Les informations qui nous sont parvenues de Tunis dans la matinée d’hier étaient peu rassurantes. Elles étaient plutôt choquantes. Et les événements qui ont marqué la journée dans le reste de la Tunisie étaient, elles, inquiétantes.
L’avocat Chokri Belaïd, leader du parti du Front populaire et figure de l’opposition tunisienne, a été tué par balles à 8h00 du matin à Tunis, d’après l’Afp, par deux jeunes qui viennent d’être identifiés par le Ministère de l’Intérieur. C’est un assassinat politique, d’un avocat-politique réputé très critique envers les islamistes, qui intervient d’ailleurs un peu plus de trois mois après la mort dans des conditions encore non élucidées de Lotfi Naguedh, un membre du parti Nida Tounes. Ce dernier est mort avoir été battu dans la foule à Tataouine après des affrontements entre ces partisans et les islamistes.
L’assassinat de Chokri Belaïd survient à un moment très délicat de la vie sociopolitique du pays qui traverse actuellement une transition menée par les islamistes de Ennahdha, et devant permettre au pays de retrouver entièrement la norme institutionnelle, depuis le départ de Ben Ali le 14 janvier 2011.
Les Tunisiens qui ont retrouvé le gout de la contestation avec le réveil du Jasmin, ont encore recouru à la rue pour manifester leur mécontentement. Spontanément, une bonne partie de ceux-là même qui ont porté Ennadha au Pouvoir, à l’issue des élections du 23 octobre 2011, un scrutin libre en Tunisie, depuis fort longtemps. Et la condamnation faite par Rached Ghannouchi, chef du parti islamiste Ennahdha, qui fustige «un bain de sang» et des « intentions de règlements de comptes » n’a pas été de nature à apaiser, ni la rage des manifestants qui ont pris pour cible les sièges du parti islamiste dans les autres localités du pays, ni la colère des internautes, encore moins l’indignation des partis politiques de l’opposition qui ont appelé à une grève générale.
La première révolution, celle du Jasmin, était venue par l’immolation d’un jeune diplômé exacerbée par l’opacité socio-économique et politique dans laquelle se trouvait la Tunisie de Ben Ali. La seconde viendra, sans doute, avec l’assassinat de Chokri Belaïd, leader de l’opposition politique laïc.
L’on n’est sans doute pas encore à l’engouement général et l’implication de toutes les couches socioprofessionnelles ayant suscité la chute du régime Ben Ali. Mais, les slogans hostiles au régime de Ben Ali, et qui ont marqué la révolution du Jasmin ont repris. Le serpent se mord-il la queue ? Les « à bas le régime », « dégage » qui ont mis fin à plusieurs décennies du règne militaro-sécuritaire de Ben Ali sont de retour.
L’impact de cet assassinat sur la transition est évident avec l’opposition qui a décidé de suspendre sa participation aux travaux de l’Assemblée Constituante. Les manifestations spontanées qui ont suivi l’assassinat de Chokri Belaïd sont sans doute une expression de la désillusion de la révolution chez les Tunisiens. Elles constituent aussi une mise en garde à l’endroit de la Troïka au Pouvoir. Les Tunisiens viennent de montrer qu’ils sont toujours sur le qui-vive quand il s’agira de battre le macadam pour préserver la liberté chèrement acquise.
Le double jeu auquel jouait le parti Ennhadha, qui semble avoir fermé les yeux sur les dérives des Salafistes, avait déjà attisé à son égard la rancœur des Tunisiens. En plus, après plusieurs mois à la tête du pays, le Gouvernement actuel peine à trouver la potion magique pour le redressement économique du pays. Et les observateurs ne cessent de pointer du doigt l’amateurisme et le manque d’expérience dont font montre les islamistes en matière de gestion des affaires de l’Etat.
L’opposition n’a de cesse de crier, depuis un moment, à l’existence d’une atmosphère délétère où la liberté politique est menacée. Les Tunisiens ont été longtemps privés de cette liberté, avec ses ramifications sur la liberté d’opinion. Mais depuis l’immolation de Bouazizi le 17 décembre 2010 et les bouleversements politiques qui ont suivi, ils sont déterminés à ne plus avoir dans l’histoire de leur pays, une époque, de loin ou de près, semblable à celle de Ben Ali.
Les Troika aux affaires, notamment les islamistes, doit en prendre conscience. Le carton jaune qui leur est délivré peut très vite être remplacé par un rouge. Les Tunisiens ont déjà fait une révolution pour acquérir la liberté. Ils ne se feront pas prier pour trouver une sœur jumelle à la Révolution du Jasmin, pour préserver et consolider la « liberté » qu’elle leur a apportée.
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