Mesdames, Messieurs les parlementaires, cher M. le député Chabi SIKA, Il ne m’a pas été facile de résister à l’envie de sortir de mon mutisme pour apporter ma contribution personnelle mais citoyenne au débat que vous allez effectuer dans les prochains jours,
sur la proposition de loi portant code électoral béninois que j’appellerai volontiers « Loi Chabi SIKA » afin que rentre dans l’histoire parlementaire de notre démocratie, ceux et celles qui sont à l’origine d’un projet ou proposition de loi dans notre pays.
Deux (2) raisons peuvent légitimer mon intervention par le canal médiatique
(i) Vous êtes en train d’écrire une page de l’histoire de notre pays avec cette proposition de loi sur le code électoral après plus de vingt ans (20) de pratiques électorales sans un corpus juridique cohérent, stable dans le temps et la durée. Il faut alors faire partie du train de l’histoire en contribuant à la réflexion et au débat publics.
(ii) Auteur de l’essai sur « Le modèle béninois de gestion des élections, bilan et perspectives de la CENA », paru aux Editions Ibidun Africa et présenté le 14 novembre 2012 à l’Institut français de Cotonou par M. Guillaume Adouvi, je pense pouvoir vous apporter à travers cet ouvrage un faisceau d’éléments nécessaires à votre travail. Car sans chercher à me substituer à vous, cet essai complète certains aspects de votre proposition de lois et va même au delà de vos ambitions. Raison pour laquelle je vous invite tous, cher(e)s parlementaires toutes tendances confondues, à en faire votre livre de chevet.
Cette brève introduction effectuée, mon commentaire sur la proposition de loi portant code électoral en république du Bénin, se fera de façon interactive avec une alternance de commentaires, de questions pertinentes sur certains articles et des recommandations.
Portant essentiellement sur les textes et articles ayant un rapport à l’ouvrage, je vous saurais également gré
– d’une part, de ne pas me porter grief pour n’avoir pas disserter sur les 370 articles mais essentiellement sur quelques uns, laissant le solde à l’appréciation et au jugement des spécialistes des questions électorales comme M. Mathias Hounkpè, M. Laurent Okiki, M. Edgar Alia ou encore au meilleur spécialiste francophone du droit électoral le professeur Bernard Maligner,
– et d’autre part, de m’excuser de la contrainte que je vous impose, à aller jusqu’au bout de cet article qui s’adresse à chacun de vous.
Il en va de l’avenir du peuple que vous représentez…Soyez donc s’il vous plait, au rendez-vous de l’histoire.
I°) Quelques réflexions de fonds (nos commentaires et recommandations en italique)
Article 1er : Article 1er : Au sens du présent code, on entend par :
-Agence nationale de traitement : organe technique chargé de la gestion du fichier électoral national et de la liste électorale permanente informatisée
« Pourquoi, déléguer la responsabilité de la gestion du fichier électoral et de la lépi à une agence autre que l’institution qui est chargé de la gestion des élections ? Pourquoi ne pas mutualiser ce coût en laissant cette responsabilité à direction des systèmes d’information (encore appelée DSI) de la CENA qui sera ainsi créé et responsabilisée ? La DSI d’une CENA permanente et professionnalisée pourrait conduire efficacement les opérations de correction, d’audit et d’amélioration de la lépi de façon consensuelle et procéder aux révisions des données informatisées selon la périodicité définie.»
Article 2 : Les dispositions du présent livre concernent les règles générales applicables au référendum, aux élections du Président de la République, des membres de l’assemblée nationale, des membres des conseils communaux ou municipaux et des membres des Conseils de village ou de quartier de ville.
« Il a un peu plus de 20 ans, le Bénin a connu son printemps arabe en initiant les conférences nationales en Afrique. Si la CENA est la commission électorale nationale autonome telle que le dit son appellation, pourquoi est ce que le Bénin n’innove t’il pas à nouveau à déléguant à la CENA la responsabilité de l’organisation et de la gestion de toutes les élections qui ont lieu en république du Bénin, qu’elles soient politiques (président, députés, maire, conseillers municipaux, communaux etc.), professionnelles, syndicales ou corporatives (chambres de commerce, chambres consulaires, recteurs d’université, doyens de facultés etc.) ? Il n y a pas que des élections politiques dans la vie des citoyens béninois. Ou tout au moins, la CENA superviserait toutes ces élections car elle est habilitée et c’est son métier »
Article 3 : Le suffrage est universel, libre, direct, égal et secret. Les partis politiques concourent à l’expression du suffrage.
