Les télénovélas face au livre

Faites votre choix : une heure à regarder un feuilleton à la télévision ou une heure à lire un livre ? C'est à ce choix qu'étaient confrontés les jeunes gens et les jeunes filles qui étaient à l'Institut français, le samedi 23 février 2013. Le club de lecture de l'Institut, en partenariat avec l'Association Aiyé Culture, nous a invité à arbitrer un bien singulier duel.

Du feuilleton télévisuel et du livre lequel des deux supports justifie-t-il de la meilleure cote d'amour auprès des jeunes ?

Dans le Bénin d'aujourd'hui, à voir les choses comme elles vont, il n'y a pas match, comme on dit du côté de la lagune Ebrié à Abidjan. La palme revient au feuilleton télévisuel. Il s'agit de ces productions audiovisuelles qui nous viennent généralement des pays latino-américains, Brésil et Mexique notamment. Les télénovelas, comme on les appelle, font un tabac auprès de nos téléspectateurs. Ils suscitent l'engouement universel. Ils confondent toutes les couches d'âge. Aux dires de certains, c'est "l'école du soir de l'immense majorité des Béninois". Dans les centres urbains notamment.

Par rapport à quoi, le livre fait piètre figure. Ce qui traduit une désaffection de plus en plus marquée pour cet outil traditionnel du savoir. Tout se passe comme si le livre, sous la forme d'un volume imprimé, fait de moins en moins recette. On lui préfère les supports numérisés et de plus en plus sophistiqués que charrient les technologies de l'information et de la communication (TIC). Pour emprunter une image, les " télénovélas", qui ont pris d'assaut toutes nos chaînes de télévisions, projetteraient le monde nouveau dans lequel nous entrons, tandis que le livre, dans sa forme traditionnelle, ne serait plus que le prototype-témoin d'un monde passé et dépassé.

Si l'on devait voir les choses ainsi, il faudrait craindre que nous n'ayons qu'une lecture linéaire, sommaire et réductrice   d'une réalité autrement plus comlexe. Dans les pays qui nous fournissent en télénovelas, Brésil et Mexique notamment, l'engouement à consommer ceux-ci n'a pas réduit l'intérêt pour le livre. Le plaisir à suivre les feuilletons à la télévision n'a pas attiédi la rage de lire.

Pourquoi en est-il autrement dans nos pays ? Parce que nous consommons des télénovélas que nous ne produisons pas. Parce que nous tardons à nous donner une politique pertinente du livre et de la lecture. Il y a là une double défaillance. Elle nous oblige à marcher sur deux béquilles. Il est entendu que consommer ce qu'on ne produit pas n'est jamais sans conséquences. D'une part, les précieuses devises que nous mobilisons pour nous approvisionner en feuilletons aident à créer des emplois dans les pays riches-fournisseurs. D'autre part, les images que nous achetons à grands frais ne sont pas neutres. Elles n'influencent pas peu nos manières d'être, de voir et de nous comporter. Nous ne sommes pas loin d'une entreprise d'aliénation et d'extraversion culturelle. Quant au livre, il est cher, il est rare. Il ne bénéficie pas d'une politique conséquente de promotion. Le comble : la plupart des cadres de nos pays, payés pour lire, ont divorcé, depuis la fin de leurs études, d'avec le livre.

Sachons raison garder : il n'est pas juste d'opposer télénovélas et livre. Nous avons affaire à des produits culturels qu'on sait intelligemment développer ailleurs dans le cadre de véritables industries culturelles. Ils contribuent à créer des milliers d'emplois. Ils génèrent des milliards de nos francs. Pourquoi donc l'argent que nous mobilisons au profit des productions audiovisuelles étrangères ne nous sert-il pas à soutenir, sur place, l'effort de création de nos créateurs ? Et dire que, nous disposons d'un gisement inépuisable de matières premières à travers notre patrimoine culturel. Il n'attend que d'être exploité à bon escient. Comme on le voit, tout nous est donné. A nous  de donner le meilleur de nous-mêmes pour nous auto-suffire.

Ce qui est vrai pour les productions audiovisuelles l'est autant pour la production du livre. Ce produit culturel est à la confluence d'un large éventail d'actions de professionnels : éditeurs, imprimeurs, graphistes, libraires, réseau de bibliothécaires, traducteurs,, critiques littéraires… Les télénovelas et le livre, comme des produits culturels, ne s'opposent pas. Ils se complètent comme nos précieux auxiliaires, dans l'ordre du savoir et de la connaissance, de la distraction et de la découverte. Reste à inventer une pédagogique d'approche qui prend en compte la spécificité de ces deux produits quant à leur usage respectif. La bonne nouvelle, c'est qu'on peut honorer l'un, sans cesser de valoriser l'autre.

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