffusée sur une chaîne privée de l’espace médiatique béninois, le délit ou crime d’offense au Président de la République a été présenté comme une infraction dont serait coupable tout citoyen qui fait des critiques à l’endroit du Président de la République.

Il avait été dit que l’initiative de la procédure ne relève pas du Président de la République qui ne peut même pas l’interrompre. Ainsi, a-t-on dit que l’on peut être arrêté et subir une détention préventive lorsqu’on aurait critiqué le président après une émission. A entendre de près ces déclarations, on est tenté de penser que cette infraction est comme une épée de Damoclès qui pèse sur tous les citoyens qui critiquent le Président de la République. Pour lever toute ambigüité et toute confusion au sein des populations au sujet de ce délit, nous nous proposons de revenir sur cette infraction qui continue de susciter beaucoup de critique et de controverse au niveau des Etats de droit notamment de la France, pays de référence pour notre droit positif.

D’entrée, il faut préciser que le droit exige de ses praticiens une rigueur et un professionnalisme avérés. Il n’est donc pas juste que l’on aborde une infraction aussi sensible que le délit d’offense au Président de la République sans pouvoir y apporter tous les éléments  de droit qui fondent cette infraction. Ne pas procéder ainsi pourrait amener les citoyens à penser qu’un citoyen, dès qu’il accède à  la plus grande et haute fonction de l’Etat est au dessus du peuple béninois. Personne n’est au dessus du peuple car c’est encore le peuple qui est, reste et demeure le seul et unique  « détenteur de la souveraineté » au Bénin. C’est d’ailleurs ce que prescrit l’alinéa 1 de l’article 3 de la Constitution du 11 décembre 1990 au travers de ses dispositions: « – La souveraineté nationale appartient au Peuple. Aucune fraction du Peuple, aucune communauté, aucune corporation, aucun parti ou association politique, aucune organisation syndicale ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice…. ». Ces lettres découlent de l’article 26 qui stipule: « – L’Etat assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou de position sociale… ».

Il y résulte un principe de démocratie fondateur de tout Etat de droit.

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Toutefois, en pratique, le constituant et le législateur l’ont néanmoins assoupli en prévoyant des tempéraments en raison de la mission de certains citoyens.

Ainsi, bien que citoyen d’un pays, la personne élue ou qui exerce des fonctions importantes au niveau d’un Etat doit être protégée. C’est à ce titre que l’article 136 de la Constitution du 11 décembre 1990 dispose: « La Haute Cour de Justice est compétente pour juger le président de la République et les membres du Gouvernement à raison de faits qualifiés de haute trahison, d’infractions commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, ainsi que pour juger leurs complices en cas de complot contre la sûreté de l’Etat… »

Il se déduit que malgré l’existence du principe d’égalité des citoyens devant la loi, le Président de la République et les membres du Gouvernement ne peuvent être jugés que par la Haute Cour de Justice alors que tous les autres citoyens sont devant les juridictions de droit commun.

Dans cette même optique, le législateur protège certaines fonctions de la République. Par conséquent, il a prévu des infractions spécifiques. On peut citer entre autres, l’outrage  à agent  dépositaire de l’autorité ou de la force publique (délit prévu et puni par l’art.224 du code pénal), outrage à magistrat ou à membre de juridiction (délit prévu et puni par les articles 222 et 226 du code pénal), outrage à commandant de la force publique (délit prévu et puni par les articles 222 et 226 du code pénal) outrage envers les ambassadeurs ou autres agents diplomatiques (délit prévu et puni par l’article 92 de la loi n° 97-010 du 20/08/1997) y compris, Offense envers le Chef de l’Etat (délit prévu et puni par les articles 78 et 81 de la loi n° 97-010 du 20/08/1997), offense envers les Chefs d’Etat ou de gouvernement étrangers (délit prévu et puni par l’article 91 de la loi n° 97-010 du 20/08/1997).

Il s’en suit donc que le délit d’« offense au Président de la République » n’est nullement un pouvoir exceptionnel que le législateur accorde au Président de la République pour réprimer tous ceux qui le critiquent mais un privilège que la loi lui accorde pour le protéger dans ses fonctions de Chef de l’Etat. C’est pourquoi depuis l’introduction de ce délit dans notre droit positif par la loi 97-010 du 20 août 1997 portant libéralisation de l’espace audiovisuel et dispositions pénales spéciales relatives aux délits en matière de presse et de communication audiovisuelle en République du Bénin, les différents Présidents de la République qui se sont succédé à la tête de notre Etat le Bénin ne l’ont presque jamais utilisé malgré toutes les attaques  dont ils avaient fait l’objet au cours de leur mandat.