« Les partis politiques qui concourent à l’expression du suffrage universel devraient être officiellement déclarés au ministère et être en règle conformément aux lois de la république. Cela éviterait les générations spontanées de mouvements, regroupements et associations de gens et de machin qui naissent juste au moment des élections et qui disparaissent aussitôt après. Il est bien précisé que ce sont les partis politiques et non ces espèces encombrantes qui concourent à l’expression du suffrage universel. Il faut assainir l’espace politique ou faire semblant de changer les choses »
Article 4 : Dans chaque village ou quartier de ville il est créé un ou plusieurs centre(s) de vote.
Un centre de vote est déterminé par son village ou son quartier de ville d’appartenance, sa dénomination, son code d’identification et ses coordonnées GPS.
« Pourquoi ne pas préciser exactement ce qui fait office de centre de vote ? Pourquoi ne pas faire comme dans toutes les grandes démocraties où les centres de vote sont avant tout des lieux publics comme les écoles primaires, les collèges etc. ? Ces potentiels centres de vote ont déjà une dénomination, un code d’identification et des coordonnées GPS. Ensuite faire le point de tous les centres de votes avant de savoir s’il y a lieu d’en créer d’autres »
Article 5 : L’exactitude et la pertinence des données électorales doivent être rigoureusement vérifiées par toute autorité intervenant dans le processus électoral.
« Quelle est la nature juridique de cette autorité et l’étendue de ses responsabiltés ? Puisque les membres de la CENA sont des autorités, le gouvernement en est une comme la cour constitutionnelle ou encore le parlement, le CES. Pourquoi ne laisse t’on pas cette compétence à la CENA et juste rajouter dans cet article que toute autre autorité intervenant dans le processus électoral peut demander et obtenir la vérification de l’exactitude et de la pertinence des données électorales ? »
Les articles 6, 7, 8 et 9 qui traitent de la liste électorale ne stipulent nulle part qu’une liste électorale qu’elle soit une liste de poste de vote, ou de village ou encore de quartier doit être obligatoirement affichée dans le bureau de vote.
Article 12 : Les électeurs qui, postérieurement à la date à laquelle la liste des électeurs est arrêtée, font l’objet d’une condamnation ou d’une décision emportant dans leur chef soit l’exclusion des droits électoraux, soit la suspension, à la date de l’élection, de ces mêmes droits, sont pareillement rayés de la liste électorale permanente informatisée.
« Quel est le principe qui permet de reconnaître qu’un citoyen a été condamné et qui, automatiquement, perd son droit d’être sur la liste électorale ? Par quelle méthode un citoyen béninois vivant et résidant par exemple au Bénin et qui vient d’être condamné en Suisse donc hors du Bénin perd d’après cet article son droit d’être sur la liste électorale ? »
Article 15 : Ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale :
2- les individus condamnés pour crime ;
3- les individus condamnés à une peine d’emprisonnement avec ou sans sursis d’une durée égale ou supérieure à trois (03) mois assortie ou non d’amende pour vol, escroquerie, abus de confiance, détournement de derniers publics, faux et usage de faux, corruption et trafic d’influence ou attentats aux mœurs ou tous autres faits prévus par les dispositions du code pénal et constitutifs de délit ;
4- les individus qui sont en état de contumace ;
5- les faillis non réhabilités dont la faillite a été déclarée, soit par les tribunaux de droit commun, soit par des jugements rendus à l’étranger, mais exécutoires en République du Bénin ;
6- les individus privés du droit d’élire ou d’être éligibles par décision de justice ; « Le droit d’être inscrit sur une liste électorale est t’il indissociable du droit de vote ? On peut perdre sa qualité d’électeur suite à une peine privative de vos droits civiques. Mais perd t’on par conséquent le droit d’être inscrit sur une liste électorale ? »
Article 18 : Les élections sont gérées par un organe technique permanent dénommé Commission électorale nationale autonome (CENA).
