La francophonie et nous

La semaine de la Francophonie. Nous y sommes. Les structures qui ont en charge le destin de la langue française s'activent. Elles ont promis de donner à l'événement un éclat particulier. Le français, doit-on le rappeler, est parlé par 220 millions de personnes dans le monde. 80% de celles-ci vivent en Afrique.

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C'est dire que l'héritage linguistique colonial qu'assument les francophones d'Afrique n'est pas banal.

La langue française, dans la quasi-totalité des pays africains francophones, s'est imposée comme langue de travail, voire   langue officielle. On notera que les constitutions y sont rédigées en français. Que ces constitutions s'inspirent assez largement du modèle français. Ce n'est pas innocent. Il faut en   conclure qu'il y a un esprit de la langue. Il dose et dope celle-ci d'assez de dynamisme pour qu'elle façonne et modèle mentalement son sujet parlant, c'est-à-dire le locuteur, celui qui parle cette langue.  

On reconnaîtra, par ailleurs, que l'Afrique francophone ne cesse d'enrichir, de faire fructifier sa part d'héritage. Elle fait chaque jour à la langue de Molière des enfants nègres. De Dakar à Cotonou, de Niamey à Brazzaville, la langue française, allongée à la sauce au chocolat noir, prend des saveurs inattendues. Aussi prospère-t-il dans toutes ces contrées d'Afrique francophone un français sui generis, c'est-à-dire propres aux populations de ces zones. Ce français-là est leur création. Il s'intègre parfaitement à leur patrimoine culturel. Il n'est plus une langue étrangère, mais une langue africaine.

Ce phénomène d'appropriation, de réinterprétation et de recréation bien perceptible à la base est tout aussi réel dans les couches supérieures et lettrées de la population de l'Afrique francophone. Vous est-elle encore étrangère une langue que vous avez mis des décennies à apprendre et à explorer dans ses moindres coins et recoins ? Vous est-elle encore étrangère une langue que vous vous êtes investi à maîtriser en ses diverses facettes, domestiquer en ses divers usages ? Quelle est la langue étrangère entre le français que vous parlez bien et l'un quelconque de vos langues nationales que vous ignorez complètement ?

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La francophonie, aux dires de ses grands animateurs, ambitionne d'être un espace de partage, le français servant de liant entre des peuples aussi divers que différents. Mais la francophonie s'empresse d'affirmer qu'elle a aussi vocation à encourager le développement des langues nationales. Diversité culturelle oblige ! Dans cette logique, voici, selon nous, les chantiers qui pourraient mériter prioritairement notre intérêt et notre attention.

Premier chantier : le niveau de base exigible pour tous en matière d'alphabétisation. Cela part de l'idée que cette dernière doit cesser d'être facultative. Chaque citoyen, en effet, doit être alphabétisé dans l'une de nos langues nationales de son choix. Il apprendra à lire et à écrire, à compter et à calculer. Le   niveau de base, le plancher à partir duquel on peut estimer que tout citoyen en sait assez sur la langue de son terroir, c'est le certificat d'étude primaire.

Deuxième chantier : à l'instar de la Francophonie, l'institution d'une semaine des langues nationales. Cette semaine gagnerait à être décentralisée. Nous devons en faire l'affaire des communes et des organisations de la société civile. Nous nous attacherons, à cette occasion, à mettre en lumière les grands acteurs de l'alphabétisation. Il s'agit de tous ceux qui, par leurs réalisations, leurs créations, leurs initiatives, oeuvrent à donner du sens à notre politique d'alphabétisation.

Troisième chantier : la traduction au plan continental de cette même semaine des langues nationales.  Il s'agira de faire le point de nos recherches en matière de langues nationales. Il s'agira de partager des expériences et d'harmoniser les diverses   politiques de promotion et de développement de nos langues nationales. C'est, par exemple, à partir d'une instance continentale que l'Afrique peut espérer forcer les portes de l'Internet au profit d'une ou deux langues africaines. C'est également à partir de là que l'on peut faire admettre une langue africaine comme langue de travail aux Nations Unies ou dans toutes autres enceintes internationales. Nous sommes des mutants. Notre survie est au prix de notre capacité à nous adapter à un monde en mutation rapide.

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