En France, l’ambiguïté qui entoure le délit d’offense au Président est illustrée par l’utilisation pénale très fluctuante qui en a été faite depuis sa création. L’essentiel des poursuites pour offense ont été engagées au début de la Ve République par le Général de Gaulle dans un contexte complètement révolu aujourd’hui, où la vie du chef de l’État avait été menacée à plusieurs reprises. Hormis cette période troublée, l’utilisation de cette incrimination est restée extrêmement marginale et arbitraire, ce qui traduit à la fois sa faible utilité et justification juridique. Elle n’a ainsi été utilisé que 6 fois en 59 ans sous la IIIe République et n’a entraîné aucune poursuite sous les présidences successives de MM. Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac qui ont refusé d’y recourir.

Origine de cette infraction :

Réintroduit en France par la troisième République et régie par les articles 23, 26, 36 et 37 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, le délit  d’offense au Chef de l’Etat encore appelé dans le droit positif béninois offense au Président de la République est l’un des délits les plus controversés et critiqués dans les Etats démocratiques modernes. En effet, ce délit est une transposition dans le droit républicain du « crime de lèse-majesté » des anciens régimes totalitaires (régime politique non démocratique dans lequel les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire sont concentrés entre les mains d’un nombre restreint de dirigeants qui subordonnent les droits de la personne humaine à la raison d’État).

Nous savons que le « crime de lèse-majesté est une notion juridique mal définie. Il a évolué dans le temps, recouvrant différentes qualifications juridiques notamment les atteintes au souverain quel qu’il soit et aux signes de sa majesté (objets, décisions, personnes y compris leurs représentants, etc.). Dès lors, l’on peut s’accorder  sur les critiques qu’a suscités le délit d’offense au Président de la République dans une République qui n’a pas à sa tête un roi, ni un demi-Dieu ni aussi un Chef de clan,  mais un citoyen élu  au suffrage universel direct. Selon les grands auteurs tels que Montesquieu et Beccaria  pour ne citer que ceux-là,  le crime de lèse-majesté qui fonde le délit « offense au Président de la République » est injustifié d’une part, en raison de la contestation de toute notion de divinité sur terre, à une époque où la lèse-majesté était explicitement liée à la religion. Et d’autre part, l’on considère que la répression de ce crime était la porte ouverte à tous les arbitraires, en raison du flou inhérent à sa définition, à sa procédure hors du droit commun (parfois même absente), et en l’absence de limite dans les châtiments possibles.

C’est dans cette optique que ce délit « offense au Chef de l’Etat » a fait l’objet de grandes reformes allant de sa dépénalisation vers une abrogation pure et simple. Il n’est donc pas juste d’évoquer  les dernières jurisprudences française sur ce délit sans ajouter  et même  préciser que  la loi  française du 15 juin 2000 a supprimé en la matière, les peines d’emprisonnement pour en garder à l’instant qu’une  amende de: 45 734,71 €.

N’est-ce pas aussi important d’affirmer que lorsque, l’on fait recours aux documents  DALLOZ, le délit d’offense à chef d’État étranger a été déjà supprimé  en France par l’article 52 de la loi Perben II du 9 mars 2004, suite à une condamnation de la France par un arrêt du 25 juin 2002 devant la Cour européenne des droits de l’homme (affaire Colombani et autres contre France). La 17e Chambre correctionnelle de Paris avait déjà déclaré ce délit contraire à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme défendant le droit à la liberté d’expression, constatant par conséquent sa désuétude, et déboutant les chefs d’État Idriss Déby, Denis Sassou Nguesso et Omar Bongo, à l’occasion de la sortie du livre Noir silence. Qui arrêtera la Françafrique ? (F.-X. Verschave, les Arènes, 2000).

Cas du Bénin

Les articles 78 et 81 de la loi n° 97-010 du 20 Août 1997 portant libéralisation de l’Espace Audiovisuel et dispositions pénales spéciales relatives aux délits en matière de presse et de communication audiovisuelle en République du Bénin disposent que « Seront punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par les discours, cris, ou menaces proférées dans les lieux ou réunions publics, soit par écrits, des imprimés vendus ou distribués, mis en vente ou exposés  dans les lieux ou réunions, soit par les placards, affiches , dessins, gravures, peintures, emblèmes exposés au regard du public, soit par tous les moyens modernes de communication( diffusion d’images, montage radio etc…) auront directement provoqué l’auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d’effet.

Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation n’aura été suivie que d’une tentative».

«Toute offense par les moyens énoncés à l’article 78 à la personne du Président de la République est punie d’un emprisonnement de un (1) an à cinq (5) ans et d’une amende de un million (1. 000 000) à dix (10.000 000) millions de francs »

La lecture combinée des deux articles montrent clairement que la qualification de « crime ou délit » relève du juge et non du Chef de l’Etat. Il est donc clair que le Président de la République peut qualifier une intervention d’offense et que le juge ne le suive pas. C’est le cas  constaté en France le 28 janvier 2010. En effet, à l’invitation d’un mystérieux Fernand Buron prétendant être le « pov’con » du salon de l’Agriculture, dix personnes se retrouvent devant l’Élysée pour célébrer l’anniversaire du président SARKOZY. L’un d’eux, Jean-Jacques REBOUX, brandit une pancarte CASSE-TOI POV’CON ! et une autre SARKOZY JE TE VOIS TROP. L’un est interpellé pour outrage au Président de la République. Mais le magistrat du parquet qui n’est même pas un juge du siège (inamovible et indépendant) classe l’affaire en août 2010, estimant que « « l’examen de la procédure n’a pas permis de caractériser suffisamment l’infraction ». Il faut donc retenir que ce n’est pas parce que le Président de la République a dit qu’on l’a offensé que le juge est tenu de qualifier l’infraction comme telle.

Dans la continuité de l’étude de cette infraction, il avait été dit que le Président de la République n’est pas l’auteur de la poursuite et ne saurait l’arrêter puisque l’action n’est faite que par le biais du parquet. Cette information portée à la connaissance du public béninois vient en contradiction de l’article 102. 1 de la loi la loi n° 97-010 du 20 Août 1997 portant libéralisation de l’Espace Audiovisuel et dispositions pénales spéciales relatives aux délits en matière de presse et de communication audiovisuelle en République du Bénin. En effet, il est pourtant clair dans la loi que « dans les cas prévus aux articles 81 (offense au Président de la République), 83 (atteinte à l’honneur à personne), 91 (offense envers les Chefs d’Etat et chef de gouvernement étrangers), 92 (outrage public envers les ambassadeurs…) de la présente loi, la poursuite aura lieu sur demande des personnes offensées, adressées au ministère de la justice. Même, si la loi accorde au parquet de se  saisir des dossiers et d’engager la poursuite, dans le cas spécifique de la loi 97-010 du 20 août 1997, la poursuite aura bel et bien lieu  sur demande des personnes indiquées dans les articles 81, 83, 91 et 92. C’est pourtant, ce que la loi béninoise exige, même si la possibilité d’une citation directe du parquet peut être envisageable. Le président de la République est bel et bien impliqué dans cette procédure si l’on sait aussi que le parquet a comme autorité de tutelle le Ministre de la justice.

Est-il encore besoin de préciser que dans la loi n° 97-010 du 20 Août 1997, le législateur a été sans équivoque en prévoyant à l’article 107 que « la détention préventive en matière de presse est interdite ». Etant entendu que le délit « offense au Président de la République » est contenue dans la loi n° 97-010 du 20 Août 1997 portant libéralisation de l’Espace Audiovisuel et dispositions pénales spéciales relatives aux délits en matière de presse et de communication audiovisuelle en République du Bénin, il n’est donc pas acceptable d’affirmer que l’auteur de ce délit peut faire l’objet d’une détention préventive (arrestation aussitôt après l’émission…)

En tout cas, le délit d’offense au Président de la République est en désuétude dans beaucoup de pays comme la France. C’est ce qui a amené le sénateur Jean-Luc MÉLENCHON à déposer le 19 novembre 2008, une proposition de loi visant à son abrogation.

Pendant que d’autres que nous imitons cherchent à sortir cette infraction de leur droit positif, évitons de dire de cette infraction ce qu’elle n’est pas. Il y va de l’intérêt et la sauvegarde de l’Etat de droit en construction au Bénin.

Serge PRINCE AGBODJAN
Juriste

 

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