« Au lieu d’être un organe technique comme stipulé à l’article 18, la CENA devrait être une autorité administrative autonome et indépendante non seulement des pouvoirs législatif et exécutif mais aussi de tous les autres pouvoirs et institutions. Puisque sa création en tant qu’autorité administrative indépendante est liée à la recherche d’une formule permettant d’isoler dans l’administration de l’État, un organe disposant d’une réelle autonomie par rapport au gouvernement, aux départements ministériels et au parlement pour l’exercice d’attributions concernant le domaine sensible des libertés publiques, en particulier des élections honnêtes, régulières et transparentes. Il ne faut pas perdre de vue que l’institution de la CENA se fonde donc sur les exigences de l’État de droit et de la démocratie pluraliste affirmées dans le préambule de la constitution du 11 décembre 1990. »
Article 19 : Le Gouvernement fixe par décret, le règlement financier de la Commission électorale nationale autonome.
« Pourquoi vouloir rendre une institution autonome financièrement et exiger encore que le Gouvernement fixe par décret, le règlement financier de la Commission électorale nationale autonome. Pourquoi ne fixe t’on pas ce règlement financier directement et dans le code électoral et dans la loi de finances de chaque année ? »
Article 20 à 38 : La Commission électorale nationale autonome est composée de dix sept (17) membres provenant de l’Assemblée nationale, du Gouvernement et des organisations de la société civile et répartis comme suit :
– Deux (2) ingénieurs statisticiens ;
– Deux (2) ingénieurs informaticiens;
– Quatre (4) juristes ;
– Deux (2) administrateurs des
finances ;
– Deux (2) sociologues ;
– Un (1) communicateur ;
– Quatre personnalités indépendantes de grande réputation professionnelle.
Ces membres doivent être des personnalités reconnues pour leur compétence, leur probité, leur impartialité, leur moralité, leur sens patriotique et justifier d’une expérience professionnelle avérée de quinze (15) ans au moins. La durée de leur mandat est de six (06) ans renouvelable une seule fois. Ils bénéficient d’une immunité fonctionnelle.
« L’analyse du mode de composition de la CENA revêt, à nos yeux, une importance capitale parce qu’il s’agit-là d’un problème complexe mais essentiel dont, de la résolution dépend en bonne partie, son efficacité, sa fiabilité et, partant, sa crédibilité. La CENA devrait être composée d’une grande majorité de membres non directement désignés par les politiciens car cette option présente objectivement les chances de réussite les plus sérieuses suivant les trois dimensions d’analyse retenues dans l’ouvrage à savoir :
* la première dimension représente le caractère «irréprochable» des élections autrement dit, libres, transparentes, justes, équitables, etc. ;
* la deuxième tient au degré de confiance placé par les citoyens en la CEN ;
* et la troisième dimension, enfin, a trait au degré de confiance des acteurs politiques en la CEN.
Une telle CEN offre des chances assez raisonnables d’organiser des élections propres lorsqu’on la compare à d’autres types de CEN, la CEN à majorité non politicienne présente aussi des chances assez grandes de rassurer les électeurs et peut, si la représentation des politiciens est suffisamment exhaustive, rassurer également les acteurs politiques. Par représentation exhaustive, nous entendons ici une représentation qui tienne compte non pas nécessairement de tous les acteurs politiques, mais de ceux qu’on peut considérer comme significatifs, i.e. suffisamment représentatifs des principales forces politiques, au moment de l’organisation des élections.
L’efficacité d’une institution étant avant tout tributaire de la qualité de ses animateurs, il faudrait attacher un soin particulier à la désignation des membres de la future CENA.
Il peut être retenu de recruter les membres de la future CENA parmi
– des juristes spécialistes ou avertis du droit électoral ;
– des ingénieurs statisticiens ;
– des ingénieurs informaticiens ;
– des démographes ;
– des communicateurs ;
– des gestionnaires ;
– des économistes ;
– des spécialistes de divers
domaines (historiens, sociologues,
démographes).
Notons cependant que s’il faut fortement valoriser l’expérience professionnelle en matière électorale ou la connaissance du droit électoral pour les futurs membres de la CENA, il serait aussi très utile de prendre comme futur membre de la nouvelle CENA des diplômés universitaires en administration et gestion des élections.
(Suite dans notre prochaine parution)
Gino ALAVO
« Le modèle béninois de gestion des élections, bilan et perspectives de la CENA »
Editions Ibidun Africa.
Chercheur Médicis Co. – Cotonou-Paris
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