Tentation monarchique et fragilité des Institutions

L’actualité béninoise a été marquée, et l’est peut-être encore, par la « tentative d’empoisonnement du Chef de l’Etat ». La suite des évènements est fortement attendue par tous, dans un climat fortement empreint de doute et de défiance.

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De nombreuses questions restent posées  autour du dossier : elles l’ont été par la presse béninoise, les organisations politiques, celles de la société civile, et même les organisations religieuses. Pour l’instant, ces questions qui sont parfois troublantes n’ont pas encore trouvé de réponses transparentes et crédibles ; peut-être la justice nous les fournira-t-elle prochainement ? La méfiance (légitime ?) permanente  des béninois envers les structures judiciaires de leur pays est légendaire, et on comprend ce sentiment lorsqu’on se réfère à ses propres expériences.

Il n’est pas dans notre intention de disséquer les arguments et d’analyser les ‘’preuves’’ présentées à grand renfort médiatique, d’agitations et de manifestations religieuses organisées et financées par les nouveaux riches.

Nous nous posons toutefois une première question : s’agissait-il du début d’un coup d’état ? Il nous est en effet difficile de nous arrêter aux explications embrouillées des personnes chargées du dossier et de conclure que toute cette entreprise d’empoisonnement ne visait pas le pouvoir d’Etat. Curieusement et pour cause, aucune allusion n’a été faite à la suite attendue de la tentative des amis d’hier devenus des empoisonneurs d’aujourd’hui,  ni par les pro ni par les anti, à moins que ce ne soit pour ces derniers  par crainte de l’organisme aujourd’hui perçu par nombre de citoyens, dont moi même, comme une structure gouvernementale de censure et de terrorisme contre la liberté de pensée et d’opinion ; opinion que je garderai jusqu’au moment où des actes me prouvent le contraire. Le souvenir de la ‘’Direction de l’intérieur’’ sous le règne d’Emile Derlin ZINSOU, dit Lolo, puis du PRPB reste vivace dans ma mémoire pour que la comparaison soit saugrenue. On ne peut attenter à la vie du Chef de l’Etat sans attenter à la vie des institutions de l’Etat lui-même. C’est, ce me semble-t-il, de la simple logique. Alors pourquoi évite-t-on de poursuivre le raisonnement logique ? La copie empruntée au pays voisin dans ses conflits politico-familiaux semble évidente. Il faut y ajouter ‘’l’intelligence’’ béninoise pour comprendre l’illogisme du dossier tel qu’il nous est présenté. En la circonstance, nous serions en présence d’une tentative de ‘’coup d’état’’.

Notre deuxième question serait : la démocratie béninoise et ses institutions constitutionnelles auraient-elles survécue à la disparition par assassinat du Chef de l’Etat et continué de fonctionner? Les auteurs présumés auraient ainsi misé sur les retournements de vestes dont nous sommes coutumiers aux changements du ‘’Monarque’’ du moment. Un tel calcul est risqué sans pour autant être absurde. C’est le Président des Etats-Unis d’Amérique qui affirmait que l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, ce qu’il lui faut, ce sont des institutions stables et démocratiques, j’ajouterai composées d’hommes d’honneur et de dignité. En Afrique ce n’est malheureusement pas le cas et pour longtemps encore. Les réalités du continent, et du Bénin, n’incitent pas à la rêverie en la circonstance. Notre expérience semble même démontrer que ce sont ceux qui, dans un passé pas si  lointain que cela, ont donné l’impression d’être attachés à des valeurs morales et à une forme de démocratie avancée, sont les premiers à servir les causes antidémocratiques. Sans état d’âme et avec zèle. Il y a sans doute une lecture de ces mutations déconcertantes et paralysantes pour leurs ‘’amis’’ d’hier. La fragilité de la ‘’démocratie béninoise’’ crève l’œil.

