Kenya : Un Président qui dérange?!

La Commission électorale kényane vient à peine d’annoncer les résultats officiels de l’élection présidentielle dans ce pays. Et déjà, des inquiétudes naissent. Surtout quand on se souvient des nombreuses violences qui ont suivi les élections présidentielles de 2007, entre Mwai Kibaki et le même Raila Odinga, adversaire cette année de Uhuru Kenyatta.

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Tous les regards sont désormais tournés vers le perdant qui conteste déjà les résultats, tout en appelant ses partisans au calme. Toutefois, ces inquiétudes n’occultent en rien l’embarras de la communauté internationale face à « un Président qui dérange », sans oublier les rivalités ethniques séculaires entre Kikuyus et Luos !

Le K.O. béninois fait un émule !

Désormais, le K.O. béninois de 2011 a de sérieux challengers pour lui ravir la vedette dans un « plébiscite démocratique bien organisé » ! C’est la première appréciation qui nous est venue suite aux résultats des élections présidentielles au Kenya, élections pourtant annoncées comme très serrées entre le vétéran de l’opposition, Raila Odinga, et l’héritier, Uhuru Kenyatta.

Ainsi, par 50,07 % des suffrages exprimés, Uhuru Kenyatta est élu comme Président de la République, dès le premier tour.

Des résultats qui font débats…

En accordant leurs suffrages à Uhuru Kenyatta, sept millions de Kenyans viennent de plonger leur pays dans une vague d’incertitudes, accompagnées d’inquiétudes, qui peuvent conduire le pays, encore une fois, vers les violences ethniques et la guerre civile.

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Cette élection pose du coup deux problèmes et non des moindres, sur un plan international aussi bien qu’interne :

  1. Au plan interne, ces résultats sont susceptibles de réveiller les vieux démons et de plonger à  nouveau le Kenya dans une vague de violences ethniques, comme celles qui ont suivi les élections présidentielles de 2007.
  2. Au plan international, l’élection de Uhuru Kenyatta est fort embarrassante. En effet, elle compromet la procédure en cours contre lui devant la Cour Pénale Internationale, soustrayant de ce fait le nouveau Président élu de tout risque d’inculpation, maintenant qu’il est protégé par l’immunité.

Raila Odinga, une ambition présidentielle brisée ?!

On dirait bien que le désir de Raila Odinga d’être Président de la République au Kenya n’agrée point les dieux des élections. En effet, voilà deux fois qu’il est annoncé comme archi-favori mais que les résultats ne lui sont pas favorables.

En 2007 déjà, il était battu avec un léger écart, par Mwai Kibaki ; ce qui a conduit le pays vers le chaos que nous connaissons : violences ethniques, instabilité politique, partage du pouvoir et révision constitutionnelle…

Cette année, l’histoire s’est répété, semble-t-il ! Raila Odinga est encore battu, de justesse, par son adversaire cette fois-ci incarné par Uhuru Kenyatta, un « client » pour la Cour Pénale Internationale.

Mais, malgré sa contestation des résultats du scrutin, Raila Odinga appelle ses partisans au calme, et déclare vouloir s’en tenir aux voies légales de recours, pour faire rétablir la vérité des urnes ; car, affirme-t-il, il serait le vrai vainqueur des présidentielles du lundi 4 mars 2013.

Connaissant les procédures électorales en Afrique, l’observateur averti est bien obligé de « constater la défaite de Raila Odinga », ce qui brise son rêve présidentiel…

Un amer constat fondé sur des raisons historiques ainsi que sur la configuration ethnique du pays.

Des rivalités ethniques et historiques qui influent sur la voix des urnes !

Au Kenya, deux groupes ethniques, les Kikuyus bantous et les Luos nilotiques, sont en rivalité depuis des siècles. Et cette rivalité séculaire est exacerbée par l’appétit du pouvoir chez les uns et les autres, depuis l’indépendance du pays le 12 décembre 1963.

Une analyse sociologique des faits politiques au Kenya depuis 1963 nous amène à constater que, depuis l’accession de leur pays à la souveraineté internationale, les Kenyans ont toujours été dirigés par l’ethnie majoritaire, les Kikuyus, malgré la grogne des Luos minoritaires, qui auraient souhaité qu’un de leurs frères soit Président du Kenya, après cinquante ans d’indépendance.

En effet, tous les anciens Présidents du Kenya, Jomo Kenyatta (1963 – 1978), Daniel Arap Moi (1978 – 2002) et Mwai Kibaki (2002 – 2013), sont tous issus de l’ethnie majoritaire, les Kikiyus. De même que celui qui vient d’être élu, Uhuru Kenyatta.

L’histoire influence autrement le vote actuel. En effet, les deux challengers sont des héritiers des succès et des échecs présidentiels de leurs paternels.

Raila Odinga, flis de Oginga, a dû faire la prison de 1982 à 1988 suite à un coup d’Etat initié par son paternel opposant. Quant à Uhuru, fils de Jomo Kenyatta, il était déjà désigné en 2002 pour succéder à Arap Moi, avant qu’un large rassemblement des forces politiques instigué par le même Raila Odinga, ne porte Mwai Kibaki à la Présidence.

Au Kénya, tout le monde vote… Mais c’est toujours un Kikuyu qui gagne !

N’est-ce pas là une réalité du jeu démocratique, que ce soit toujours la majorité qui gagne ? Et la majorité est Kikiyu… Alors, si c’est par les urnes, ce n’est point pour demain que Nairobi connaitra un Président issu des Luos ! Sauf si d’autres règles de désignation du Président de la République, différentes que celles d’aujourd’hui, la voix des urnes, sont mises en place.

Toutefois, cette affirmation ne dédouane pas les commissions électorales africaines qui doivent mettre plus de rigueur dans l’organisation des consultations populaires, notamment quand des tensions ethniques existent déjà dans le pays.

Cela ne devrait pas non plus justifier cette attitude des hommes politiques qui ont tendance à « instrumentaliser le fait ethnique », selon l’analyse d’un chercheur français de l’IFRA (Institut Français de Recherches en Afrique basé à Nairobi).

En tout cas, quelle que soit l’issue des recours de Raila Odinga, il n’en demeure pas moins que Uhuru Kenyatta, l’héritier de son père, est bien un « Président qui dérange » ! Et les juges de la Cour Pénale Internationale ne manqueront pas de signifier leur embarras face à un « client aussi bien immunisé par la Présidence ».

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