La Haute Cour de Justice: La controverse au soutien du projet d’une révision opportuniste de la constitution de 1990?

Nous avions été, nous sommes encore, de ces citoyens béninois, qui ont affirmé et continuent de soutenir que l’institutionnalisation constitutionnelle d’une Haute Cour de justice au Benin reste du domaine d’un machin.

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Pour autant, loin de nous une quelconque autorisation téméraire pour jeter l’anathème sur une institution de la République, dont la noble finalité double est, d’une part de sécuriser le titulaire de la haute fonction étatique, ainsi que les membres de son gouvernement dans/ou à l’occasion de l’exercice de leurs missions nationales, d’autre part, la création de cette juridiction participe de la légitime clairvoyance du constituant béninois du renouveau démocratique, de prévenir toute déstabilisation du régime en place au moyen de la mise en œuvre de la responsabilité pénale du Président de la République en fonction, ou le cas échéant à l’occasion de celle d’un ou des membres  de son gouvernement.

Loin s’en faut encore, une outrecuidance de notre part de conclure à la volonté du constituant béninois  de 1990, d’instituer une juridiction, dont il s’est assuré à l’avance de son caractère inopérant, ou de sa nature illustre. C’est pourquoi, en dépit de notre opinion négative, nous nous démarquons de tous ceux, qui aujourd’hui clament la nécessité ou proposent une relecture constitutionnelle de ses dispositions pour la rendre fonctionnelle. De ce point de vue, il est dans tous les cas inadmissible, le blocage observé depuis plusieurs mandatures de cette haute juridiction dans notre pays. En vérité le ballet devenu légendaire entre la représentation nationale et l’institution relève plus des calculs politiciens, que des difficultés d’application des dispositions de la loi fondamentale  ou de celles de la loi organique. Autrement dit, il n’est pas garanti comme il est déjà envisagé par ailleurs, que les corrections proposées puissent être le remède.

Du reste, le non fonctionnement juridictionnel de la Haute Cour de Justice s’apparente bien à un déni de justice, s’il n’est pas une violation des libertés publiques. En ce sens que l’inaction juridictionnelle  de cette haute cour  prive le citoyen, fut-il président de la République, de la jouissance de la garantie d’une procédure pénale loyale et équitable. Il s’avère que le contexte actuel enfle les supputations et les rumeurs sur la moralité et la gestion de nos autorités dont l’honneur et la dignité auraient pu être lavés à travers la tenue d’un procès régulier.

C’est vrai que le péché du constituant de 1990 réside, faut-il l’avouer dans son copiage inadapté des mécanismes institutionnels de son homologue français de 1958, dans le contexte de la restauration de la démocratie libérale sur fond, entres autres, de la moralisation de la vie publique. Il fallait faire en sorte que soit rétablie la vertu dans la gestion des affaires publiques. Par conséquent, la responsabilité pénale du chef de l’exécutif et des ministres serait désormais effective dans l’Etat de droit en essor au Benin.  Or, telle responsabilité dans sa mise en œuvre n’est pas souvent sans innerver la responsabilité politique. Dans ces conditions une juridiction et une procédure dérogatoires du droit commun sont prévues pour répondre à la spécificité de cette matière. Pour le moins, la reprise inadaptée de la solution française a été la source de l’importation au Benin de leurs débats qui embrouillent la réalité des faits et sert de substrat aux propositions d’une révision opportuniste de notre constitution  de 1990. Somme toute, l’histoire nous renseigne que les débats menés par les Français ont abouti à un processus de mutations ou transformations institutionnelles de la Haute Cour de Justice par suite de réformes de l’institution, consécutives à des révisions constitutionnelles, dont celle du 23 février 2007. Au bout de ces révisions, il est parlé successivement de la Haute Cour de la République, et de la Haute Cour, en lieu et place de Haute Cour de Justice. Sans nous encombrer de détails académiques par trop savants, retenons que ces changements de dénominations font suite à un processus réformateur aussi bien du statut pénal du Président de la République et de l’organe chargé de le juger, que de la qualification des infractions et de la procédure. A cet égard et à titre illustratif, l’infraction de ‘’haute trahison’’ au contenu imprécis, ou de contour parfois plus politique que pénal a disparu au profit de celle du ‘’manquement (du Président) à ses devoirs manifestement incompatible avec la poursuite de son mandat’’. De ce point de vue, le constituant français s’inspirant du système américain de mise en œuvre de la responsabilité pénale du chef de l’exécutif des USA, a rendu le parlement compétent pour l’appréciation dudit manquement. Ainsi, le parlement formant la Haute Cour, et non plus la Haute cour de Justice, appréciera à la fois l’acte et sa portée, et/ou le comportement du Chef de l’Etat. En revanche, cette formation amenée à se prononcer sur les conséquences politiques des actes, faits ou comportements reprochés au Président perd son statut de juridiction pénale.