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L’obstination d’un individu à contrôler les secteurs principaux de l’économie béninoise ne saurait expliquer une tentative de coup d’état. Se contenter d’une telle explication est une preuve de naïveté ou, de manière plus probable, d’une myopie volontaire, douteuse  et donc coupable.  Les faits de l’histoire africaine nous enseignent que les autocraties néocoloniales ont généré de telles tentatives de prise du pouvoir par la violence dont les instigateurs sont justement ceux qui ont profité des faveurs du régime en place. Ces changements interviennent d’ailleurs avec la complicité des anciennes puissances coloniales dont les intérêts se trouvent être menacés par les dérives et la mauvaise gouvernance des hommes en qui ils avaient placé leur confiance : ce système est celui de la France-Afrique, hypocritement décrié par moments. Bozizé n’a-t-il pas déclaré que « La Centre Afrique » a été abandonnée à elle-même face à une rébellion interne ! Les causes principales  d’une telle tentative de changement par la violence, sans l’implication des masses populaires sur des revendications précises, ne peuvent relever, de notre point de vue, que de la nature du pouvoir chez nous. Car recourir ou tenter de recourir, aujourd’hui,  à un tel mode ce changement est caractéristique d’un Etat où la gouvernance, mode de gestion du pays, incite une certaine classe à recourir à la violence pour défendre des intérêts particuliers, des intérêts d’une catégorie de citoyens qui ne trouvent plus leur compte dans le système qu’ils ont voulu et  contribué à installer, ou ceux de leurs alliés étrangers. Au cœur de ces dérives « se situe la double question de la démocratie et de la gouvernance en tant qu’elles concernent la légitimité des pouvoirs en place, des modes de solution des contradictions qui affectent les sociétés, les conditions de gestion et de distribution des ressources, les rapports avec l’environnement, les pays voisins et les puissances étrangères, etc.. ». Le mode d’organisation du pouvoir politique, la nature des institutions, des règles et des pratiques en cours dans le système béninois permettent-ils vraiment l’expression ultime de la volonté du peuple ? Le recours à des élections et aux résultats ‘’sortis des urnes’’ fortement conditionnés par la corruption électorale ne prouve rien. Ici, chez nous, les plus hauts responsables de l’Etat peuvent qualifier les institutions de contre pouvoir de corrompues ;  l’Assemblée Nationale est considérée par de nombreux béninois comme une institution de résonnance de l’Exécutif ; la Cour Constitutionnelle a perdu toute sa crédibilité au point qu’on sait à l’avance le sens des décisions qu’elle prendra sur les question d’exercice du pouvoir ; la Haute Autorité de l’Audio visuelle et de la Communication est vue comme une structure de censure et de terrorisme contre la pensée et l’opinion libre ;  la Justice est décriée par tous, même les autorités de tutelle.

Tentation Monarchique et fragilite

Chaque jour qui passe nous donne l’occasion de découvrir des actes et des déclarations qui frisent le culte du de la personnalité du Chef du moment : intermédiaire par lequel Dieu bénit le Bénin (et avec son épouse), grand travailleur ‘’américain’’ qui enseigne à nos paysans à bêcher, partisan de la paix avec sa colombe… Il peut s’agir de symbolismes mal conçus par le communicateur de service dans la mesure où ils sont incompréhensibles à ceux auxquels ils sont sensés s’adresser. Certaines images revêtent une puérilité insultante pour notre Chef de l’Etat ; on se demande même s’il les a réellement approuvées ou si c’est comme ces décisions qu’on lui fait signer en ‘’abusant de sa confiance’’.

Ainsi se présente toujours les avatars de la centralisation à outrance du pouvoir de décision et de celui de la communication dans les mains d’une seule et unique personne.

La tentation monarchique n’est pas bien loin ! Et c’est cela qui fait justement la fragilité de l’Etat.

Le ver est peut être tout simplement dans le fruit, dans la conception de la structure démocratique du pouvoir.

Est-il en effet sans importance de négliger la tendance des détendeurs du pouvoir en Afrique à  chercher à le concentrer dans leurs mains ?

On peut convenir que, au Bénin comme partout en Afrique francophone, « qu’elles soient ouvertes ou larvées les crises politiques semblent pour la plupart avoir la même racine : la nature de l’Etat africain »

Devrait donc être interrogée la forme de l’Etat héritée de nos constitutions des années 90.

La profondeur des liens entre la nature néocoloniale des Etats africains francophones et le caractère dictatorial de leurs régimes rendaient, pendant la guerre froide, à toute revendication de démocratisation qui débouchait sur une critique de la domination néocoloniale, un caractère révolutionnaire inacceptable pour les puissances de tutelle. Mais le démantèlement des régimes socialistes européens a changé la donne puisqu’il a pour conséquence de révéler les contradictions internes entres les puissances occidentales. Les revendications de démocratie ont pu alors s’exprimer avec un certain soutien de ces puissances et entrainer des changements notables ; mais elles étaient conduites par une catégorie sociale déjà favorisée, pour laquelle les populations servaient ‘’de faire valoir’’ et qui n’avait de véritables repères que dans les pratiques françaises et les dogmes des constitutions des républiques françaises. La tentation à la copie fut naturelle et même inconsciente, les conditionnalités aidant des prétendus partenaires au développement. Du fait que son instauration ne soit pas le fruit d’une action collective organisée, en relation avec la mobilisation des populations, la démocratie n’est plus qu’une façade, une manœuvre pour dissimuler la domination intérieure et extérieure, pour satisfaire formellement les exigences des institutions et parrains étrangers, sans modifier le vieux réflexe autoritaire des systèmes politiques ‘’défunts ‘’.  Nos constituants, sans doute pour répondre à la demande démocratique ‘’de la communauté internationale’’ ne se sont pas gênés pour copier le modèle du droit constitutionnel occidental et notamment européen, avec une tendance marquée de renforcement des pouvoirs du Chef de l’Etat et une diminution en conséquence des rôles du gouvernement, mais surtout du Parlement, du pouvoir judiciaire des partis politiques.

Il est faux de prétendre que ces derniers animent la vie politique et concourent à l’expression du suffrage. Entre cette affirmation constitutionnelle et la réalité il y a un fossé béant comme sur beaucoup d’autres affirmations de la Loi fondamentale.

Aujourd’hui, tout individu fortuné, dont l’enrichissement n’est pas souvent licite, dépourvu d’une équipe constituée sur la base de choix politiques explicites, peut se lever et entreprendre de s’entourer de courtisans en vue de se présenter aux élections présidentielles. La faiblesse des portis politiques, leur confinement voulu dans des aires géographiques limitées, rend improbable tout succès de leurs candidats et donne toutes leurs chances aux ‘’aventuriers’’ qui prennent notre pays comme cobaye.

Ces erreurs de base expliquent en très grande partie la tentation au recours à des formes violentes de revendication de démocratie et de transparence. Nous ne serons pas au bout des conspirations réelles ou fabriquées de toute pièce tant que la notion de partage du pouvoir sera absente de nos réflexions ; un partage conçu et codifié en fonction de nous-mêmes et de nos savoirs faire. Le pouvoir en place n’en est que plus fragile puisqu’il repose sur la volonté d’un homme tout puissant pour lequel il faut appeler la bénédiction divine, qu’on  n’hésite pas  à interpeller à propos de tout et de rien, un homme qui se plait dans ce rôle d’essence monarchique !

Nos cadres non décomplexés y prennent une grande part de responsabilité.

Des réformes sont par conséquent indispensables pour enraciner une authentique gouvernance démocratique chez nous :

• Reformer profondément et mieux articuler les institutions du pouvoir

• Repenser la démarche de définition des finalités de même que les priorités des objectifs de l’action des pouvoirs publics

• S’inspirer des nos habitudes et de nos cultures endogènes dans la gestion de la cité.

La solution au mal révélé par ce qu’on l’on a nommé « tentative d’empoisonnement du Chef de l’Etat » ne se trouve pas dans la fuite en avant qui est, en définitive, suicidaire pour notre vivre ensemble. Il ne se trouve pas non plus dans une agitation fébrile entretenue pour défendre ou soutenir un homme dont les agissements antérieurs ont violé l’éthique démocratique.

Elle devrait être trouvée dans une remise en cause globale de la conception étriquée et servile de notre système démocratique.

Par Abiodun Touré
Pour Conscience Patriotique et Démocratie

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