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Telle compétence revient dorénavant au juge du droit commun. Il va sans dire que des procédures appropriées sont prescrites à cet effet. C’est également au regard du processus réformateur évoqué plus haut qu’en 1993 déjà, la loi constitutionnelle n°93-953 du 27 juillet 1993 a institué une juridiction pénale spéciale en vue de juger les ministres après plusieurs renvois infructueux en raison de la complexité du dispositif en vigueur. Ceci  étant, il s’est opéré la distraction de l’examen du cas des membres du gouvernement par la Haute Cour de Justice, et du coup la dissociation du statut pénal du Chef de l’Etat et de celui des membres de l’exécutif, d’appréhension très complexe sous l’empire de ladite Haute Cour de Justice.

Ce rappel, à l’analyse, permet de montrer que l’institutionnalisation de la Haute Cour de Justice comme prévue par la constitution de 1990,  en dépit de ses tares originelles ne pouvait prospérer sous l’empire d’un régime de type présidentiel. Autrement dit, elle répond à l’évidence, davantage à tradition parlementaire suffisamment souple, aux révisions de la loi fondamentale sans engendrer une instabilité institutionnelle.

    A tout le moins, aucun replâtrage ne peut sauver l’inadaptation congénitale de cette institution dans le paysage constitutionnel béninois. Il y a tout simplement lieu, le moment venu, de la supprimer courageusement. En remplacement, il s’agira d’organiser de façon républicaine l’immunité du Président de la République, Chef de l’Etat, Chef du Gouvernement, dés son entrée en fonction et pendant la durée de son mandat d’une part; ainsi que celle des ministres d’autre part. Etant constitutionnellement sous l’empire d’un régime de séparation absolue des pouvoirs, dans lequel il est difficile, voire quasi impossible, d’engager la responsabilité politique du chef de l’exécutif et de son gouvernement, il conviendrait de ne retenir que la responsabilité pénale du chef et des membres de l’exécutif sous les définitions des infractions et de la procédure régies par le  droit commun. Cette gamme  sera étendue aux violations des droits et libertés fondamentaux comme prévus par la constitution et les traités et accords internationaux en vigueur ou dûment ratifiés. En conséquence, il sera prévu une juridiction spéciale ad’hoc à l’instar d’une cour d’assises spéciale, dont la composition sera déterminée par une loi organique. Sauf les cas de forfaitures, d’atteintes graves à leurs charges, aux bonnes œuvres et à la moralité, au cours et à l’occasion de leurs missions, où il sera requis la levée de leur immunité, le cas échéant, le chef et les membres de l’exécutif ne feront l’objet de poursuites qu’après un délai raisonnable, suivant la fin de leur mandat ou mission, pour les actes, faits et comportements fautifs à eux reprochés avant, au cours ou à l’occasion de l’exercice du mandat ou de la mission.

Mais, en attendant, il est impérieux de respecter les dispositions de la constitution, dont les difficultés ne sont pas insurmontables. Par conséquent, il appartient à chaque acteur de jouer pleinement sa partition dans l’intérêt supérieur de la nation. De toutes les façons, les dispositions actuelles n’empêchent pas les jugements des autorités gouvernementales. De plus, elles n’impliquent point une révision immédiate de notre loi fondamentale pour une quelconque accélération de la procédure. Du reste les Béninois savent que la tare de notre justice en général consiste en sa lenteur souvent injustifiée de la procédure. Pour ce qui retient notre attention, l’essentiel pour chacun des acteurs du processus est d’être déterminé  pour le respect de la constitution et celui des charges publiques. Chacun au nom de la cause nationale doit se souvenir de son serment. C’est pourquoi, nous avons la faiblesse de croire que la majorité parlementaire requise concourait à une saisine hasardeuse de la juridiction. S’il est vrai que  celle-ci peut favoriser les tractations politiciennes, il serait par contre difficile pour la représentation nationale de s’en servir pour exposer à l’opinion nationale et internationale, qu’elle constitue la citadelle de l’impunité, le siège de l’injustice et du non droit et le temple de la corruption. Dés lors, il est souhaitable que la saisine en vue de la poursuite soit bien motivée et qu’ensuite l’instruction et le rapport y afférent soient professionnels, techniques, non équivoques. Il s’agit de préalables indispensables pour éviter tout procès d’intention au bénéfice d’un procès juste, loyal, conduit sereinement, de manière impartiale par notre Haute Cour de Justice.

Par le Prof-Assistant  Oladé O. Moïse LALEYE,
Professeur de Droit Public et de Science Politique. Fadesp/UAC BENIN

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